Journée de défense et de citoyenneté : une nouvelle version « militarisée » obligatoire pour tous les jeunes de 16 à 25 ans dès la rentrée

Si ce n’est pas la première fois que le programme de cette journée fait l’objet d’ajustements, la décision de la transformer en une passerelle assumée vers le recrutement est inédite.

Juil 27, 2025 - 06:11
Journée de défense et de citoyenneté : une nouvelle version « militarisée » obligatoire pour tous les jeunes de 16 à 25 ans dès la rentrée
Emmanuel Macron au Commandement du soutien numérique et de la cybersécurité (CATNC) de l’armée de terre, dans le cadre de ses vœux aux forces armées, à Cesson-Sévigné (Ille-et-Vilaine), le 20 janvier 2025. STEPHANE MAHE / AFP

Emmanuel Macron l’avait annoncé le 20 janvier, lors de ses vœux aux armées, ce sera donc chose faite, dès le mois de septembre. A partir de la rentrée, tous les jeunes Français âgés de 16 à 25 ans devront participer à une version revisitée de la journée défense et citoyenneté (JDC). Une JDC nouvelle formule, avec désormais une très claire coloration militaire, sera progressivement dispensée partout en France métropolitaine à l’automne, puis outre-mer en 2026, a appris Le Monde auprès de la direction du service national et de la jeunesse (DSNJ), le service du ministère des armées chargé notamment de l’organisation de cette journée.

Près de vingt-sept ans après la création d’une journée d’appel de préparation à la défense (JAPD) par Jacques Chirac, en 1998, en remplacement de la suppression du service militaire, et près de quinze ans après sa création officielle, en 2011, la JDC fait peau neuve.

Si ce n’est pas la première fois que son programme fait l’objet d’ajustements, la décision du ministre des armées, Sébastien Lecornu, de la transformer en une passerelle assumée vers le recrutement au sein des forces et de la réserve est inédite.

Lever des couleurs et tir sportif laser

Finie donc, à partir de septembre, la JDC avec ses heures de diaporama et de quiz sur l’organisation de la défense en France, clôturée par une rapide présentation des métiers des armées. A partir de la rentrée, la JDC se veut « immersive », organisée autour de la journée type d’un soldat. Après la cérémonie de lever des couleurs et La Marseillaise, les jeunes auront droit à la lecture de la charte des droits et devoirs du citoyen français. Puis différentes équipes seront formées avec des activités à tour de rôle : tir sportif laser, jeux de stratégie, repas autour d’une ration de combat, expérience des métiers militaires en réalité virtuelle, etc.

« Le but, c’est d’être très explicite sur chacun des temps forts de la journée », complète le général Pierre-Joseph Givre, directeur de la DSNJ. Le tir sportif laser « soulignera les enjeux du port de l’arme, de son maniement en sécurité, et rappellera ainsi qu’il est l’apanage en démocratie des corps en uniforme ». Le jeu de rôle organisé autour de scénario de crise et de guerre majeure désignera sans détour les éventuels « adversaires » et « compétiteurs » de la France dont la liste pourra être mise à jour – comme les groupes djihadistes, la Russie, l’Iran, ou la Corée du Nord, avec rappel du rôle de la diplomatie et des institutions internationales (OTAN, ONU, Union européenne, etc.).

Cette évolution de la JDC s’inscrit dans le contexte de durcissement de la conflictualité dans le monde. Plusieurs pays européens, principalement sur le flanc Est, ont commencé à réintroduire, depuis l’annexion de la Crimée par Moscou en 2014, le service militaire obligatoire pour les hommes et le service volontaire pour les femmes (la Lituanie en 2015, la Lettonie et la Croatie en 2025). D’autres cherchent à élargir leur vivier de réservistes (comme la Pologne, l’Estonie, la Norvège).

« L’hypothèse d’un engagement majeur oblige à repenser notre modèle d’armée et le lien avec la société civile. Avant, l’armée française avait une vocation essentiellement expéditionnaire, maintenant elle doit anticiper une éventuelle confrontation avec une puissance militaire comme la Russie », justifie le général Givre. Cet ancien chasseur alpin l’admet : « Cela oblige à se poser la question des risques d’attrition aussi bien en termes de matériels qu’en termes de ressource humaine et donc d’identifier à l’avance des viviers de compétences supplémentaires pour pouvoir durer dans l’engagement. »

Développer la réserve

L’observation du conflit ukrainien est passée par là. Si depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, en 2022, la société ukrainienne soutient fortement son armée, la volonté des autorités de Kiev de préserver le capital économique du pays et les jeunes de 18 à 25 ans en évitant une mobilisation générale a été un échec, aux yeux de nombreux états-majors. « Les Ukrainiens avaient tout anticipé, mais pas suffisamment le fait que l’appel aux seuls volontaires risquait de ne pas suffire dans le contexte d’une guerre longue de haute intensité », reprend le général Givre.

La réforme de la JDC s’inscrit aussi dans un contexte de préoccupation croissante, au sein des services chargés des ressources humaines des armées, sur la baisse continue des naissances, en France, depuis 2010, passées d’environ 828 000 à 663 000 en 2025, selon l’Insee. Un risque considéré comme majeur, d’ici une dizaine d’années, pour le maintien du format actuel (autour de 210 000 soldats d’active). D’où l’ambition de développer aussi la réserve, avec l’objectif de 80 000 réservistes en 2030, contre 47 000 aujourd’hui.

Reste à trouver le vivier. Sans prétendre être la réponse à tous les défis de recrutement de l’institution militaire, les instigateurs de la nouvelle JDC souhaitent renforcer cette dernière brique-clé du « parcours de citoyenneté » de la jeunesse, tel qu’il est prévu par la loi depuis 1997. Ce parcours repose en principe sur trois étapes : le recensement en mairie à l’âge de 16 ans, l’éducation à la défense par les enseignants en milieu scolaire, puis la JDC.

La nouvelle JDC ne perdra pas pour autant sa mission de détecter l’illettrisme. Chaque année, environ 5 % des jeunes sont ainsi repérés tandis que près de 12 % révèlent des difficultés de lecture. « Le but, c’est surtout de valoriser les parcours individuels dans une perspective civile comme militaire, et de faire en sorte que ces tests soient aussi des tests de talents. Les données recueillies serviront à alimenter un passeport défense à double usage civil et militaire, poursuit le général Givre. A terme, notre ambition est de communiquer à chaque jeune, à l’issue de la JDC, une appréciation valorisant ses aptitudes et son potentiel. »

Alors que les armées ont parfois du mal à honorer tous les créneaux de JDC – plus de 15 000 en 2023, sur plus de 350 sites –, les futures promotions devraient être de cent jeunes par session au lieu d’une cinquantaine. La journée s’achèvera par un « au revoir républicain », moment solennel où sera remis le bleuet de France, ce symbole de la mémoire envers les anciens combattants et les victimes de guerre, dont le port est obligatoire, depuis 2023, pour toutes les autorités civiles et militaires lors de certaines cérémonies.

Maintien du lien

Reste l’enjeu de la fidélisation. Pour susciter les vocations, voire envisager des réquisitions si les circonstances l’exigeaient, c’est surtout sur le maintien du lien avec les jeunes dans la durée que compte le ministère. Et ce, notamment par le biais d’une plateforme en cours de développement baptisée Défense+, sorte de média social qui permettra de télécharger son « passeport défense », attestant de sa participation à la JDC, nécessaire pour passer le bac ou l’examen du permis de conduire.

« Avant, la JDC était souvent vécue comme un pensum par les jeunes. L’enjeu, c’est de savoir si cela va vraiment être un levier de recrutement, notamment pour du volontariat », résume Bénédicte Chéron, maîtresse de conférences à l’Institut catholique de Paris. « Avec ce projet, l’Etat commence à poser des jalons pour rétablir une meilleure connaissance de chaque classe d’âge, comme du temps du service militaire. Reste à savoir pour quels scénarios d’engagement afin de justifier de grossir les rangs dans la durée », ajoute-t-elle.

Toute cette refonte se fait à droit et budget constant. La JDC coûte 105 millions d’euros par an à l’Etat et s’avère relativement peu onéreuse et souple à mettre en œuvre comparée au casse-tête de la réforme du service national universel, en partie portée par l’éducation nationale mais avec beaucoup de réticences, ou la création d’un vrai service national volontaire – civil ou militaire – en discussion depuis des mois. Lors de son discours du 13 juillet devant les forces armées, le chef de l’Etat a repoussé le calendrier de ce projet à l’automne.

[Source: Le Monde]