En Moldavie, le parti proeuropéen de la présidente, Maia Sandu, remporte la majorité absolue au Parlement
Le Parti action et solidarité obtient plus de 50 % des voix après le dépouillement de 99 % des bulletins de vote, ce qui lui octroie 55 sièges sur 101 au Parlement moldave. La coalition d’opposition, le Bloc patriotique, a appelé à manifester lundi pour contester les résultats en cas de « fraudes ».

Le soulagement est grand pour les partisans du parti proeuropéen Parti action et solidarité (PAS) de la présidente moldave Maia Sandu. Au siège de son parti, à Chisinau, la tension était palpable lors des premiers dépouillements au soir des élections législatives qui ont eu lieu dimanche 28 septembre en Moldavie. Le PAS est vite passé en tête, mais l’optimisme restait discret : allait-il obtenir la majorité absolue, contrairement aux pronostics ? Ce n’est que vers 1 heure du matin (heure de Chisinau), que la crainte d’un gouvernement minoritaire face à des partis prorusses s’est envolée.
Le PAS a finalement récolté plus de 50 % des voix après la validation de 99,5 % des procès-verbaux, ce qui lui permet d’obtenir la majorité absolue. Selon les projections, il obtiendrait 55 sièges sur 101, contre 63 dans l’assemblée sortante. Le parti prorusse le Bloc patriotique est loin derrière avec 24,2 % des votes, suivi du Bloc « Alternative » (7,9 %) et Notre Parti (6,2 %), deux formations qui se déclarent proeuropéennes mais anti-PAS, et qui entreront également au Parlement.
L’autre petite surprise est l’entrée au Parlement de Democratia Acasa, « la démocratie à la maison », parti qui souhaite l’union de la Roumanie à la Moldavie. Il a dépassé de peu le seuil minimal des 5 % pour obtenir des sièges. Ce parti a été propulsé sur les réseaux sociaux par l’extrême droite roumaine, en surfant sur un message anti-PAS similaire au discours prorusse.
« Ingérences de la Russie »
Le taux de participation, de 52 %, est en hausse par rapport à 2021 (48 %), tandis que les votes de la diaspora ont atteint un nombre record pour des élections législatives : plus de 280 000 personnes ont voté de l’étranger, dont 78 % pour le PAS, lui permettant d’atteindre la majorité dans ce scrutin proportionnel. Dans un discours en début de soirée, le chef de file du parti, Igor Grosu, a félicité les électeurs, tout en rappelant les « ingérences de la Russie » qui ont perturbé la campagne. En début de semaine, la présidente, Maia Sandu, avait dénoncé les centaines de millions d’euros déversés par Moscou pour acheter des voix et orchestrer des campagnes de désinformation en ligne.
Pour cette ancienne république soviétique, candidate à l’entrée dans l’Union européenne (UE) depuis 2022, cette victoire du PAS signifie également la poursuite des négociations et des réformes, notamment de la justice, et du soutien à l’Ukraine voisine. Le parti a d’ailleurs axé sa campagne sur les questions géopolitiques et son rejet de la Russie. Ce discours aurait pourtant pu lui porter préjudice, alors que la Moldavie subit une crise économique, liée notamment à la hausse des coûts de l’énergie depuis que le pays s’est peu à peu détaché du gaz russe, utilisé comme outil de chantage par le Kremlin. Les partis d’opposition avaient ainsi exploité cette augmentation du coût de la vie contre le gouvernement, alors que le salaire minimum brut est de 280 euros.
Les décisions récentes des autorités de Chisinau ont aussi donné du grain à moudre à l’opposition, qui n’hésite pas à qualifier la gouvernance du PAS et les actions de la Commission électorale centrale (CEC) de « dictature », reprenant la propagande du Kremlin. A quelques jours du scrutin, la CEC a radié deux partis des élections législatives, Inima Moldovei (« Le cœur de la Moldavie »), du Bloc patriotique et Moldova Mare (« La Grande Moldavie). Ils sont soupçonnés de financements illicites, dont des aides de Moscou. Pour les autorités moldaves, ces décisions, sont nécessaires face à la « guerre hybride » menée par la Russie, qui souhaite garder la Moldavie dans sa sphère d’influence.
Le cas de la Transnistrie
Un autre cas a toutefois suscité les critiques, non seulement des partis d’opposition mais aussi de la société civile : le manque de bureaux de votes pour la Transnistrie, région séparatiste prorusse qui a fait sécession en 1992 mais dont l’indépendance n’est pas reconnue internationalement. Environ 370 000 personnes, en plus des 2,5 millions d’habitants que compte la Moldavie, vivent dans cette région majoritairement russophone qui jouxte l’Ukraine et où sont stationnés de 1 500 à 2 000 soldats russes. Si la Transnistrie a son président et son conseil suprême, la majorité de la population possède un passeport moldave et peut donc participer aux scrutins sur le territoire contrôlé par Chisinau.
A Anenii Noi, bourg de quelque 9 000 âmes, à une trentaine de kilomètres de la capitale, de nouvelles urnes destinées aux Transnistriens ont été installées, quelques jours avant le scrutin, entre les murs vert pastel de l’école des arts. Lors de la présidentielle et du référendum pour l’adhésion à l’UE en octobre 2024, 30 bureaux de vote étaient destinés aux Transnistriens. Cette année, seulement 12 ont été ouverts par le gouvernement moldave, dont cinq relocalisés plus loin de la Transnistrie à trois jours du scrutin, comme celui à Anenii Noi. L’opposition et les autorités de Tiraspol ont dénoncé une entrave au vote pour les électeurs de la région. De fait, près de 12 000 personnes ont participé au vote, contre 28 000 aux législatives de 2021, où 41 bureaux étaient ouverts. Chisinau a justifié cette décision pour des raisons de sécurité : des perturbations pouvaient avoir lieu dans certaines localités de la « zone de sécurité », la zone tampon à la frontière administrative.
Le vote de Transnistrie apparaît pourtant plus divers qu’il n’y paraît : seulement la moitié a voté pour le Bloc patriotique, tandis que le PAS y a obtenu 30 % des voix et le Bloc « Alternative », près de 9 %. C’est beaucoup plus de voix pour le PAS que dans d’autres cantons du pays. Certains électeurs de Transnistrie, comme Alexander (qui n’a pas voulu donner son nom de famille), réclament « la paix » et que la Moldavie reste « neutre » en gardant des liens avec la Russie, comme le souhaite le Bloc patriotique.
Le trentenaire originaire de la ville de Bender, père d’un enfant de 4 ans, craint que la guerre n’arrive à ses portes avec le PAS au pouvoir. Dimitri, 27 ans, le crâne rasé et l’allure imposante, est lui venu voter avec son ami pour soutenir sa « présidente Maia Sandu » et l’entrée dans l’UE, « loin de la Russie ». L’ingénieur en informatique, qui vit à Tiraspol et travaille à distance pour une entreprise basée à Chisinau, ne reconnaît pas le régime de Transnistrie et espère qu’une réunification aura lieu entre les deux territoires.
Crainte de perturbations
Vers 16 heures, des voitures de police et un camion de pompiers s’arrêtent devant le bureau de vote d’Anenii Noi. Plusieurs hommes en uniforme font le tour de l’école puis repartent aussi vite qu’ils sont arrivés. Une fausse alerte à la bombe. Plusieurs attaques cybernétiques et alertes de ce type ont émaillé la journée, aussi bien en Moldavie que dans les bureaux de votes à l’étranger, sans perturber le processus du vote pour la plupart d’entre eux. L’une des alertes a toutefois bloqué un pont qui relit la Transnistrie au reste de la Moldavie, décourageant certains électeurs.
Quelques heures après les premiers résultats, l’ancien président Igor Dodon, à la tête du Bloc patriotique, a participé à une manifestation nocturne avec quelques dizaines de personnes devant le siège de la CEC, à qui il a demandé de ne pas préparer des « manigances », car la majorité de la Moldavie, selon lui, est « contre le PAS ». Il a appelé la population à se rassembler, lundi à midi, pour défendre la « victoire du peuple contre le PAS ». « S’il y a des fraudes ce soir, demain nous ne reconnaîtrons ni les élections législatives ni les fraudes et nous exigerons de nouvelles élections », a-t-il déclaré.
Les autorités craignent des perturbations. Le 22 septembre, la police a réalisé 250 perquisitions et interpellé 74 personnes en lien avec le réseau prorusse, dont onze ont été détenues. Ces individus ont participé à des camps d’entraînement paramilitaires en Serbie, où deux suspects ont aussi été arrêtés vendredi. Ils sont soupçonnés d’avoir voulu provoquer des perturbations avant ou après les élections. Dimanche soir, la police a arrêté trois personnes originaires de Transnistrie en possession d’objets pyrotechniques, également suspectées de vouloir encourager des déstabilisations juste après l’annonce des résultats.
[Source: Le Monde]