La souffrance des Yézidis entre la lumière du Kurdistan et les ombres de Bagdad : les larmes qui ne sèchent jamais et une constitution sans protection
Assistant Prof. Dr. Seerwan Anwer Majeed - traduit par EDGEnews.

Les Yézidis ne sont pas seulement une communauté religieuse, ils constituent le cœur battant de la nation kurde. Leur identité, étroitement liée à la langue et à la culture kurdes, en particulier au dialecte kurmandji, reflète un sentiment d'appartenance ethnique profondément enraciné au Kurdistan, malgré la singularité spirituelle qui les distingue. Leur foi, l'une des plus anciennes et des plus méconnues de la région, s'épanouit comme une fleur unique dans la mosaïque spirituelle du Moyen-Orient. Les Yézidis sont ethniquement kurdes, mais leur spécificité religieuse préserve une flamme culturelle qui résiste à l'assimilation et incarne la résilience d'un peuple qui a traversé des siècles de persécution.
Le 3 août 2014, cette résilience a été mise à rude épreuve une fois de plus. Dans une campagne d'une brutalité inimaginable, l'État islamique (EI) a pris d'assaut la région de Sinjar, commettant des atrocités qui ont choqué la conscience du monde entier. Des milliers d'hommes yézidis ont été massacrés ; des femmes et des enfants ont été enlevés, réduits en esclavage, vendus sur des marchés humains ou enrôlés de force dans les rangs de l'EI. D'autres ont été poussés au suicide sous le poids d'un traumatisme indescriptible. Ces atrocités, documentées dans les moindres détails par l'Équipe d'enquête des Nations unies chargée de promouvoir la responsabilité pour les crimes commis par Daech/EIIL (UNITAD) dans son rapport de septembre 2024, sont qualifiées non seulement de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité, mais aussi d'actes de génocide.
La justice a commencé à suivre son cours, lentement mais sûrement. L'un des cas les plus médiatisés est celui de Taha al-Jumailly, condamné en 2021 en Allemagne pour génocide et crimes contre l'humanité. Son crime ? Avoir laissé une fillette yézidie de cinq ans enchaînée sous un soleil de plomb jusqu'à ce que mort s'ensuive. Sa condamnation à perpétuité n'est pas seulement un acte de justice, c'est aussi la première reconnaissance judiciaire du génocide perpétré contre les Yézidis. Des procédures similaires sont en cours ailleurs : en Suisse et en Suède, Lina Issa est actuellement jugée pour sa participation présumée à la traite d'êtres humains, à l'esclavage sexuel et aux abus commis sur des enfants yézidis pendant son séjour à Raqqa, alors contrôlée par l'EI (2014-2016). Ces procès, menés à huis clos en raison du caractère sensible des témoignages, sont en train de façonner lentement mais sûrement un héritage judiciaire.
En août 2023, une lueur d'espoir est apparue dans l'obscurité lorsque le Royaume-Uni a officiellement reconnu les crimes commis par l'EI contre les Yézidis comme un génocide, rejoignant ainsi les Pays-Bas, la Belgique, la France et le Canada dans la reconnaissance de l'une des plus graves tragédies du XXIe siècle. Ces reconnaissances placent le génocide yézidi dans le même cadre historique que l'Holocauste, le Rwanda, Srebrenica et le Cambodge. Cependant, malgré le poids symbolique de ces reconnaissances, les changements concrets sur le terrain restent douloureusement lents.
Le Parlement irakien a adopté la « loi sur les survivants yézidis » le 1er mars 2021, qui prévoit une compensation financière, un soutien psychologique, l'accès à la terre et des quotas d'emploi de 2 % pour les survivants dans les institutions publiques. À la mi-2024, seules 1 700 des 2 235 demandes avaient été approuvées. Plus de 360 000 Yézidis sont toujours déplacés dans des camps, leur vie suspendue dans l'incertitude. Plus de 2 600 personnes sont toujours portées disparues, dont beaucoup sont présumées mortes ou toujours détenues par des groupes extrémistes. Les survivantes qui ont eu des enfants de combattants de l'EI sont confrontées à des obstacles juridiques et sociaux uniques : leurs enfants ne sont pas reconnus comme yézidis en vertu des lois traditionnelles sur la filiation, ce qui complique encore davantage la réintégration des mères et leur accès aux prestations sociales.
Dans ce contexte de négligence, le gouvernement régional du Kurdistan (KRG) a joué un rôle plus proactif. Selon ses déclarations officielles, le KRG a pris plusieurs initiatives clés :
- Sécurité et stabilité : grâce aux peshmergas et aux forces kurdes locales, le KRG s'est efforcé de stabiliser Sinjar et les communautés yézidies voisines, en coordination avec les partenaires de la coalition internationale. Des efforts ont été déployés pour empêcher la résurgence de l'EI et protéger les zones où les Yézidis sont revenus.
- Indemnisation et reconstruction : le KRG, en collaboration avec le ministère du Travail et des Affaires sociales, a versé des indemnités financières aux survivants et aux familles des victimes. Les projets de reconstruction comprennent la reconstruction d'écoles, d'hôpitaux, de routes et d'autres infrastructures essentielles, malgré des contraintes budgétaires persistantes.
- Documentation juridique et plaidoyer international : Le GRK a collaboré avec des organismes internationaux pour documenter les crimes de guerre et soutenir les procédures judiciaires devant les tribunaux internationaux, notamment la CPI. Cela comprend la fourniture de preuves essentielles et la facilitation des témoignages des survivants.
- Soutien psychosocial : La région soutient des programmes de réadaptation axés sur les femmes et les enfants yézidis, en mettant l'accent sur la guérison des traumatismes, l'éducation et la formation professionnelle. Des partenariats avec des ONG ont permis de fournir des services de santé mentale, malgré les difficultés d'accès et de sensibilisation.
- Représentation politique : Le GRK s'est efforcé de garantir l'inclusion des Yézidis dans les institutions gouvernementales et les parlements locaux. Il continue de promouvoir le dialogue interconfessionnel et le pluralisme comme pierres angulaires de l'identité civile kurde.
Dans sa dernière déclaration, le président de la région du Kurdistan a réaffirmé l'engagement du gouvernement en faveur des droits et de la guérison des Yézidis. Il a souligné l'urgence de réinstaller les Yézidis déplacés dans leurs villes d'origine et a appelé au retrait des milices armées qui utilisent Sinjar comme base stratégique. En outre, le président a exhorté la communauté internationale à reconnaître officiellement le génocide des Yézidis et s'est engagé à intensifier les efforts pour libérer tous les captifs restants.
Malgré ces efforts, des défis considérables persistent : la reconstruction est lente, de nombreuses zones restent instables et la coordination avec le gouvernement fédéral irakien est entravée par des tensions politiques. La mise en œuvre longtemps retardée de l'accord de Sinjar de 2020 (visant à démilitariser la région, à mettre en place une administration locale dirigée par les Yézidis et à rétablir les services de base) reste incomplète. En outre, la représentation des Yézidis dans les institutions nationales reste limitée et il n'existe pas de leadership clair et unifié représentant leurs intérêts.
Le gouvernement fédéral irakien, pour sa part, fait face à des critiques croissantes. Les retards dans le versement des indemnités, la faiblesse du développement des infrastructures à Sinjar, l'insuffisance du soutien psychosocial et la lenteur des progrès judiciaires sont cités comme des échecs majeurs. Malgré ses engagements rhétoriques, Bagdad n'a toujours pas présenté de feuille de route concrète pour la réintégration, l'éducation ou la reprise économique de la population yézidie. Des milliers de personnes vivent toujours dans des camps, leur avenir étant pris en otage par la bureaucratie et la stagnation politique.
Au milieu de cette situation, une vérité émerge : la région du Kurdistan a été une bouée de sauvetage pour les Yézidis, non seulement sur le plan militaire, mais aussi sur les plans spirituel et administratif. Elle leur a offert un refuge alors que toutes les portes leur étaient fermées, leur a donné une voix politique alors qu'ils étaient réduits au silence et a inscrit leur tragédie dans la mémoire collective. Des commémorations officielles aux mémoriaux de Duhok et d'Erbil, la cause des Yézidis reste au cœur de la boussole morale du Kurdistan. À maintes reprises, ses dirigeants ont déclaré que le sort des Yézidis n'était pas une crise périphérique, mais un chapitre existentiel de l'histoire nationale kurde.
Pourtant, les Yézidis méritent davantage : plus de justice, plus de sécurité, plus de dignité. Il est temps que la région du Kurdistan et le gouvernement fédéral irakien mettent en place une commission indépendante avec la pleine participation des Yézidis afin de mettre en œuvre l'accord de Sinjar et de superviser la reconstruction de leurs terres dévastées. Cette initiative doit s'accompagner d'un budget transparent, contrôlé par des observateurs internationaux et des groupes de la société civile. Les programmes de réadaptation psychologique, en particulier pour les survivants de l'esclavage sexuel et les enfants nés de la guerre, doivent être élargis et institutionnalisés. Enfin, les Yézidis doivent se voir accorder tous leurs droits culturels et politiques, non pas en tant qu'invités dans leur propre pays, mais en tant que citoyens fiers d'un avenir pluraliste.
En sommaire, venir à l'aide des Yézidis n'est pas un acte de charité, c'est une question de justice, de restauration de ce qui a été perdu et de préservation de ce qui reste. L'avenir de leur communauté dépend d'une constitution qui les protège et ne les ignore pas. Ce n'est qu'alors que leurs larmes pourront commencer à sécher et que leur esprit trouvera la paix, non pas en exil, mais chez eux, enraciné dans l'âme du Kurdistan et dans le rêve d'un Irak véritablement fédéral. Car sans cela, qu'est-ce que la citoyenneté, sinon de l'encre sur du papier ?