Election présidentielle au Cameroun : face à Paul Biya, l’espoir d’un changement

Alors que le président camerounais brigue un huitième mandat à 92 ans, Issa Tchiroma Bakary, un de ses anciens ministres devenu opposant jouit d’une popularité forte et soudaine.

Oct 12, 2025 - 08:21
Election présidentielle au Cameroun : face à Paul Biya, l’espoir d’un changement
Issa Tchiroma Bakary, candidat à l’élection présidentielle au Cameroun, lors d’un meeting à Douala, le 5 octobre 2025. DANIEL BELOUMOU OLOMO / AFP

Comme si le temps n’avait aucune prise sur lui, le président Paul Biya est candidat à un nouveau mandat dimanche 12 octobre, quarante-trois ans après son arrivée au pouvoir. Mais les temps changent et il semble bien que le pouvoir de Paul Biya n’avait pas vu venir la vague politique sur laquelle surfe Issa Tchiroma Bakary. Ce natif de Garoua, principale ville du nord du Cameroun, était un allié indéfectible du chef de l’Etat. Jusqu’à ce qu’il quitte ce navire amiral qui prend l’eau pour se lancer dans la course présidentielle.

A Garoua, beaucoup aiment croire que c’est un tsunami qui va s’abattre le jour du vote pour emporter un pouvoir qui n’en finit pas de vieillir au rythme de son leader. Paul Biya, s’il est réélu dimanche, atteindrait les 99 ans à l’issue de ce qui serait son huitième mandat. Un record mondial. Certes, la capitale de la région du Nord – qui, avec l’Adamaoua et l’Extrême-Nord, constituait jusqu’à récemment une seule entité administrative pesant pour un tiers du bassin électoral national – n’est pas le baromètre électoral le mieux réglé pour prévoir le temps qu’il fera dans les quelque 36 000 bureaux de vote ouverts pour 8 millions d’électeurs.

Issa Tchiroma Bakary est ici chez lui, comme ce fut le berceau d’Ahmadou Ahidjo, le premier président du Cameroun, qui gouverna le pays depuis son indépendance, en 1960, jusqu’en 1982, date à laquelle il passa le flambeau à Paul Biya. Cela se solda, en l’espace de quelques mois, par une rupture radicale entre les deux hommes. Condamné à mort par contumace pour une tentative de coup d’Etat sanglante en 1984, Ahmadou Ahidjo est décédé en exil à Dakar en 1989. Quarante ans plus tard, le souvenir de ce déchirement entre l’ancien président et son successeur, vécu comme une trahison, demeure dans la région et sert le camp des opposants au régime de Paul Biya.

Ibrahim est de ce côté-là de l’échiquier politique, depuis toujours. L’octogénaire est le gardien du palais fantôme qu’Ahmadou Ahidjo se fit construire à Nassarao – le petit village qui le vit naître, à quelques kilomètres à l’ouest de Garoua –, après en avoir été le jardinier pendant dix-huit ans. La vaste maison d’un étage aux allures de bunker s’effrite, non visitable, inhabitée, portes verrouillées. « Des gens viennent ici pour se rappeler cette belle époque », explique le gardien.

« Depuis Biya, tout se gâte »

Le sentiment que Paul Biya a poignardé dans le dos son mentor est vivace. Un autre candidat du grand Nord, Bello Bouba Maigari, ex-premier ministre originaire du septentrion et qui vient également de faire défection – signe de l’effritement de la coalition –, revendique aussi l’héritage du premier président camerounais. Le fils de ce dernier fait d’ailleurs partie de son équipe de campagne.

« C’est Ahidjo qui a tout fait pour la région. Depuis Biya, tout se gâte. Il n’a rien fait, il doit partir », ajoute Tchéou, à la fois commerçant et chauffeur qui arbore une écharpe bleu et blanc, les couleurs du Front pour le salut national du Cameroun (FSNC), le parti d’Issa Tchiroma Bakary. Certes, le trait est grossi. On discerne un certain dynamisme dans cette ville proprette d’environ 1 million d’habitants, économiquement connectée au Nigeria tout proche. Elle présente ainsi son lot de maisons et d’immeubles en construction et de bâtiments neufs érigés pour l’organisation de la Coupe d’Afrique des nations de football (CAN), en 2022.

Mais la région souffre des mêmes maux qu’un peu partout dans le pays. Mêmes routes dégradées soumises aux inondations. Mêmes coupures d’électricité et d’eau. Même chômage, surtout pour les jeunes. Mathias Goudkoye, étudiant en master 2 à l’Ecole supérieure des sciences économiques et commerciales de Garoua, le voit se profiler à grande vitesse. « Mis à part dans le secteur informel, il n’y a pas de travail. Le secteur public est le principal employeur mais ne recrute plus. Et tu ne peux pas travailler pour la Sodecoton [Société de développement du coton du Cameroun, la plus grande entreprise de la ville, détenue majoritairement par l’Etat et qui emploie quelque 5 000 personnes] si tu n’as pas de relations. »

« Surtout si tu n’es pas musulman », ajoute un de ses amis, originaire comme lui de la région de l’Extrême-Nord, où les relations entre les communautés chrétiennes et musulmanes sont marquées au fer rouge d’un passé esclavagiste et de travail forcé pourtant ancien.

Mais la lassitude envers le pouvoir actuel est telle qu’elle ébrèche certains clivages. « Je suis catholique, mais dimanche je voterai sans problème pour Issa Tchiroma, qui ne l’est pas », affirme ouvertement Mathias Goudkoye : « Même mon père, agriculteur plutôt conservateur, se pose la question. » L’Extrême-Nord était jusqu’alors considéré comme un fief imprenable. En 2018, Paul Biya y avait raflé 89 % des voix, contre 71 % à l’échelle nationale, selon le décompte officiel des institutions électorales, contrôlées par le pouvoir – un score sujet à caution, donc. « Cette fois-ci, on va surveiller le processus pour ne pas se faire voler », promet le jeune homme.

« Le candidat de la rupture »

Mais combien sont-ils, comme lui, dans ce pays où 67 % des électeurs ont moins de 35 ans ? Il n’y a pas vraiment de structure d’observation indépendante camerounaise ou étrangère et les partis politiques ne s’y sont pas réellement préparés, alors que le pouvoir contrôle toujours le système. Il y a pourtant le précédent du scrutin de 2018. Maurice Kamto avait alors fait trembler le pouvoir en affirmant avoir remporté la présidentielle, sans parvenir à le prouver auprès d’institutions inféodées. Maintenant ses protestations, il avait été arrêté et emprisonné pendant près de dix mois en 2019.

Cette année, le régime pensait sans doute s’être prémuni d’une pareille mésaventure. Début août, la Cour constitutionnelle a invalidé la candidature de Maurice Kamto. C’est à partir de ce moment-là que la popularité d’Issa Tchiroma Bakary émerge. Celle-ci se propage de meeting en meeting sur toute l’étendue du territoire, là où Kamto rassemblait surtout dans l’Ouest. La participation aux manifestations de campagne ne fait pas une élection, mais en l’absence de sondage, cette fréquentation enthousiaste alimente la montée du phénomène politique.

Le ralliement de hauts cadres du Mouvement pour la renaissance (MRC), le parti de Maurice Kamto, ainsi que de personnalités qui lui étaient proches, telle l’avocate Alice Nkom, montre qu’Issa Tchiroma Bakary, faute d’être le candidat unique de l’opposition (il y aura douze candidats au total, dont Paul Biya), parvient à rassembler au-delà de son fief nordiste. « Il apparaît comme le candidat de la rupture avec ce régime finissant », explique le sociologue Stéphane Akoa.

Ce qui n’est pas le moindre des paradoxes pour cet ancien thuriféraire de Paul Biya, pendant dix ans ministre de la communication (2009-2019) avant de tenir le portefeuille de l’emploi et de la formation professionnelle. Depuis sa démission, le 24 juin, cet animal politique ne manque pas une occasion de battre sa coulpe : « J’ai offensé les Camerounais et je leur demande pardon », répète-t-il sur les estrades de campagne. Ce qu’accepte, semble-t-il, une bonne partie de son auditoire. « C’est un diable, mais un bon diable qu’on connaît », glisse un professeur qui préfère rester discret.

« Le phénomène autour de lui est indéniable et inédit », observe Haman Mana, auteur d’un brûlot documenté sur le pouvoir intitulé Les Années Biya : Chronique du naufrage de la nation camerounaise (éd. Schabel, Yaoundé) : « Ensuite, tout dépendra de la capacité de ses supporteurs à revendiquer leur victoire, si tel est le cas et s’ils en sont convaincus. » Une gageure dans un système certes ébranlé mais qui n’a jamais accepté de contestation.

[Source: Le Monde]