Donald Trump impose un blocus maritime contre les pétroliers du Venezuela, semblant viser la chute de Nicolas Maduro
Le flou demeure sur les intentions véritables du président américain, qui oscille entre lutte affichée contre les cartels de la drogue et l’immigration illégale et volonté de voir s’effondrer le régime vénézuélien, en le privant de ressources.
L’escalade est nette. Le cadre juridique de l’intervention, plus flou que jamais. Par un simple message sur son réseau, Truth Social, dans la soirée du mardi 16 décembre, le président des Etats-Unis, Donald Trump, a annoncé que l’armée américaine – et plus précisément « la plus large armada jamais assemblée dans l’histoire de l’Amérique du Sud » – organisait le blocus maritime « total » du Venezuela, pour empêcher toute circulation des navires pétroliers de ce pays, frappés de sanctions. L’objectif semble être l’effondrement du régime local, faute de ressources, en évitant une intervention militaire américaine au sol, aux conséquences imprévisibles. Le 2 décembre, Donald Trump avait présenté comme imminentes des frappes aériennes au Venezuela même.
Un grand flou s’installe. Il entoure les intentions véritables de l’administration américaine, qui oscille en permanence entre des registres différents : la lutte contre l’immigration illégale, contre la drogue et ses cartels, contre le régime de Nicolas Maduro, contre ses ressources économiques. Ce flou concerne aussi l’ampleur de la campagne ainsi lancée, les moyens militaires sollicités et le cadre légal dans lequel elle s’inscrit.
Selon Donald Trump, le « régime illégitime » de Nicolas Maduro utilise le profit engendré par le pétrole afin de financer ses activités criminelles, comme « le terrorisme de la drogue, le trafic d’êtres humains, le meurtre et le kidnapping ». Le Venezuela est accusé d’avoir au préalable « volé » les champs pétroliers et d’autres actifs aux Etats-Unis. Au total, selon le site d’information américain Axios, 18 navires pétroliers se trouveraient actuellement dans les eaux de ce pays, susceptibles d’être saisis par les forces américaines.
Le secteur pétrolier, pilier de l’économie locale
Donald Trump a précisé qu’il comptait désigner le régime vénézuélien comme « organisation terroriste étrangère ». Washington a déjà retenu cette appellation depuis janvier pour différents cartels de la drogue, comme Tren de Aragua et le Cartel de los Soles, que Nicolas Maduro a été accusé de diriger. Le Venezuela est frappé par des sanctions américaines contre des individus et des entités depuis 2005, prises par les présidents successifs et le Congrès. Au début, le reproche principal était l’absence de coopération dans la lutte antidrogue et le contre-terrorisme. Au pouvoir depuis 2013, Nicolas Maduro a vu ces sanctions se renforcer sous la première administration Trump, qui avait gelé les actifs du gouvernement aux Etats-Unis, en 2019. Puis le démocrate Joe Biden avait tenté, en vain, une approche plus incitative, afin de pousser le régime à une ouverture démocratique et des élections libres, finalement entachées de fraudes.
Le secteur pétrolier est le pilier de l’économie locale. Il a été nationalisé au milieu des années 1970. Le déclin de la production et la difficulté technologique pour le forage dans de nouveaux champs incroyablement prometteurs ont toutefois poussé le régime, dans les années 1990, à inviter de grands groupes étrangers pour les exploiter ensemble. Mais, en 2007, le prédécesseur de Nicolas Maduro, Hugo Chavez, a forcé la plupart de ces groupes à céder la majorité des parts dans ces projets communs, sous peine d’expropriation.
Il y a une semaine, les Etats-Unis avaient saisi un premier navire tanker. Selon le New York Times, il s’agissait du Skipper, qui avait quitté la côte du Venezuela, le 4 décembre, à destination de Cuba, dans le cadre de l’effort de soutien à l’île de la part de Caracas. Comme Hugo Chavez, Nicolas Maduro offre de longue date du pétrole à bas prix au régime communiste et commerce activement avec la Chine. Mais, d’après le Wall Street Journal, cette première interception n’a guère eu de conséquences pour un acteur majeur du commerce pétrolier, le géant Chevron. Fin 2022, le président Joe Biden avait accordé une licence à ce groupe pour exploiter et exporter du pétrole vénézuélien, avec son partenaire local, Petroleos de Venezuela. A la mi-octobre, Donald Trump assurait que le gouvernement de Caracas avait « tout offert » – allusion à une offre non confirmée d’exploitation des ressources naturelles locales. « Vous savez pourquoi ?, ajoutait le président. Parce qu’il ne veut pas déconner avec les Etats-Unis. »

« Un acte de guerre »
La présence militaire américaine est actuellement si dense, en mer et dans les airs, que deux collisions avec des avions civils ont été évitées de justesse ces derniers jours, selon CNN. Près de 15 000 soldats sont déployés dans la région. Les Etats-Unis ont notamment conduit 25 frappes contre des embarcations présentées comme transportant de la drogue, dans les Caraïbes, tuant 95 personnes. La légalité de ces frappes est fortement contestée au Congrès et par l’ensemble des juristes spécialisés, évoquant de possibles assassinats extra-judiciaires.
Dans un long portrait de Susie Wiles, publié mardi par le magazine Vanity Fair, la cheffe de cabinet de Donald Trump faisait une confidence en novembre, concernant la stratégie dans le dossier vénézuélien. Le président « veut continuer à exploser des bateaux jusqu’à ce que Maduro jette l’éponge. Et des gens bien plus intelligents que moi sur ce sujet disent qu’il le fera ». Ce qui se dessine, dans ce propos de Susie Wiles, est la volonté non dite de provoquer un changement de régime. Le lien avec la lutte antidrogue paraît bien ténu.
Le 14 décembre, sur ABC, le sénateur démocrate de la Virginie Mark Warner réclamait des explications devant le Congrès, seul autorisé à déclarer formellement la guerre. « Je ne sais pas quel est l’objectif du président vis-à-vis du Venezuela, disait-il. Nous savons tous que l’histoire des interventions américaines en Amérique centrale et en Amérique du Sud depuis cent ans n’a pas été une superhistoire. » Mardi soir, le représentant démocrate du Texas Joaquin Castro écrivait, sur X, qu’un blocus maritime est « sans conteste un acte de guerre. Une guerre que le Congrès n’a pas autorisée et dont le peuple américain ne veut pas ».
Donald Trump se retrouve dans une équation politique très complexe, par rapport à sa base et à l’opinion américaine en général. Le monde MAGA (Make America Great Again) est foncièrement hostile à toute nouvelle aventure militaire à l’étranger. Plus largement, les Américains sont aujourd’hui focalisés sur le coût de la vie, estimant que Donald Trump a échoué sur ce front depuis un an.
[Source: Le Monde]