Antoine, 29 ans, monteur vidéo, entre 1 200 et 3 000 euros net selon les mois : « Mon métier connaît une forme d’ubérisation »

« La bonne paye ». Que signifie bien gagner sa vie ? Comment se projettent-ils dans l’avenir ? Antoine envisage une réorientation, éreinté par les conditions de travail qui prévalent dans le secteur audiovisuel.

Sep 29, 2025 - 11:11
Antoine, 29 ans, monteur vidéo, entre 1 200 et 3 000 euros net selon les mois : « Mon métier connaît une forme d’ubérisation »
JULIE JUP

Je gagne entre 1 200 et 3 000 euros net selon les mois. Je suis monteur vidéo à Paris. J’ai dû adopter le statut d’autoentrepreneur. Les entreprises de l’industrie audiovisuelle préfèrent recruter des free-lances, c’est tellement plus simple pour elles : pas de congés à gérer, pas d’assurance-maladie, pas d’Urssaf à calculer. Et, du côté du travailleur, pas de limite horaire, pas de vacances, pas de titres-restaurant, pas de 13e mois. Je songe à me réorienter.

Je suis né il y a vingt-neuf ans à Landerneau, dans le Finistère. Je suis issu d’une fratrie de quatre enfants. Ma mère est professeure d’espagnol dans un collège, mon père est ingénieur télécoms. Ils sont divorcés.

D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours voulu faire du cinéma. A l’école, je faisais un peu le clown, je n’étais pas très discipliné. J’ai grandi avec Harry Potter, j’ai adoré les sagas de Peter Jackson [célèbre notamment pour son adaptation des livres de J. R. R. Tolkien], j’aime le cinéma indépendant américain et le cinéma français. A 10 ans, je voulais être scénariste, réalisateur et acteur.

En fin de 3e, ma mère m’oriente vers le lycée Joseph-Savina, à Tréguier (Côtes-d’Armor), un établissement qui ouvre à des options comme arts du cirque, arts appliqués et cinéma audiovisuel… J’apprends les étapes de la réalisation, la rédaction de scénario, le maniement de la caméra, le montage, les lumières. Je suis dans mon élément. J’obtiens un bac littéraire option cinéma, en 2014. Sur la plateforme d’orientation post-bac (alors APB), je pose ma candidature pour la classe de mise à niveau cinéma-audiovisuel du lycée Robert-Doisneau, à Corbeil-Essonnes (Essonne).

A la rentrée, je décohabite. J’ignorais tout de Paris et je découvre Massy-Palaiseau (Essonne), les grandes tours, la ville complètement bétonnée. C’est un choc. Ma mère me loue un studio pour 400 euros, mon père ajoute 400 euros d’argent de poche et je touche des aides personnalisées au logement. Cette année est formidable. Je rencontre de belles personnes, étudiants et enseignants. J’apprends à connaître Paris. Je veux poursuivre dans cette voie. Je candidate à plusieurs BTS, mais je suis refusé partout. J’atterris dans le seul cursus qui m’accepte : une licence arts du spectacle à l’université de Rennes-II. Une formation que j’avais cochée par défaut.

« Une expérience intense et difficile »

Nous sommes à l’été 2015. Je bosse dans un restaurant de Perros-Guirec (Côtes-d’Armor), où je fais la plonge. Je mets l’argent gagné de côté. A la rentrée, mes parents me louent pour 400 euros un studio près de l’université. Mon père ajoute toujours 400 euros d’argent de poche. En octobre, mes parents paient mon permis de conduire ; je l’obtiens du premier coup. Puis, en décembre, mon père m’achète une 206 Peugeot avec alors 300 000 kilomètres au compteur pour 1 000 euros. On la répare ensemble. J’ai une voiture, c’est plutôt cool. La vie à la faculté, beaucoup moins.

Je rate mes partiels dès le premier semestre. J’abandonne d’autant plus vite que j’ai un projet de court-métrage. Je touche une aide financière de 800 euros du centre régional information jeunesse de Bretagne. Le film coûte 2 000 euros. Je paie le solde avec mes économies. La réalisation du film m’accapare jusqu’en septembre 2016. L’université, c’est fini. Je décroche une place dans un BTS de montage à Roubaix, fin août. Direction le Nord. Je trouve une colocation, toujours payée par mes parents, pour 290 euros par mois.

Pendant deux années, j’apprends mon métier : la réalisation de vidéos. L’été, je fais des remplacements pour une société d’aide à domicile pour les personnes âgées et handicapées. Je suis payé 11 euros net de l’heure. Je travaille entre seize et quarante heures par semaine. C’est une expérience intense et difficile.

Diplôme en poche, je décide de voir du pays. En 2018, je pars en Irlande, à Galway. Je fais la plonge dans un restaurant. Je vis modestement. Mes parents ont cessé de m’aider financièrement. Puis, l’année suivante, je m’envole pour Valparaiso, au Chili. J’avais envie de partir loin, de découvrir d’autres vies.

Fin 2019, je reviens à Paris. Le pays est en ébullition : manifestations et grèves paralysent la France. Début 2020, je trouve un job de technicien audiovisuel pour Canal+. Un CDD. Mon premier contrat dans mon domaine. Je fais des horaires décalés, de 8 heures à 20 heures une semaine, puis de 20 heures à 8 heures du matin la semaine suivante. Je gagne alors 2 000 euros net par mois, à quoi s’ajoutent des titres-restaurants et le 13e mois. C’était plutôt bien payé, mais les horaires décalés m’empêchaient de dormir. Cela foutait ma santé en l’air.

« Je n’ai jamais été à découvert »

En janvier 2021, je décroche un « CDD d’usage » chez un leader de la vidéo d’information en ligne en tant que monteur. Ce type de contrat donne une grande flexibilité à l’employeur. Je suis rémunéré 1 700 euros net, pour trente-cinq heures par semaine, avec cinq jours de congé offerts… par an. Je signe un nouveau contrat en février 2022. J’ai fait suffisamment d’heures pour avoir le statut d’intermittent du spectacle. Mes conditions de travail s’améliorent : je touche 1 900 euros net et j’ai la possibilité de prendre des jours chômés, payés par France Travail. Enfin, j’ai droit au mois de congé spectacle, l’équivalent du 13e mois pour les intermittents.

J’occupe une colocation. Pour 500 euros, je partage avec deux personnes 50 mètres carrés dans le 19e arrondissement de Paris. Je vis toujours modestement, mais j’arrive à sortir avec des amis, je vais au cinéma, je pars en week-end… Je n’ai jamais été à découvert.

En 2022, je cumule les revenus que je dégage en tant qu’autoentrepreneur auprès d’une demi-douzaine de médias numériques sur les réseaux sociaux – et qui varient de 130 à 2 300 euros en fonction des mois – avec ceux du chômage (entre 1 000 et 1 600 euros par mois), qui sont également variables selon le chiffre d’affaires que je fais.

Désormais, les intermittences se raréfient, les entreprises recrutent de moins en moins et utilisent des free-lances qui sont, en réalité, des employés déguisés, mais sans aucun avantage. Mon métier connaît une forme d’ubérisation. Je ne suis pas certain que l’usage de l’intelligence artificielle ne le fasse pas rapidement disparaître.

Je garde en tête le métier essentiel que je faisais lorsque j’étais étudiant : aide à la personne. J’envisage de me réorienter. Je dois rencontrer prochainement un conseiller de France Travail pour voir si je peux intégrer une formation en soins infirmiers. Je pense quitter Paris et rejoindre ma Bretagne et mes parents.

[Source: Le Monde]