Face aux massacres et à la famine à Gaza, la résignation non dite de la diplomatie française

Après avoir reconnu à Israël le droit de se défendre à la suite de l’attaque terroriste du 7 octobre 2023, la France n’a cessé de réclamer un cessez-le-feu à Gaza. Mais ses mots semblent sans effet.

Juil 24, 2025 - 05:39
Face aux massacres et à la famine à Gaza, la résignation non dite de la diplomatie française
Des manifestants, dont des journalistes, défilent contre la faim dans le quartier Rimal de la ville de Gaza, le 19 juillet 2025. OMAR AL-QATTAA / AFP

L’indignation comme seule arme ? Mardi 22 juillet, le ministre des affaires étrangères français, Jean-Noël Barrot, s’est, une fois de plus, ému des massacres qui ont lieu dans la bande de Gaza, jugeant « déplorable » la « nouvelle offensive terrestre » lancée par l’armée Israélienne quelques heures plus tôt, autour de Deir Al-Balah, dans le centre du territoire. M. Barrot, interrogé sur France Inter, a aussi dénoncé la façon dont Israël instrumentalise l’aide humanitaire dans l’enclave palestinienne, par le biais de la Gaza Humanitarian Foundation, qui a conduit, dit-il, à un « bain de sang ». Quelque « 900 personnes » ont péri, alors qu’« elles allaient chercher un sac de farine et ont été prises pour cible dans les files alimentaires », a déploré le ministre.

« Je demande que la presse libre et indépendante puisse accéder à Gaza pour montrer ce qu’il s’y passe et pouvoir en témoigner », a-t-il tempêté, alors que l’Agence France-Presse (AFP) s’était alarmée, la veille, du sort de ses collaborateurs locaux, menacés par la famine qui sévit dans l’enclave. « Depuis que l’AFP a été fondée, en 1944, nous avons perdu des journalistes dans des conflits (…), mais aucun de nous n’a le souvenir d’avoir vu un collaborateur mourir de faim », a écrit la société des journalistes de l’AFP dans un communiqué, publié lundi.

Les condamnations verbales de Paris se répètent. Après avoir reconnu à Israël le droit de se défendre à la suite de l’attaque terroriste commise par le Hamas, le 7 octobre 2023, la France réclame depuis novembre de cette même année un cessez-le-feu à Gaza. Mais ses mots sont sans effet. Parfois, le premier ministre israélien s’agace. Comme lorsque Emmanuel Macron qualifie de « honte », le 13 mai, ses agissements après le blocus humanitaire imposé le 2 mars. Mais les déplorations françaises n’ont jamais fait dévier Benyamin Nétanyahou de sa route, de son objectif quasi revendiqué : le nettoyage ethnique de Gaza.

Une forme de résignation

La France insiste néanmoins, car le Quai d’Orsay veut croire que sa parole n’est pas vaine. Israël y serait sensible, dit-on. Mais, sur le terrain, la famine s’aggrave de jour en jour, ajoutant son lot de victimes aux dizaines de vies fauchées quotidiennement par les bombardements. Car aucun acte fort n’accompagne les protestations françaises. L’Union européenne n’a pas su arracher, mi-juillet, comme Paris le plaidait, un vote unanime pour dénoncer l’accord d’association qui permet à Israël de profiter du marché européen. Et si la France a sanctionné, en février 2024, 28 colons et extrémistes israéliens, elle s’est arrêtée là. « Les sanctions nationales n’ont guère de sens, c’est le marché européen qui est pertinent », argumente un diplomate.

Il plane, au sein de l’exécutif, une forme de résignation face à un premier ministre israélien que certains disent en proie au syndrome d’hubris. Seul le président américain, Donald Trump, serait en mesure de le stopper, entend-on dans les couloirs de la diplomatie française. Et encore. « Il y a dans tout ça une part qui échappe à la fois au président Trump, au président Macron et à beaucoup d’autres gens », déplore un conseiller élyséen. Certains diplomates en sont arrivés à la conclusion que, pour changer le cours des choses, il faudrait attendre que M. Nétanyahou ne soit plus aux commandes de l’Etat hébreu, oubliant sans doute que la société israélienne approuve massivement le projet d’expulsion des Palestiniens.

« Beaucoup de choses pourraient être faites par la France seule », selon Zaha Hassan, experte à la fondation Carnegie pour la paix internationale, à Washington, qui évoque, au-delà de la rupture des relations diplomatiques, plusieurs mesures de rétorsion possibles : interdire aux avions chargés de cargaisons d’armes destinées à Israël d’emprunter l’espace aérien français ou de transiter par le sol français ; interdire aux navires avec un chargement semblable d’accoster dans les ports français ; empêcher les personnes inculpées par la Cour pénale internationale (CPI), comme Benyamin Nétanyahou, de survoler le territoire français ; instaurer un boycott des produits issus des colonies ; sanctionner les binationaux résidant dans les colonies, etc.

« Ne rien faire est destructeur pour les institutions sur lesquelles la France et l’Europe se fondent », alerte MmeHassan, qui estime qu’en restant passif Paris s’expose à des poursuites pénales. Mardi 22 juillet, l’association Avocats pour la justice au Proche-Orient, qui se dit épaulée par plus de 100 avocats en France, a indiqué avoir réclamé une enquête de la CPI, estimant le sommet de l’Etat français « complice » des crimes commis par Israël.

Au-delà des mots, la France veut agir. Mais en restant sur le terrain diplomatique. Et à moyen terme. Les 28 et 29 juillet, lors d’une conférence à New York, M. Barrot devrait confirmer la détermination du président de la République à reconnaître l’Etat palestinien. Un acte symbolique, qui a aussi des « conséquences juridiques », fait valoir le Quai d’Orsay. Programmée le 18 juin, mais retardée par la guerre entre Israël et l’Iran, cette reconnaissance pourrait avoir lieu en septembre, en marge de l’Assemblée générale des Nations unies. La décision « souveraine » est entre les mains d’Emmanuel Macron, signale-t-on dans l’entourage du président. « Si vous attendez encore, vous finirez par reconnaître un cimetière », l’a interpellé l’historien Vincent Lemire, sur RTL, le 22 juillet.

[Source: Le Monde]