David, étudiant américain à Lyon : « Je ne me sentirais pas en sécurité si je retournais aux Etats-Unis avec Trump au pouvoir »
A 28 ans, l’homme originaire de Denver a repris des études en finance. Il a rejoint la France en 2023 pour épouser sa petite amie française, mais l’élection du milliardaire a bouleversé leurs plans.

Toute la table s’est exclamée en anglais. « What ? » (« Quoi ? »). Au dernier examen de risk management (gestion des risques) à l’EM Lyon, David (qui n’a pas souhaité donner son nom de famille) a obtenu un impressionnant 19,3/20. Discret, l’étudiant américain rit de bon cœur aux louanges de ses camarades du master of science in finance, pour la plupart internationaux. C’est l’heure du déjeuner sur le campus flambant neuf de l’école de commerce lyonnaise. A deux semaines de la fin des cours, David connaît par cœur le dédale des salles aux moquettes encore propres, le « maker’s lab », où il travaille avec ses camarades entre deux cours de finance quantitative.
« Depuis la rentrée, je réserve David pour tous les travaux de groupe », s’exclame Chae, 22 ans, son camarade de classe indien, fan d’investissements et de cryptomonnaies. Si David est si bon élève, c’est qu’il a déjà un bachelor en sciences de l’informatique obtenu à l’université de Denver, aux Etats-Unis, puis cinq ans d’expérience en tant qu’ingénieur « software » dans son pays d’origine. A 28 ans, il fait partie des doyens du master, la moyenne d’âge se situe plutôt autour de 25 ans.
« Ça fait bizarre d’être à nouveau un étudiant, dans un nouveau pays, ça donne l’impression de repartir à zéro, remarque David. Mais je me réjouis des perspectives que ça ouvre pour moi. » Cette nouvelle orientation « business »doit lui permettre de fonder un jour sa propre entreprise dans la tech. « Pas en France, trop de taxes », rebondit Chae. David hausse les épaules : « Ce que j’aime avec les impôts en France, c’est qu’on voit concrètement où ils vont. »
« Penchant à gauche »
La France, David s’y projette. Il y est arrivé à l’été 2023 pour se marier avec sa copine française, Elodie, avec qui il entretenait une relation à distance. Ils ont eu une fille, Evy. Et s’il regrette les grands espaces et l’air d’altitude de la capitale du Colorado où il a grandi, il s’est adapté à la vie lyonnaise et se repère parfaitement dans les transports. En juin, il doit commencer un stage de fin de master en analyse quantitative dans une entreprise d’énergie à Lyon.
Pourtant, à l’origine, le plan était tout autre. David devait trouver une formation en France pour y retrouver Elodie et repartir aux Etats-Unis en famille pour son stage et son premier emploi. Mais, depuis l’élection présidentielle de Donald Trump, en novembre 2024, le jeune homme a changé d’avis. « Je ne me sentirais pas en sécurité si je retournais aux Etats-Unis avec Trump au pouvoir », justifie celui qui se définit politiquement comme « penchant à gauche » : « Je ne me vois pas soutenir un système qui ne considère pas les immigrés comme des personnes. »
D’origine mexicaine, David est le petit dernier de sa fratrie, et le seul à être né aux Etats-Unis. « J’ai grandi dans une famille très pauvre. Adolescent, je rêvais de gagner beaucoup d’argent, et très vite », se rappelle-t-il. Ses parents ont traversé la frontière avec ses trois aînés – illégalement, précise-t-il. Leur situation n’est régularisée qu’à ses 13 ans. Son père travaillait dans un magasin de peinture, sa mère était femme au foyer.
Lorsqu’ils parviennent à avoir accès à Internet à la maison, David se forme seul à la programmation et obtient une bourse pour un bachelor en science informatique à l’université. La première fois qu’il vote à l’élection présidentielle américaine, en 2016, il s’oriente vers le parti libertarien. Sa famille fait partie des témoins de Jéhovah, et le jeune homme a grandi dans une communauté assez traditionnelle et fermée.
« Aux Etats-Unis, les gens sont plus superficiels »
Si ses parents ne parlent pas de politique – c’est interdit par leur croyance –, une partie de sa famille proche penche plutôt pour les républicains. Mais, au cours de ses études, David s’écarte de la communauté religieuse et s’ouvre à une autre vision politique. « Je pense que le plus grand fossé entre les partisans de Trump et les autres est l’éducation, relève-t-il. Pour moi, beaucoup de personnes ne parviennent pas à naviguer dans l’état actuel du capitalisme aux Etats-Unis, et trouvent des gens à qui en vouloir : les femmes, ou les immigrés… » A Lyon, lorsque les conversations deviennent politique entre étudiants en finance, David est souvent isolé avec ses idées, un peu plus left wing (aile gauche) que la moyenne pour la filière.
Mais il apprécie la liberté de ton avec laquelle chacun s’exprime. Il l’observe plus généralement chez les Français : « Ils disent ce qu’ils pensent. C’est moins le cas aux Etats-Unis, les gens sont plus superficiels. » L’Américain a dû s’adapter à ce genre de discordances liées au relationnel. « J’ai aussi plus l’habitude de parler à des inconnus dans les lieux publics. C’est normal, chez nous, mais, en France, tu dois trouver une excuse pour que ton approche ne soit pas bizarre. »
Au détour d’un couloir, quand il entend le récit des frasques de la soirée de la veille, David écoute les anecdotes en riant. D’ailleurs, il n’est pas allé à une seule soirée depuis la rentrée. David n’est pas un étudiant comme les autres – il est marié et papa. Pour mieux comprendre, il faut le suivre le long de la ligne de métro B, qui traverse le Rhône en direction du sud, puis dans un bus, pour arriver à Saint-Genis-Laval. Devant la médiathèque de cette commune tranquille de la banlieue lyonnaise l’attendent sa femme et sa fille, en salopette rose dans sa poussette. Elodie, une ancienne éducatrice spécialisée, a arrêté de travailler après son accouchement, et ils vivent tous les trois dans l’appartement de cinquante mètres carrés qu’elle occupe depuis une dizaine d’années. A deux pas de la médiathèque se trouve le bâtiment de la mairie où le couple s’est marié.
« Etape par étape »
Les amoureux se remémorent leur rencontre. Il y a quatre ans, lorsque David se renseigne sur les formations en commerce qu’il pourrait faire pour ouvrir sa propre entreprise, il tombe sur des MBA en France, moins chers qu’aux Etats-Unis. Il est bilingue en anglais et espagnol, mais ne parle pas français. Il télécharge HelloTalk, une application d’échanges linguistiques.
C’est là qu’il rencontre virtuellement une Française qui souhaite apprendre l’anglais : Elodie. Le coup de foudre est immédiat. Au bout de trois mois, elle lui rend visite à Denver. Après un an de relation, ils échafaudent leur plan : David viendra pour une année d’étude en France, ils pourront se marier, puis déménager ensemble aux Etats-Unis.
« Rien ne s’est vraiment passé comme prévu », note Elodie en riant. La formation en machine learning que devait suivre David à l’INSA Lyon est annulée au dernier moment, il doit en trouver une autre pour l’année suivante. Puis Elodie tombe enceinte, alors qu’ils se voyaient devenir parents dans une situation plus stable. Mais le couple prend la vie du bon côté. David a beaucoup économisé sur la période où il était ingénieur aux Etats-Unis, et ils peuvent tenir avec ça le temps de sa formation, qui coûte elle-même plus de 20 000 euros.
Leur quotidien est celui d’un couple de jeunes parents : des promenades dans leur petite ville, le marché, les bébés nageurs… Si le deux-pièces suffit encore à la petite famille, leur objectif est de déménager dès que David aura un salaire assez important, à Lyon ou ailleurs en France. Quoi qu’il en soit, depuis leurs premiers échanges virtuels à 8 000 kilomètres de distance, David et Elodie ont tout fait « étape par étape » – et ils n’ont plus peur.
[Source: Le Monde]