RD Congo: après l’avoir qualifiée de "clochards", le président Félix Tshisekedi veut redonner de la "dignité" à son armée

Le président Félix Tshisekedi a provoqué une vive polémique en évoquant l’état des forces armées congolaises. Sur la page Facebook de la présidence, il a affirmé avoir trouvé " une armée de clochards" à son arrivée au pouvoir en 2019. Des propos qu’il a tenu à clarifier lors d’une conférence de presse, ce mardi 16 décembre. TV5MONDE a contacté le directeur du pôle violences d’Ebuteli, Pierre Boisselet, pour mieux comprendre le contexte de ces déclarations.

Déc 17, 2025 - 13:17
RD Congo: après l’avoir qualifiée de "clochards", le président Félix Tshisekedi veut redonner de la "dignité" à son armée
Le président congolais Félix Tshisekedi passe en revue une garde d’honneur lors de sa cérémonie de prestation de serment pour un second mandat à Kinshasa, en République démocratique du Congo. Photo AP Guylain Kipoke

Une “armée de clochards”. Voilà comment Félix Tshisekedi, président de la République démocratique du Congo, affirme avoir trouvé les militaires de son pays en 2019, lors de son ascension au pouvoir. Le chef de l'État congolais aurait tenu ces propos durant un face-à-face avec des membres de la jeunesse congolaise, ce samedi 13 novembre. Dans une vidéo publiée sur la page Facebook officielle de la présidence, on y voit Félix Tshisekedi, micro à la main, s'exprimer publiquement. 

Le président énumère les raisons qui le pousse à penser que les Congolais manquent de "patriotisme", jusqu’à aborder la question de son armée. “Lorsque je suis arrivé à la tête de ce pays, j’ai trouvé une armée, pardonnez-moi l’expression, de clochards”, affirme-t-il face à un parterre de jeunes. 

Cette phrase a déclenché une vive polémique sur les réseaux sociaux. Pour y répondre, Félix Tshisekedi a organisé une conférence de presse le mardi 16 décembre. "Lorsque je dénonce parfois, avec des mots durs, l’indignité des conditions de vie dans lesquelles tant de nos compatriotes ont été contraints pendant des années, ce n’est jamais pour les mépriser, et certainement pas nos vaillantes forces de défense et de sécurité", affirme-t-il à son pupitre. "Mais pour mettre l’État face à ses responsabilités et rappeler l’urgence de leur rendre, par des actes, la dignité qui leur est due".

Un chef des armées impuissant en 2019

Ces propos interviennent alors que l’armée congolaise subit des revers dans l'est du pays. Dans ce contexte, Félix Tshisekedi a ajouté vouer une "admiration sans faille" à ses militaires, en particulier aux soldats du rang. Par le passé, "ces hommes étaient envoyés au combat sans rations, sans solde, sans munitions, sans encadrement, et on leur demandait pourtant de faire des miracles. Et il leur est arrivé, malgré tout, d’en accomplir", admet-il en poursuivant son discours.

Selon Pierre Boisselet, le directeur du pôle violences d’Ebuteli, un institut de recherche congolais, le président Félix Tshisekedi ne s’est pas attelé immédiatement à la réforme de l’armée durant les premières années de son mandat. 

Lorsque Félix Tshisekedi est arrivé au pouvoir, il était relativement faible politiquement. En 2019, la majorité au Parlement était du côté de son prédécesseur, Joseph Kabila, qui a très largement façonné l'armée actuelle.

Pierre Boisselet, directeur du pôle violences chez Ebuteli, à TV5MONDE

Une armée formée d’agrégats

Comment est composée cette armée congolaise? "Elle résulte d’un agrégat de soldats issus de plusieurs forces armées qui l'ont rejointe au fil des années", explique Pierre Boisselet. "On peut considérer que les premières composantes étaient les forces armées zaïroises, ou l’armée du Zaïre, aujourd’hui République démocratique du Congo. Puis l’armée a connu plusieurs recompositions successives", en intégrant des combattants des différents groupes armés qui ont mené la guerre dans ce pays. "La plus récente fait suite à la Conférence de Goma en 2008", conclut-il.

Cette conférence, initiée par l’ancien président Joseph Kabila, avait pour objectif de trouver une issue pacifique à la guerre dans l'est de la RDC. À l’issue d'un accord de paix signé en janvier 2008, les combattants pouvaient soit quitter les milices pour retourner à la vie civile, soit être intégrés à l’armée régulière, tout en bénéficiant d’une amnistie pour les actes de guerre "ordinaires", dont sont exclus les crimes les plus graves.

"Un soldat de l’armée congolaise peut se retrouver à accomplir des tâches qui ne font pas partie de ses missions, comme le gardiennage ou la sécurisation d’une exploitation minière. Car ce soldat obéit à un commandant qui, parfois, préfère utiliser ses troupes pour s’enrichir plutôt que pour remplir sa fonction première : protéger la Nation", poursuit Pierre Boisselet.

Des milliards consacrés à l’armée congolaise

Selon le chercheur, ce qui a changé, c’est le budget alloué à la défense. "Félix Tshisekedi a investi des milliards dans le budget de la défense pour renforcer la sécurité du pays. Une partie a bénéficié aux soldats, mais c'est une partie minoritaire. Ils ont surtout été consacrés aux moyens techniques et à des sociétés militaires privées, comme Congo Protection et Agemira", explique-t-il.

Pourtant, le président congolais a affirmé, ce samedi 13 décembre, avoir fait de "la situation sociale" de ses soldats une priorité.

"J’ai cherché à améliorer autant que possible leurs conditions de vie. [..] L’objectif était clair: leur permettre de se consacrer pleinement à leur mission essentielle, celle de la défense de la patrie."

Félix Tshisekedi, président de la République démocratique du Congo

En mars 2025, Félix Tshisekedi avait annoncé doubler le salaire des militaires. "En effet, les salaires des militaires ont été réévalués : un adjudant percevait 262 000 francs congolais, et ce montant a doublé par mois. Cependant, la valeur du franc congolais par rapport au dollar a beaucoup baissé ces dernières années. Ainsi, si l’on raisonne en dollars, ce doublement correspond en partie à un simple rattrapage de la perte de pouvoir d’achat subie les années précédentes", admet Pierre Boisselet.

Le M23 et l'armée rwandaise, des ennemis plus forts 

Pour ce dernier, les propos tenus par le président congolais ce samedi 13 décembre sont corrélés à la situation à Uvira, une ville de la province du Sud-Kivu, en République démocratique du Congo. "Les moyens des Forces armées de la République démocratique du Congo sont limités, d’autant que depuis 2023, le M23 et l’armée rwandaise ont repris du terrain, comme l’ont montré les chutes successives de plusieurs villes, dont celle de Bukavu", explique-t-il, affirmant par ailleurs que les deux camps ne jouent pas à armes égales. 

[Source: TV5Monde]