L’entraîneur de ski Joël Chenal visé par une plainte pour agression sexuelle sur mineure et de nouvelles accusations

Après les premières révélations du « Monde » sur des accusations de harcèlement sexuel sur mineures visant l’ancien vice-champion olympique de ski, cinq jeunes femmes apportent de nouveaux témoignages.

Juil 24, 2025 - 05:37
L’entraîneur de ski Joël Chenal visé par une plainte pour agression sexuelle sur mineure et de nouvelles accusations
Joël Chenal lors d’un entraînement en vue du premier slalom géant de la Coupe du monde de ski alpin, à Tignes (Savoie), le 29 octobre 1999. ERIC FEFERBERG/AFP

Elles sont cinq jeunes femmes, toutes mineures au moment des faits, à s’être fait connaître auprès du Monde après nos révélations sur les accusations de harcèlement sexuel sur mineures dont l’ancien vice-champion olympique de slalom géant aux Jeux de Turin en 2006 et ancien coach de l’équipe de France, de 2013 à 2017, fait l’objet. Cinq nouveaux témoignages, qui s’ajoutent aux sept précédents, et concernent des faits qui se seraient déroulés entre 2005 et 2021. Le mode opératoire serait toujours le même : après une prise de contact par les réseaux sociaux, Joël Chenal, profitant de son statut de champion, propose ses services comme coach, puis dévie sur des échanges à caractère sexuel.

« Combien de fois j’ai reçu des messages de lui en érection me proposant de venir le voir en me promettant de l’argent de poche, tandis qu’il regardait des pornos », confie Aurélie (tous les prénoms ont été modifiés), 23 ans aujourd’hui, régulièrement harcelée de ses 11 à ses 18 ans, soit jusqu’en 2019. « Un jour, poursuit la jeune femme, alors que j’étais au lycée, et qu’il me remontait chez moi en voiture, il n’a plus dit un mot parce que j’avais refusé de parler de sexe avec lui. J’ai eu tellement peur pendant tout le trajet que je suis restée collée à la portière, jambes serrées, au cas où il s’énerverait. En rentrant, j’ai tout raconté à ma mère en la suppliant de ne pas porter plainte. J’ai eu peur de passer pour une menteuse. » Contacté pour répondre à l’ensemble de ces nouvelles accusations, M. Chenal n’a pas donné suite.

« Peur » : le mot revient dans tous les témoignages. « J’étais une jeune fille timide et très prude du ski-club des Arcs, alors quand il m’envoyait des messages pour me demander, par exemple, de me filmer sous la douche, j’étais en panique et je faisais des détours pour éviter son regard », se rappelle Kate, née en 1996, 13 ans à l’époque des faits. « Dans les vestiaires du ski études de Bourg-Saint-Maurice [Savoie], les plus grandes essayaient de rassurer certaines des plus petites de La Rosière, qui pleuraient quand Chenal était présent. On est très nombreuses à avoir été harcelées. Et le directeur du ski études ne pouvait pas ne pas être au courant. » Contacté par Le Monde, Thierry Blanc, le directeur du ski études de Bourg-Saint-Maurice, n’a pas donné suite.

« Il est revenu à la charge »

En 2011, Lilou, du club de Villaroger (Savoie), affirme avoir reçu, elle aussi, des images de sexe. « J’avais 11 ans. Je ne lui ai plus répondu, mais il est revenu à la charge en 2013, toujours avec des photos. Je ne trouvais pas ça normal, mais j’étais impressionnée, c’était un grand champion… J’aurais dû tout bloquer. Il a quand même tenté de me recontacter en 2020. »

En 2013, Jeanne, pas encore 18 ans, commence une liaison chaotique avec le skieur et raconte qu’elle serait devenue l’objet de ses fantasmes sexuels. Elle se rend compte aujourd’hui qu’elle était sous emprise. « Nous sommes deux filles, moi, 20 ans à l’époque des faits, et ma meilleure amie, alors âgée de 17 ans, à avoir été piégées et abusées par lui en 2015. Lors d’une soirée dans un hôtel avec lui, on a eu comme un trou noir », ajoute Jeanne, dont l’amie a porté plainte, lundi 21 juillet, à la gendarmerie de Bourg-Saint-Maurice pour agression sexuelle. Jeanne compte, elle, porter plainte dans les prochains jours.

Toutes, comme Jeanne, ont eu le réflexe de conserver des traces des échanges avec Chenal. Par ailleurs, et contrairement à ce que prétend le skieur, qui jure n’avoir agi qu’entre 2009 et 2016, ce dernier aurait récidivé, alors qu’il officiait en tant que coach à Orsatus, une structure privée basée à Brides-les-Bains (Savoie).

Selon Sarah, une ancienne élève qui a contacté Le Monde, « tout le monde au sein de la structure était au courant pour Chenal ». « Les skieuses déjà en place prévenaient les nouvelles de ne jamais lui répondre en message privé, dit-elle. En avril 2021, Alexandre Fourrat, le directeur, nous a appelées pour nous dire que Chenal s’était mal comporté avec une mineure et que les parents avaient pris l’affaire en main. C’est ce qui a précipité son départ. »

Contacté par Le Monde, le directeur d’Orsatus, qui avait d’abord affirmé qu’il n’y avait jamais eu de problème avec Chenal et que ce dernier était parti de son plein gré, revient aujourd’hui sur ses premières explications mensongères. « Le 5 février 2021, le père d’une ancienne athlète Orsatus, qui avait alors 19 ans et qui était partie depuis plusieurs mois rejoindre sa famille en Argentine, m’a contacté pour m’informer que Joël Chenal avait envoyé des avances déplacées à sa fille. Quelques heures plus tard, nous nous séparions de cet entraîneur et organisions des réunions collectives avec toutes les filles présentes pour leur expliquer la situation et tâcher de libérer la parole. »

Le père de la jeune fille, qui a accepté de nous répondre, précise que le message en question était une photo de nature sexuelle : « Nous avons été très choqués tous les deux. Dire que j’ai confié ma fille en toute confiance à ce genre de personne… C’est écœurant. »

Ces révélations en cascade, ainsi que l’absence de réactions de la Fédération française de ski (FFS), qui aurait négligé ces agissements pendant plus d’une décennie, ont abasourdi une partie du milieu du ski. Adrien Duvillard, ex-membre de l’équipe de France dans les années 1980 et 1990, qui vient d’apprendre que l’une de ses filles aurait reçu des « nudes » (« photos de nu ») de Joël Chenal en 2016, alors qu’elle avait 17 ans, se dit scandalisé : « Il y avait des rumeurs, mais là… On parle de gamines ! En série, pendant des années et en toute impunité. C’est indéfendable. Il faut que les victimes sachent qu’on les soutient. Hélas, avec les JO 2030, beaucoup ne vont pas oser prendre position. A mon sens, c’est l’Association des internationaux du ski français, dont la raison d’être est de défendre les athlètes, qui aurait dû prendre tout cela à bras-le-corps. Quant au peu de réaction de la FFS, elle ne m’étonne pas. »

« Toujours en activité »

Claudine Emonet, qui a révélé, en 2020, avoir été agressée sexuellement par son entraîneur dans les années 1980, avec une autre skieuse, Catherine Gonseth, se dit sidérée, mais pas surprise non plus : « A l’époque, Michel Vion, alors président de la FFS, m’a juste dit qu’il nous soutenait, mais qu’il n’était pas au courant… Alors qu’il l’était, forcément… Un des coachs de l’époque avait même voulu faire éclater l’affaire, mais Vion lui a dit : “Tu te tais, on ne veut pas que l’affaire Chenal remonte.” Il faut aujourd’hui avoir le courage de demander des comptes à la FFS, qui n’a pas eu un mot d’excuse publiquement pour ces jeunes filles. Il fallait suspendre Chenal. Ne pas le faire, c’est se moquer des familles et ne pas protéger les potentielles victimes. »

Directement visé, M. Vion se dit abasourdi. « Je suis prêt à assumer beaucoup de choses dans le fait de ne pas avoir été, moi et l’ensemble du monde du ski, plus percutant après ces enquêtes de gendarmerie [visant M. Chenal, en 2009 et en 2015], mais, en aucun cas, je peux accepter ce genre d’accusations. »

Marie Barsacq, la ministre des sports, a confié au Monde vouloir mettre les dirigeants du ski français face à leurs responsabilités. « Sur la base de ces faits, dont nous n’avions pas connaissance, nous avons saisi la direction départementale jeunesse et sport de Savoie, qui est la représentation locale de l’Etat, pour pouvoir à la fois auditionner les victimes et entendre l’auteur présumé des faits. Sans oublier ceux qui, en ayant eu connaissance, se seraient rendus coupables d’inaction en vertu de la loi Abitbol [qui oblige les dirigeants des organismes sportifs à signaler tout comportement à risque pour les sportifs et leur santé]. Sur la base de ces auditions, nous pourrons éventuellement saisir le procureur. Le préfet pourra, au regard des faits, enclencher une suspension immédiate de M. Chenal, puisqu’il est toujours en activité, afin de l’éloigner. La FFS a, par ailleurs, saisi le comité d’éthique, pour enclencher une procédure disciplinaire, le coach incriminé étant licencié de la fédération. »

En attendant d’éventuelles sanctions, la commune de Montvalezan (Savoie), où Joël Chenal a monté sa propre structure d’entraînement, dans la station de ski de La Rosière, en 2022, toujours auprès de jeunes filles, est sur les dents : son maire depuis vingt-neuf ans, Jean-Claude Fraissard, qui n’a pas répondu à nos demandes d’interview, aurait organisé une réunion de crise et pris contact avec un avocat pour défendre ses intérêts dans l’affaire Joël Chenal. Dans la station, on parle déjà de débaptiser le stade de slalom à son nom.

[Source: Le Monde]