"Laissez-moi être une enfant, pas une épouse": douze millions de filles mariées chaque année sans l'avoir choisi
Chaque année, 12 millions de filles sont mariées avant l’âge de 18 ans, soit une fille toutes les 3 secondes. Abandon scolaire, maternité imposée, isolement social, dépendance économique: l'ONG Plan International France alerte sur les conséquences dévastatrices de ce fléau.

"Un jour, je suis arrivée au marché. Il y avait beaucoup de voitures. Un jeune m'a appelée. Il voulait discuter avec moi. Un autre est sorti d'une voiture. Ils m'ont pris tous les deux". Voilà commence l'histoire de Marie*, du Togo, dont Terriennes a pu recueillir le témoignage.
[*prénom d'emprunt]
Elle n'a que 17 ans quand elle est enlevée par deux inconnus. Dans la voiture qui l'emmène loin de chez elle, un troisième homme, le visage dissimulé sous une capuche. Elle apprendra vite qu'il s'agit de celui qui va devenir son mari. Il a vingt ans de plus qu'elle. Le mariage traditionnel suivra, loin de sa famille.
Au mépris des droits
Comme Marie, chaque année dans le monde, 12 millions de filles sont mariées avant l’âge de 18 ans, au mépris des conventions internationales et de leurs droits fondamentaux.
Partout, les filles nous ont expliqué que, même si leurs mariages n’étaient pas légalement enregistrés, ils étaient célébrés ou officialisés par leurs communautés et leurs familles, et que cela était accepté. Rapport Plan international France
"Partout, les filles nous ont expliqué que, même si leurs mariages n’étaient pas légalement enregistrés, ils étaient célébrés ou officialisés par leurs communautés et leurs familles, et que cela était accepté", lit-on dans le rapport annuel de Plan International France publié à l’occasion de la Journée internationale des filles le 11 octobre.
Pour cette enquête intitulée "Laissez moi être une enfant, pas une épouse", l'ONG a recueilli les témoignages de 251 filles et jeunes femmes dans quinze pays: Bangladesh, Cambodge, Indonésie, Népal, Éthiopie, Mozambique, Ouganda, Zambie, Colombie, République dominicaine, Guatemala, Équateur, Nigeria, Niger et Togo.
72 % d'entre-elles sont devenues mères avant d’atteindre l’âge adulte, faute d’accès à la contraception et à une éducation complète à la sexualité, souvent sous la pression de leur mari ou de leur belle-famille.
Des premières relations sexuelles de Marie* avec son mari, "c'était violent, c'était la première fois", naitra un premier enfant, un garçon, aujourd'hui âgé de 6 ans.
Le rapport de Plan International France tient à mettre en avant les conséquences de ces maternités précoces sur les jeunes filles, dont la santé se retrouve directement mise en danger.
Privées d'école
Autre conséquence: l'arrêt définitif du parcours scolaire. Moins d’une fille mariée sur cinq poursuit sa scolarité, tandis que 63 % se retrouvent sans études, sans emploi ni formation, réduites à une dépendance économique totale envers leur mari.
Mon mari m'a laissée là, ça a duré huit heures, j'ai accouché toute seule. Marie*, Togo
Ces unions, conclues avec des hommes plus âgés, placent les filles dans une situation de forte dépendance: 38 % disent n’avoir aucun pouvoir de décision dans leur foyer.
"Il m'a emmenée dans un autre pays", raconte Marie*. C'est là, dans un hôpital qu'elle accouche de son deuxième enfant, une fille, "mon mari m'a laissée là, ça a duré huit heures, j'ai accouché toute seule".
Des croyances plus fortes que la loi
S'il existe des lois interdisant le mariage de mineurs, la réalité est tout autre. Dans deux tiers des pays étudiés, l’âge légal du mariage est bien fixé à 18 ans. Une règle facilement contournée par une autorisation parentale, religieuse ou judiciaire.
"Chaque fille a droit à une enfance, à la sécurité, à décider de son propre avenir. Pourtant dans le monde, 650 millions de filles ont été mariées avant d'être prêtes", écrit Reena Ghelani, directrice de Plan International en préface du rapport 2025.
Ce rapport met en lumière les témoignages de filles dont la vie a été façonnée par des décisions prises sans elles. Reena Ghelani, directrice de Plan International
Plus de la moitié des militantes questionnées au cours de cette enquête dénoncent le poids des croyances sexistes, plus fortes que la loi, qui perpétuent ces pratiques néfastes.
Toutes les filles interrogées, sans exception, affirment qu’elles ne veulent pas voir leurs propres enfants subir le même sort.
"Ce rapport met en lumière les témoignages de filles dont la vie a été façonnée par des décisions prises sans elles", déplore Reena Ghelani.
Réussir à fuir
Lors de notre entrevue en visio depuis le Togo, Marie poursuit son histoire.
Sa petite dernière a trois mois quand elle apprend par hasard que son père est mort. C'est le déclic: elle décide de s'enfuir afin de rejoindre les siens pour pleurer avec eux le défunt."Mais je n'avais pas d'argent ni de vêtements pour les enfants". Des villageois vont l'aider, et même lui acheter des valises pour pouvoir partir.
Un peu plus tard, alors qu'"elle travaille au champ", son mari vient prendre les enfants restés chez leur grand-mère. Marie va à la police. Le père des enfants est emprisonné puis relâché mais elle les récupère et tous trouvent refuge au sein de la famille.
Aujourd'hui, c'est sa grande soeur qui l'héberge. Elle travaille dans une boutique en ville où elle s'occupe des comptes. Mais elle vit dans l'inquiétude, chaque jour, que ses enfants soient de nouveau enlevés par leur père.
Au terme de notre entretien, Terriennes était curieuse de savoir si Marie rêvait encore de trouver l'amour, malgré ce qu'elle a vécu, et qui sait, un jour, un mari qu'elle aurait choisi ? "Bien sûr que oui !", nous répond-elle, un large sourire aux lèvres.
[Source: Terrienes - TV5Monde]