« Rien que d’entendre mes colocataires ouvrir la porte d’entrée m’angoissait » : à Paris, la cohabitation subie des jeunes face à la pénurie d’appartements

Dans la capitale, étudiants et jeunes actifs se heurtent à une pénurie d’appartements adaptés à leurs ressources et à leurs besoins. Certains en viennent à occuper des chambres à plusieurs ou à s’installer dans les salons, sacrifiant intimité et confort.

Sep 29, 2025 - 11:55
« Rien que d’entendre mes colocataires ouvrir la porte d’entrée m’angoissait » : à Paris, la cohabitation subie des jeunes face à la pénurie d’appartements
YIMENG SUN

« Un consensus de non-intimité » : tel est le drôle d’arrangement que doit passer Samy (qui n’a pas donné son nom) avec ses colocataires lorsqu’il emménage, à 21 ans, dans son premier appartement, à Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine), en banlieue parisienne. Jeune actif dans la restauration, il a certes essayé de trouver un logement pour lui seul. Mais il a rapidement été confronté à l’âpreté du marché immobilier parisien, où le loyer médian s’élève à 25,70 euros par mètre carré, selon l’Observatoire des loyers.

« Soit c’était trop cher, soit mon dossier ne passait pas », explique le jeune homme, qui se résout à partager un T2 avec un couple d’amis. Il se retrouve à dormir dans le salon-cuisine, qui donne sur la porte d’entrée, la cuisine et la chambre de ses colocataires : « J’étais témoin de la vie privée du couple. Et je ne pouvais pas accueillir ma propre petite amie. C’était dur. »

La situation de Samy est loin d’être un cas isolé. A Paris, le taux de suroccupation des logements – c’est-à-dire quand le nombre d’occupants dépasse celui des pièces – est de 23 %, d’après une étude de l’Atelier parisien d’urbanisme publiée en 2021, qui ne prend en compte que les logements occupés par deux personnes au moins. En première ligne face à la crise du logement, de nombreux étudiants et jeunes actifs sont contraints de partager des espaces conçus pour une seule personne, au prix de nombreux sacrifices, à commencer par la préservation de l’intimité.

« Sensation de déranger »

« Quand ma coloc ramenait son copain sans me prévenir, c’était très délicat d’accéder à la chambre. Nous étions toutes les deux en couple. On essayait tant que possible d’aller plutôt chacune chez notre copain, mais c’était pesant aussi », raconte Florence, sous le couvert de l’anonymat. Au moment de son arrivée à Paris, en 2022, dans le cadre d’un master, la jeune femme, âgée de 22 ans à l’époque, a dû partager sa chambre avec une colocataire. Elle est catégorique : « Si j’avais eu le choix, j’aurais bien sûr pris une chambre toute seule. »

Lucia (qui a souhaité modifier son prénom) était en stage lorsqu’elle a emménagé, en 2023, avec ses trois amies d’enfance, dans un appartement de trois chambres : la bande n’a pas réussi à trouver un logement adapté. Le rêve du quatuor, qui a tout fait pour se retrouver dans la capitale au même moment, s’est heurté à la réalité, remarque Lucia : « On avait des rythmes différents : ma colocataire de chambre était insomniaque, se couchait tôt et se levait tard, alors que moi, je suis couche-tard et lève-tôt. » Des « petites choses », qui, à long terme, sont devenues « pesantes » pour elle. « J’ai surtout davantage mal vécu la sensation de déranger l’autre que ne pas avoir mon espace », se remémore-t-elle.

La crainte d’être de trop pour l’autre, Juliette, étudiante de 21 ans à Dauphine, la connaît bien. Elle habite dans l’appartement d’entreprise de son père, qui vient y passer plusieurs nuits par semaine. Elle lui laisse la chambre, va dormir sur le canapé, et craint de le réveiller en passant par sa chambre pour accéder aux toilettes : « L’autre soir, j’ai hésité à faire pipi dans la rue pour ne pas le réveiller. »

Interrogé sur la question de la suroccupation des biens dont il a la charge, Jean-François Milin, directeur de l’agence Orpi Félix-Faure, dans le 15e arrondissement, affirme ne pas subir ce phénomène. Pour autant, il n’est pas surpris de son existence. Selon lui, « dans un contexte de réduction du parc locatif en Ile-de-France, l’accès au logement se fait de plus en plus difficile pour tous ».

Sentiment d’étouffement

La santé de Samy a fini par pâtir de ce mode de vie : « Rien que d’entendre mes colocataires ouvrir la porte d’entrée m’angoissait. J’étais fatigué physiquement, émotionnellement et psychiquement. » Pour compenser le sentiment d’étouffement qu’elle éprouvait dans son appartement, Juliette s’est mise en quête de calme et solitude à l’extérieur. Sauf que, dans la capitale, note-t-elle, « il est dur d’avoir des endroits où l’on respire un peu ».

Face aux difficultés que peuvent induire ces cohabitations, chacun a sa solution pour alléger son fardeau. Juliette a pris l’habitude d’aller dormir chez une amie quand son père s’installe dans sa chambre. Samy et Lucia, eux, ont trouvé un arrangement avec leurs autres colocataires : occuper leur chambre lorsque ces derniers s’en vont ponctuellement « pour souffler ». Florence adaptait son rythme de vie afin d’éviter de croiser sa colocataire. « On faisait en sorte de ne pas se réveiller ni se coucher en même temps pour ne pas avoir à se parler », se souvient-elle.

Tous s’accordent sur le fait que leur situation est insoutenable dans la durée. Samy a opté pour une autre colocation au bout d’un an et Lucia a récupéré la chambre de l’une de ses colocataires, qui a quitté le logement. Quant à Florence, elle a sauté sur une occasion, avec une chambre rien que pour elle.

[Source: Le Monde]