Le « guichet unique » des haies promis aux agriculteurs risque-t-il d’encourager leur destruction ?
Deux ans après que Gabriel Attal a promis de « passer de 14 réglementations » sur les haies à une seule, le gouvernement a soumis à consultation publique un projet de décret créant un régime de déclaration unique pour leur arrachage. Les associations de protection de la nature en redoutent les effets pervers.
Le gouvernement tiendra-t-il compte des résultats de la consultation publique qui s’achève, mardi 16 décembre, au sujet des haies ? En trois semaines, près de 11 000 personnes ont donné leur avis – en grande majorité négatif – sur le projet de décret « fixant les règles et procédures applicables à la destruction de haies ». Une mobilisation importante lancée par plusieurs associations environnementales, très opposées à ce texte. Le Conseil national de la protection de la nature (CNPN), une instance consultative, a également rendu un avis défavorable.
L’origine de ce projet de décret remonte au 26 janvier 2024. La profession agricole est alors déjà mobilisée pour protester contre ses conditions de travail. Lors d’un déplacement en Haute-Garonne, le premier ministre de l’époque, Gabriel Attal, annonce différentes mesures, dont l’une porte sur les haies. « J’ai découvert ça, il y a 14 réglementations différentes [sur les haies]. Comment, quand on est agriculteur, peut-on s’y retrouver ? Et après on vient vous chercher, on vous sanctionne, on vous contrôle », déclare-t-il, en promettant de passer de 14 réglementations à une seule. Un an plus tard, la loi d’orientation agricole du 24 mars prévoit que les projets de destruction des haies seront soumis à une déclaration unique.
De fait, un agriculteur ou une municipalité souhaitant détruire des haies peut avoir, jusqu’à présent, à solliciter différentes autorisations et à constituer plusieurs dossiers. « Dans certains cas, le gestionnaire peut recevoir une réponse positive, par exemple au titre de la politique agricole commune, puis quelques semaines plus tard, une réponse négative au titre de l’urbanisme, écrit le gouvernement dans la présentation de son projet de décret. (…) Cette situation peut générer de l’incompréhension, un sentiment d’injustice et des tensions. »
Le texte soumis à consultation prévoit qu’à l’avenir ces gestionnaires déposeront un seul dossier, par le biais d’une plateforme numérique qui doit être créée, et qu’ils obtiendront une réponse unique dans un délai de deux mois. Ils seront soumis à un régime déclaratif, sauf dans certaines circonstances où ils devront solliciter une autorisation. « Le postulat est qu’une réglementation plus lisible et mieux appliquée permettra de prévenir les destructions, d’en faciliter le contrôle et de sécuriser les gestionnaires et propriétaires de haies, et in fine d’encourager les plantations et leur gestion durable », justifie le gouvernement.
Risque d’une augmentation des arrachages
A ce stade, le décret suscite pourtant une vive opposition d’organisations environnementales, qui estiment qu’il risque de conduire à une augmentation des arrachages. Environ 24 000 kilomètres de haies ont disparu chaque année en France entre 2017 et 2022, deux fois plus qu’entre 2006 et 2014, alors que ces infrastructures écologiques sont essentielles à la préservation de la biodiversité, au stockage du carbone ou encore à la lutte contre l’érosion. « En théorie, cette simplification est positive : jusqu’ici, certaines règles étaient peu ou pas appliquées faute de procédure claire. Mais, en pratique, les modalités prévues risquent (…) d’autoriser la destruction d’un grand nombre de haies sans encadrement suffisant et en insécurisant le demandeur », alerte le Réseau haies France.
« Depuis 1950, 70 % des haies ont disparu et le rythme s’accélère depuis 2019, insiste aussi Cédric Marteau, directeur général de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO). La priorité doit être de protéger strictement les haies existantes. »
Les craintes des organisations sont liées à la définition de la haie qui pourrait ne pas retenir les « trouées » de plus de cinq mètres, ces espaces avec seulement une végétation basse entre des arbustes ou des arbres. Leur exclusion entraînerait automatiquement une estimation à la baisse du linéaire arraché, mais aussi de celui qui devrait être replanté pour « compenser » la destruction, le texte prévoyant qu’un mètre de haies soit planté pour compenser un mètre enlevé. « Ce ratio n’est pas acceptable, juge en outre Fabienne Nogues, responsable du service agriculture et forêts à la LPO. Quand on détruit une haie ancienne, on détruit des habitats et un équilibre écologique, qu’il faut au minimum une dizaine d’années pour recréer. »
Une simple déclaration
Pour les associations et le CNPN, le projet de décret met trop l’accent sur cette compensation en faisant l’impasse sur les mesures visant à éviter l’arrachage ou à en réduire l’impact, et permet que les haies soient détruites à partir d’une simple déclaration dans un nombre de cas trop importants. Ces organismes s’inquiètent aussi du fait que l’absence de réponse de l’administration dans les deux mois vaudra acceptation tacite.
« Quels seront les moyens effectivement alloués pour le traitement des demandes ? Pour le contrôle des autorisations ? Que se passera-t-il si les services sont surchargés de demandes, toutes déposées au même moment ? », écrit Agir pour l’environnement. Le CNPN qualifie ce délai d’« ingérable », et appelle à l’étendre à dix semaines. L’automatisation du traitement des dossiers à partir de cartographies générées par des photos aériennes pourrait également aboutir à des erreurs importantes.
Ce projet de décret doit être signé par le premier ministre, Sébastien Lecornu, et les ministres de l’agriculture, Annie Genevard, et de la transition écologique, Monique Barbut, et devrait entrer en vigueur le 30 mars 2026.
[Source: Le Monde]