Est-ce bien raisonnable de… porter un costume pour devenir respectable ?
Dans la mode comme dans la vie, il convient de connaître les limites à ne pas franchir. Ou alors en connaissance de cause.

De toutes les évolutions récentes du vestiaire masculin – bousculé par l’affirmation du sportswear, la fashionisation des goûts et la dépénalisation du port des Crocs –, la plus spectaculaire concerne sans aucun doute le costume. A mesure de la transformation du monde du travail, celui-ci a en effet perdu sa place centrale dans nos garde-robes. Le port du costume, autrefois d’une confondante banalité, est ainsi devenu un acte significatif, engagé et même, semble-t-il, politique.
Il suffit de regarder à l’extrême droite de notre classe dirigeante pour constater un goût particulier pour celui-ci. Trois ans après que Marine Le Pen a imposé aux députés du Rassemblement national d’arborer le costume-cravate à l’Assemblée nationale, par opposition à l’abandon de celui-ci par les troupes LFI, le patron du parti, Jordan Bardella, se plaît à porter avec une insistance frôlant le dandysme des ensembles ajustés à ses mesures, souvent croisés, parfois ornés de rayures tennis et toujours souplement épaulés.
Dans un genre proche, et dans un style non moins affirmé, la chaîne d’information en continu de Vincent Bolloré, CNews, voit défiler à longueur de journée, et de débats sur le péril woke, des éditorialistes en costumes chatoyants, suavement cravatés et accessoirisés de pochette. A la pointe du phénomène, le dénommé Pascal Praud arbore même régulièrement des ensembles blancs, roses, à carreaux de fenêtre ou imposantes rayures tennis.
Si nous sommes évidemment mal placé pour reprocher à qui que ce soit d’aimer se vêtir, l’ampleur du phénomène, également tangible sur les réseaux sociaux et leurs comptes dits « sartoriaux », nous encourage à poser ici une minuscule précision. Il ne s’agirait pas, en effet, que le port du costume passe pour autre chose qu’un sujet esthétique. Car, si un Français bien costumé peut à la rigueur revendiquer d’incarner l’élégance de son pays (et encore : les beaux costumes de Bardella sont made in China…), il n’a aucun droit à prétendre incarner ses prétendues valeurs.
A toutes fins utiles, allons encore un peu plus loin dans l’évidence. Ni la tenue d’un homme, ni son goût ou sa richesse à se vêtir ne font sa qualité profonde… Le constat est tout simple : un homme en costume impeccable, cravate et pochette, ne vaut intrinsèquement pas mieux qu’un homme habillé en survêtement et chaussé de Crocs. Oui, même de Crocs.
[Source: Le Monde]