Guerre en RD Congo: où vont les millions de dollars du fonds de réparation des victimes de violences sexuelles ?

Une rémunération démesurée de la direction, une partie minime des dépenses consacrées aux victimes... Des documents ont fuité ces dernières semaines sur les réseaux sociaux venant remettre en cause la crédibilité du Fonarev, le Fonds de réparation des victimes de violences sexuelles liées au conflit. Sa création avait été impulsée par le pouvoir congolais en décembre 2022. La direction générale du fonds dément toute accusation auprès de TV5MONDE.

Oct 17, 2025 - 14:01
Guerre en RD Congo: où vont les millions de dollars du fonds de réparation des victimes de violences sexuelles ?
Des personnes se rassemblent à Goma, en République démocratique du Congo, le lundi 6 mai 2024, pour rendre hommage aux victimes de l'attaque du camp de Mugunga survenue trois jours plus tôt. On peut lire sur les pancartes : « Oui à la paix, non à la guerre » et « Attaquer des civils est un crime de guerre ». AP Photo/Moses Sawasawa

Où vont les finances du Fonarev?”, “le Fonarev n'a jamais été une démarche de justice!”. Sur les réseaux sociaux, les accusations fusent. De plus en plus de voix s'élèvent pour demander des preuves des actions du fonds de réparation des victimes de violences sexuelles liées au conflit et des victimes "contre la paix et la sécurité" en République démocratique du Congo.  
 
Des militants sur le terrain ont remarqué beaucoup d'opacité. On a donc commencé à poser des questions aux victimes. Au final, on a observé un écart énorme entre ce qui était perçu sur le terrain et ce qui était décaissé au siège, à Kinshasa”, confie à TV5MONDE un militant du mouvement pro-démocratie Filimbi.

Le Fonarev était pourtant présenté comme un vent d'espoir. “Identifier, soigner, réparer”: la devise est loin d’être anodine dans un pays meurtri par la guerre qui dure depuis près de 30 ans et a fait plusieurs millions de morts directes ou indirectes (maladies, pauvreté...). Le viol y a également été qualifié “d’arme de guerre méthodique” par plusieurs experts.  

11% des redevances minières  

L'enjeu est de taille et les autorités ont choisi de mettre à disposition une enveloppe conséquente. Un décret présidentiel d'août 2023 fixe l'allocation versée au Fonarev à hauteur de 11% des redevances minières du pays. La RDC possède un des sous-sols miniers les plus riches au monde. Entre 2024 et 2025, ce sont 280 millions de dollars dont bénéficie le fonds. 

Une somme qui devrait faire aboutir les trois missions que s'est donné le Fonarev pour ses premières années d’existence: identifier les victimes, les aider à accéder à la justice et mettre en œuvre le programme mémoriel du Génocost, le “Génocide Congolais à des fins économiques”. Ce dernier volet est porté personnellement par le président Félix Tshisekedi qui s'est déplacé aux Nations Unies à New York le 22 septembre dernier pour demander la reconnaissance du terme à l’échelle mondiale. 

38.000 dollars américains par mois, SUV de fonction et prise en charge des frais médicaux

Mais un premier document vient questionner la gestion du fonds et ses postes de direction. Une copie d'un arrêté ministériel atteste que le directeur général bénéficie d'une rémunération de 38.000 USD (dollars américains), une “indemnité de logement” de 8.000 USD, une “indemnité de domesticité” de 2.000 USD, un mois de congé moyennant le versement d’un mois de salaire net, un véhicule de fonction SUV 4x4 et une prise en charge des frais médicaux “à l’intérieur et à l’extérieur du pays”.  

À cela, s’ajoute des frais de mission à l'extérieur de 4.000 USD pour des frais de représentation, 1.000 USD de frais de mission ainsi que d'une indemnité logement de 500 USD par jour. Le président du Conseil d’administration bénéficie, lui, d'une rémunération de 35.000 USD, les directeurs généraux de 22.000 USD, les administrateurs de 20.000 USD et les commissaires aux comptes de 12.500 USD. 

À titre de comparaison, le salaire moyen en RDC est établi à 133 dollars par mois. “Ce n’est pas le directeur général qui décide du salaire”, se défend Patrick Fata Makunga, le directeur général du Fonarev, contacté par TV5MONDE, qui renvoie la responsabilité des montants au ministère de tutelle, seul décisionnaire selon lui. 

"Risque de dilapidation"

Ces sommes ont cependant alerté l'Inspection générale des finances congolaise. Dans un document du 24 avril adressé au Fonarev et consulté par TV5MONDE, l'Inspection ordonne l'interdiction de tout mouvement de sortie des fonds des comptes du fonds auprès de plusieurs banques congolaises et africaines.

"Cette interdiction est motivée par le souci de la préservation des deniers publics face au risque de dilapidation du fait de l'exécution par le Directeur Général du Fonarev, à notre insu, des dépenses jugées irrégulières et donc non validées et ce, malgré notre refus exprès",motive l'Inspection.  

Le 10 juin 2025, Maître Chantal Chambu Mwavita, la ministre des Droits humains interpelle à son tour le Fonarev et fait un rappel à l'ordre concernant des “documents qui n'ont toujours pas été communiqués”, parmi lesquels le “rapport de gestion de 2024, le rapport financier et le rapport d’activité du premier trimestre 2025”. 

Elle reproche aussi l'absence de nomination d'une Direction juridique autonome, “fonction essentielle” pour “sécuriser juridiquement l’ensemble des opérations”. Le Fonarev aurait invoqué “un volume d'activités juridiques modéré et l'absence d'une enveloppe budgétaire dédiée en 2025”. 

Dans la même lettre, la ministre s'interroge aussi sur l'adoption lors d’un conseil d’administration fin mai d’“un barème d'avantages complémentaires” de 850 dollars au bénéfice de la direction qui dispose pourtant “déjà d'une rémunération conséquente”.  

Le Fonarev a confirmé auprès de TV5MONDE que la fonction de directeur juridique n’était toujours pas autonome et était encore endossée par le directeur des ressources humaines.  

Extrait de la lettre du ministère des Droits humains adressée au Fonarev le 10 juin 2025

Extrait de la lettre du ministère des Droits humains adressée au Fonarev le 10 juin 2025.

On ne veut pas qu'on en parle donc on veut détourner le débat sur autre chose

Qu’en est-il des réparations, le cœur de mission du Fonarev? D'après les prévisions budgétaires du fonds sur l’année 2025, 117 millions de dollars devraient être mobilisés sur un budget total de 281 millions. Soit moins de la moitié. Les frais de fonctionnement sont chiffrés à 46,5 millions et des placements financiers à 57 millions. Des sommes loin d’être insignifiantes sur lesquelles le Fonarev n’a pas voulu donner d'explication. 

Or, d’après un rapport financier relatant les dépenses des six premiers mois, les sommes sont même bien en deçà. Seulement 25 millions de dollars ont été reportés pour des actions de prise en charge des victimes dont 14,5 millions imputés en partie à une “collaboration avec la fondation FDNT dans le cadre de la prise en charge des déplacés du Burundi”.

La FDNT n’est autre que la fondation de la Première Dame, la Fondation Denise Nyakeru Tshisekedi, rebaptisée Fondation Lona. La femme du président Félix Tshisekedi s’affiche depuis des années comme une figure de premier plan concernant la réparation des victimes de violences sexuelles en RDC. Elle a notamment soutenu publiquement la création du Fonarev.

Les chiffres du rapport financier contestés

Le directeur général du Fonarev Patrick Fata Makunga, contacté par TV5MONDE, réfute tout montant qui aurait été versé à la fondation, et conteste les chiffres du rapport financier. Il précise que son organisme “n'exécute pas directement ses missions sur le terrain. Il s'appuie sur un écosystème composé d'ONG sélectionnées qui reçoivent les fonds du Fonarev [...] Nous ne sommes pas un fonds d'indemnisation pour les distribuer aux victimes.” 

Pour Patrick Fata Makunga, le Fonarev peut se féliciter d’un bilan positif: 700.000 victimes identifiées, plus de 2.000 dossiers de victimes constitués en justice, des travaux d’adduction d’eau menés dans des camps de déplacés et des cliniques mobiles déployées dans certaines zones occupées de la zone Est et orientale. 

Et surtout, la construction d'un mémorial à Kinshasa rendant hommage aux victimes du conflit. Un acte très attendu par la population, selon lui: “Vous serez surpris quand vous parlez à des victimes et que vous leur demandez ce qu'elles veulent. Elles diront qu'elles veulent d'abord qu’on reconnaisse ce qui leur est arrivé.”

La temporalité de la fuite de documents n’est aussi pas le fruit du hasard selon le directeur général. Elle traduirait une tentative de déstabilisation politique alors que la RDC tente de faire reconnaitre de ce qu’elle considère comme un génocide sur sa population. “On ne veut pas qu'on en parle donc on détourne le débat sur autre chose.

Le recrutement d’un cabinet d’audit "dans les deux trois semaines”, assure le directeur général, devrait pouvoir mettre la lumière sur l'utilisation de sommes qui aujourd’hui font l'objet de lourdes interrogations en RDC.


Mise à jour le 15/10/2025 : Le Fonarev a réagi dans un communiqué publié le 14 octobre aux "tentatives de déstabilisation" qui "mettent en cause l'action et la crédibilité du Fonarev". "Le Fonarev finalisera dans les prochaines semaines le processus de recrutement d'un cabinet d'audit externe et indépendant" dont "seuls les rapports [...] feront foi et permettront à chacun d'apprécier objectivement les actes de gestion posés par les organes de gouvernance".

[Source: TV5Monde]