A Marseille, Emmanuel Macron déclare une nouvelle fois la guerre au narcotrafic

Déc 17, 2025 - 12:53
A Marseille, Emmanuel Macron déclare une nouvelle fois la guerre au narcotrafic
THÉO GIACOMETTI/HANS LUCAS POUR « LE MONDE »

Le soleil vient de se coucher sur le col de Morgiou, à l’est de la ville de Marseille, et les cris insondables des hommes incarcérés aux Baumettes déchirent la nuit. A l’intérieur, mardi 16 décembre, Emmanuel Macron visite la nouvelle extension du centre pénitentiaire. Encore vide, elle accueillera les premiers détenus début janvier et permettra de « désencombrer » les prisons surpeuplées de la région. Déjà, alors qu’une première partie de cette extension est occupée, « on a supprimé les matelas au sol » et « retrouvé un équilibre », lui explique un responsable de l’établissement.

Les couloirs sont immaculés, tout juste rehaussés d’aplats rose thé. Des verrières au sol et une ouverture au plafond permettent la surveillance des étages du bas et des coursives du haut. Dans les cellules, le mobilier fixé au sol et aux murs évoque davantage une chambre d’étudiant que le cachot. L’odeur de nourriture associée à celle de l’eau de Javel, caractéristique des prisons vétustes, n’a pas imprégné les murs des nouveaux locaux.

Le procureur de la République de Marseille, Nicolas Bessone, qui a, le premier, parlé de « mexicanisation de la criminalité » en 2024, placé sous protection policière depuis quelques jours, accompagne le chef de l’Etat, le garde des sceaux, Gérald Darmanin, et le ministre de la ville et du logement, Vincent Jeanbrun.

Tout au long de cette journée marseillaise, Emmanuel Macron a répété sa détermination à mener la « guerre » contre le narcotrafic. Dans la matinée, il s’est recueilli sur la tombe de Mehdi Kessaci, assassiné le 13 novembre, vraisemblablement pour intimider son frère Amine, un militant qui dénonce l’emprise des réseaux de trafic de drogue.

Emmanuel Macron lors de sa visite de la nouvelle extension du centre pénitentiaire des Beaumettes, à Marseille, le 16 décembre 2025.
Le procureur de la République de Marseille, Nicolas Bessone, et Emmanuel Macron, au centre pénitentiaire des Beaumettes, le 16 décembre 2025.

Ce n’est pourtant qu’après une heure et vingt minutes de débat sur « les dangers des réseaux sociaux et des algorithmes pour la démocratie » qu’Emmanuel Macron aborde, en début d’après-midi, face aux lecteurs du quotidien régional La Provence, dans une ville encore sidérée par l’assassinat du jeune homme, le sujet sensible du narcotrafic. « On va aller chercher les têtes de réseau là où elles sont, saisir leurs biens, les arrêter », promet-il. Convaincu que Mehdi Kessaci « a été attaqué parce qu’on attaquait » les trafiquants, le chef de l’Etat s’engage à « ne rien lâcher » et à « pilonner », car, « à mesure qu’on serre, ils vont continuer de réagir ».

Et de s’en prendre, en attendant, aux consommateurs, dont il dénonce régulièrement l’irresponsabilité. « Moi, j’en ai ras le bol d’avoir dans des quartiers des gens qui pleurent et, dans d’autres, des gens qui gentiment achètent de la cocaïne ou du hasch », lance-t-il, annonçant son intention de passer l’amende de 200 à 500 euros, « parce que ce n’est pas festif de se droguer ».

Benoît Payan durcit le ton

Dans la salle, Fadella Ouidef, militante associative des quartiers nord, souligne que les réseaux sociaux « jouent aujourd’hui un rôle aussi central que les points de deal » dans le narcotrafic. « Les réseaux sociaux sont devenus des lieux de trafic », acquiesce le chef de l’Etat, mais « on a des moyens très limités » pour pouvoir les poursuivre, car « il faut changer la norme européenne ». A l’issue du débat, la jeune femme ne cachera pas sa déception. « Dans le contexte que l’on vit, c’était hors-sol », regrette-t-elle.

Emmanuel Macron lors de ses débats avec les lecteurs du quotidien régional « La Provence », à Marseille, le 16 décembre 2025.

Alors qu’une première amende de 120 millions d’euros a été infligée par la Commission européenne, le 5 décembre, au réseau social X, sur la base du règlement européen sur les services numériques, Emmanuel Macron révèle ne pas avoir lui-même réussi à faire retirer du réseau Facebook, ces derniers jours, une fausse information le concernant. « Dimanche, un de mes collègues africains m’envoie un message. “Cher président, qu’est-ce qu’il se passe chez vous ? Je suis très inquiet.” » Il découvre alors une vidéo dans laquelle une prétendue journaliste annonce, devant l’Elysée, qu’il y a eu « un coup d’Etat en France », au cours duquel « un colonel a pris le pouvoir ».

Dans un premier temps, « ça [les] a fait marrer », poursuit le chef de l’Etat. Avant de découvrir que ce contenu avait été vu 12 millions de fois. La Plateforme d’harmonisation, d’analyse, de recoupement et d’orientation des signalements (Pharos), plateforme française officielle de signalement en ligne, mise en place par le gouvernement, a alors appelé le réseau. « Réponse de Facebook : “Ça ne contrevient pas à nos règles d’utilisation.” Refus de retrait. » Une déconvenue dont Emmanuel Macron n’a pas été long à tirer le principal enseignement. « Ces gens-là se foutent de nous ! », a-t-il conclu, sous le regard de Rodolphe Saadé, propriétaire de La Provence.

Organisateur du « Face aux lecteurs », l’armateur a accueilli le président de la République et les lecteurs dans l’entrepôt solidaire de la Fondation CMA CGM. Conséquence, l’aide alimentaire stockée dans l’entrepôt par les Restos du cœur n’a pas pu être distribuée, mardi, dans un quart des centres de l’association, révèle le journal local Marsactu.

Emmanuel Macron est aussi venu à Marseille pour défendre le bilan du plan Marseille en grand, lancé en septembre 2021 pour « remettre la ville à niveau ». Mais, à trois mois d’élections municipales très disputées dans la cité phocéenne, le déplacement se déroule sur fond de tensions avec le maire (divers gauche), Benoît Payan.

Lors de l’inauguration du nouveau commissariat des 13ᵉ et 14ᵉ arrondissements de Marseille, avec Sabrina Agresti-Roubache, Renaud Muselier, Stéphane Ravier, Emmanuel Macron, Benoît Payan, Vincent Jeanbrun et Gérald Darmanin.
Emmanuel Macron, accompagné du ministre de l’intérieur, Laurent Nuñez, lors de l’inauguration du nouveau commissariat des 13ᵉ et 14ᵉ arrondissements de Marseille, le 16 décembre 2025.

Défié sur sa gauche par le député « insoumis » Sébastien Delogu, qui l’accuse de gouverner au centre, le premier magistrat de la ville s’efforce de durcir le ton avec Emmanuel Macron, après des années de complicité affichée. « Je ne peux pas imaginer un président de la République venir les mains dans les poches », a-t-il asséné avant son arrivée, alors que l’Etat a engagé 5 milliards d’euros d’aides pour la ville, en subventions et en prêts garantis. « Le compte n’y est pas », cinglait encore Benoît Payan, mardi matin sur France Inter, jugeant que le ministère de l’intérieur « n’a pas mis le paquet comme il aurait dû être mis sur le narcotrafic ».

« Séquence électorale »

Alors que l’Elysée cite l’arrivée effective de 350 policiers et de 30 magistrats de plus dans les Bouches-du-Rhône, le maire réclame des moyens supplémentaires pour La Poste, « en train de disparaître » de certains quartiers, pour les hôpitaux « saturés » et les transports « difficiles ». Et se prétend « bien seul pour soutenir les associations et les acteurs sociaux ».

L’augmentation de l’amende infligée aux consommateurs de drogue ne rencontre pas non plus l’approbation de Benoît Payan, car elle « ne mettra pas fin au trafic ». « Mes ennemis, c’est ceux qui ont du sang sur les mains, ce sont les narcotrafiquants », se démarque-t-il. Même si, « évidemment, les consommateurs doivent se poser la question de ce qu’ils font ».

Emmanuel Macron, aux côtés de Renaud Muselier et de Martine Vassal, sur le chantier de la gare Saint-Charles, à Marseille, le 16 décembre 2025.

Présent lors de l’inauguration par le chef de l’Etat d’un commissariat dans les quartiers nord de Marseille, puis à l’inauguration de la prison des Baumettes, Benoît Payan boude en revanche la visite du chantier de la future extension de la gare de Marseille-Saint-Charles. Sa rivale, Martine Vassal, présidente de la Métropole Aix-Marseille-Provence, candidate à la mairie à la tête d’une alliance entre la droite et les macronistes, et Renaud Muselier, président (Renaissance) de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, y prennent la parole avant Emmanuel Macron. Pour le maire, la modeste cérémonie relève de la « séquence électorale ». « Que le président vienne soutenir ses amis, c’est tout à fait normal. Quel démocrate pourrait lui en vouloir ? », lâchera-t-il, patelin, devant les journalistes.

[Source: Le Monde]