Tony Blair, l’ancien premier ministre britannique prêt à diriger Gaza

Tony Blair, dont la société de conseil travaille à un plan de développement pour la bande de Gaza, aurait proposé de présider un gouvernement provisoire de l’enclave en cas d’accord de paix, selon plusieurs médias.

Sep 29, 2025 - 11:05
Tony Blair, l’ancien premier ministre britannique prêt à diriger Gaza
Tony Blair à Davos, en Suisse, le 22 janvier 2025. FABRICE COFFRINI/AFP

L’ancien premier ministre britannique Tony Blair s’apprête-t-il de nouveau à jouer un rôle de premier plan ? A en croire la BBC, le Daily Telegraph et des médias israéliens, son nom est évoqué pour prendre la tête d’une future autorité intérimaire chargée de l’avenir de la bande de Gaza une fois un cessez-le-feu conclu avec Israël. « Sir Tony Blair veut diriger Gaza une fois la guerre entre Israël et le Hamas terminée », affirmait le Daily Telegraph, vendredi 26 septembre.

A 72 ans, l’ex-dirigeant travailliste se penche depuis plusieurs mois sur un plan de développement pour Gaza avec sa société de conseil, le Tony Blair Institute for Global Change (TBI), et aurait proposé de présider un gouvernement provisoire avant que le pouvoir ne soit transféré à l’Autorité palestinienne.

Le Britannique, resté dix ans au 10 Downing Street (entre 1997 et 2007), a été convié à la Maison Blanche pour une réunion sur Gaza avec Donald Trump, le 27 août. Il aurait le soutien de plusieurs proches du président américain, dont le gendre de ce dernier, Jared Kushner, et son actuel envoyé spécial pour le Moyen-Orient, Steve Witkoff.

Discussions sur une « Riviera » à Gaza

En juillet, le Financial Times révélait que des équipes du TBI avaient participé à des discussions sur la mise en place d’une « Riviera » à Gaza, avec le cabinet de conseil en stratégie Boston Consulting Group et des hommes d’affaires israéliens, dans l’idée de développer économiquement la bande côtière où plus de 65 000 Palestiniens (selon les chiffres du ministère de la santé du gouvernement du Hamas, jugés fiables par l’ONU), essentiellement des civils, ont été tués depuis le début du conflit avec Israël.

Tony Blair connaît bien la région et le conflit israélo-palestinien. En juin 2007, peu de temps après avoir quitté Downing Street, il fut nommé envoyé spécial du Quartet pour le Moyen-Orient (Nations unies, Etats-Unis, Union européenne, Russie), chargé de trouver une solution de paix durable entre Israël et les Palestiniens, et d’aider à la réalisation d’une solution à deux Etats. Il restera huit ans à ce poste, sans aboutir à des avancées significatives, mais en ayant tissé un réseau serré de relations. Si les Palestiniens s’étaient félicités, au départ, qu’une personnalité aussi connue défende leurs intérêts, ils lui ont par la suite reproché d’être trop proche des Israéliens, expliquait le Guardianen 2015.

« Il est absolument inacceptable que Tony Blair prenne la tête d’une autorité de transition à Gaza, nous n’avons pas besoin d’un dirigeant venu d’une ex-puissance coloniale », réagissait, vendredi, sur la BBC, Mustafa Barghouti, un vétéran de la politique palestinienne, à la suite des révélations sur les ambitions nouvelles du Britannique. « M. Blair a une très mauvaise réputation liée à la guerre en Irak. Et nous ne lui faisons pas confiance : s’il prend le job, il ne travaillera que pour les Israéliens », ajoutait-il. De fait, Tony Blair reste une figure très controversée, au Royaume-Uni comme à l’étranger.

L’engagement en Irak dans les mémoires

Il est certes le seul dirigeant travailliste à avoir décroché trois mandats consécutifs pour son parti. Grâce à son concept du « New Labour », il a gouverné au centre sans s’aliéner la gauche de son parti. Charismatique et visionnaire, il a su conclure un accord de paix en Irlande du Nord (l’accord du Vendredi saint, en 1998) et a débloqué des investissements importants dans l’éducation et la santé. Mais les Britanniques ne lui ont toujours pas pardonné sa décision d’engager son pays aux côtés des Etats-Unis dans la guerre en Irak, en 2003. Le conflit a tué près de 200 militaires britanniques, plus de 100 000 Irakiens, et s’il a signé la chute du dictateur Saddam Hussein, il a plongé la région dans le chaos et la guerre civile. En préférant rester « épaule contre épaule » avec George W. Bush, et défendre l’existence – qui s’est révélée fausse – d’armes de destruction massives en Irak, Tony Blair s’est en outre éloigné de ses alliés européens.

Si, en 2016, l’enquête publique Chilcot sur les responsabilités du gouvernement Blair dans le conflit irakien n’a pas conclu que le dirigeant avait menti délibérément sur l’existence des armes de destruction massive, elle a sévèrement critiqué sa façon de prendre des décisions, avec un cercle de conseillers restreints, regrettant qu’il n’ait pas assez tenu compte des avertissements sur les conséquences potentielles d’une action militaire. Tony Blair a exprimé son « chagrin, [s]es regrets et [s]es excuses » à la publication du rapport, mais sa réputation reste toujours en partie ternie. Au point que l’actuel premier ministre, le travailliste Keir Starmer, s’est rarement affiché en sa présence, même s’il s’est entouré de vétérans du New Labour, tels Pat McFadden, Yvette Cooper ou David Lammy.

Les activités de Tony Blair à la tête de sa société d’études interrogent également, tout comme sa proximité avec Larry Ellison, le patron de l’éditeur informatique et spécialiste d’intelligence artificielle Oracle, dont la richesse rivalise désormais avec celle d’Elon Musk. Selon le magazine The New Stateman, qui a publié le 24 septembre une enquête sur le Tony Blair Institute, dont le siège se situe à la City de Londres, a bénéficié, depuis 2021, d’au moins 257 millions de livres sterling (294 millions d’euros) de donations de la Fondation Larry-Ellison. Cet argent lui a permis de prendre des dimensions considérables : TBI est présent dans 45 pays et compte plus de 900 employés, dont des personnalités tels l’ex-dirigeant italien Matteo Renzi ou l’ancienne première ministre finlandaise Sanna Marin.

Le TBI prêche tant les vertus de l’intelligence artificielle que son indépendance vis-à-vis d’Oracle interroge. The New Stateman fait état des conclusions de deux sites d’investigation – Lighthouse Reports et Democracy for Sale – qui ont interviewé 29 salariés et ex-salariés de la société (la plupart sous le couvert de l’anonymat). Ils décrivent un think tank ayant tissé des rapports très étroits avec le gouvernement britannique, disposant d’un accès direct à certains ministres et organisant des « séminaires conjoints » avec Oracle. De l’avis de certains anciens employés, les donations venues de Larry Ellison « ont créé une culture interne dominée par une forme de promotion de l’intelligence artificielle qui, selon eux, revient à faire du lobbying pour Oracle ».

« Le TBI et Oracle sont deux entités séparées. Nous collaborons avec Oracle pour le travail que nous effectuons en soutien de certains des pays les plus pauvres du monde et nous en sommes fiers… Le TBI ne défend pas les intérêts commerciaux d’Oracle, ni ceux d’aucun fournisseur de technologie », justifiait un porte-parole du TBI cité par The New Stateman.

[Source: Le Monde]