Crise post-électorale au Cameroun: Douala, poumon économique du pays vit au ralenti

Depuis ce lundi 3 novembre 2025, premier jour de l’appel aux villes mortes lancé par Issa Tchiroma Bakary qui revendique toujours la victoire lors de la dernière présidentielle, Douala, capitale économique camerounaise vit au ralenti. Dans de nombreux quartiers, les embouteillages monstres ont laissé place à des rues parfois désertes.

Nov 6, 2025 - 10:28
Crise post-électorale au Cameroun: Douala, poumon économique du pays vit au ralenti
Après l'appel aux villes mortes lancé par l'opposant Issa Tchiroma Bakary, des passants déambulent dans les rues désertes de Garoua, dans le nord du Cameroun, le mardi 4 novembre 2025. (Photo AP/Pascal Welba Yamo) © Photo AP/Pascal Welba Yamo

Dans la ville de Douala, principal pôle économique du Cameroun, les activités sont en grande partie à l'arrêt, a confié à TV5MONDE, sous couvert d'anonymat, l'un des responsables d'une grande organisation patronale locale. "C'est une crise plus importante que celle du Covid. Car, durant le Covid, nous n'avons pas eu de dégâts matériels. Or, là, il y a non seulement d'importants dégâts matériels, mais aussi des pertes en vies humaines", a-t-il ajouté. 

Une activité économique au ralenti

Un peu partout dans la ville, des entreprises, des marchés, des écoles ou encore des centres commerciaux sont effectivement restés portes closes depuis ce lundi 3 novembre. Le même jour, le maire de Douala, Roger Mbassa Ndinè, a effectué une tournée dans plusieurs marchés afin d'encourager les commerçants à reprendre leurs activités.

Comme l'avait fait quelques jours auparavant Dieudonné Samuel Ivaha Diboua, le gouverneur de la région du littoral, dont Douala est le chef-lieu, le maire a mis en avant la nécessité de préserver la stabilité et le bon fonctionnement de la ville. 

"Malheureusement, on veut que le petit commerçant, voire le vendeur ambulant qui vit au jour le jour, reprenne son activité. Or, les vendeurs ambulants par exemple sont nombreux à acheter leurs produits à Chinatown, pour aller ensuite les revendre. Chinatown étant fermé, ils ne veulent pas sortir, car ils ne peuvent rien faire sans leur fournisseur quasi-exclusif", affirme à TV5MONDE Lucien Bayemi Sango, consultant en ressources humaines.

Depuis la proclamation des résultats par le Conseil constitutionnel le 27 octobre dernier, des manifestations ont éclaté dans plusieurs villes du pays, en particulier à Douala, où d’importants dégâts matériels ont été enregistrés. Des grandes surfaces, des enseignes de distribution de produits pétroliers et même des bâtiments des services publics ont été saccagés. 

Dans un communiqué daté justement du 27 octobre, le groupe Tradex, spécialisé dans la distribution des produits pétroliers, déplore la destruction de certaines de ses stations-service. "Tradex est une société propriété de l'État du Cameroun. Tradex est la propriété de chaque citoyen camerounais. Unique entreprise fondée et détenue par l’État dans le secteur de la distribution des produits pétroliers. Protégeons notre entreprise contre les pillages et tout acte de vandalisme", peut-on lire dans ce communiqué.

Des fermetures destinées à préserver l'outil de travail

Les groupes de téléphonie mobile comme Orange et MNT, des centres commerciaux tels que le China Mall Ndokotti, sont eux aussi restés fermés totalement ou partiellement. Et dans la plupart des cas, ces fermetures sont d’abord préventives et répondent à la nécessité de préserver l’outil de travail. 

"Avec le blocage des pénétrantes est et ouest qui permettent respectivement d’aller vers Yaoundé, la capitale politique, et Bafoussam, ville importante de l’ouest, certains approvisionnements en vivres frais ne sont plus assurés. La conséquence immédiate est le renchérissement du panier de la ménagère", souligne Lucien Bayemi Sango. 

Le prix du kilo de viande de boeuf a flambé, car les boeufs proviennent essentiellement du nord du pays et des régions anglophones de l'ouest. On pourrait d’ailleurs bientôt assister à une pénurie d’ail et d’oignon qui viennent aussi du nord. Le transport entre cette région et le reste du pays est en effet très fortement perturbé depuis le début de la crise post-électorale. Il en est d’ailleurs de même entre le port de Douala et les pays voisins comme le Tchad et la République centrafricaine. 

Doté d’un quai de près de cinq kilomètres sur les berges du fleuve Wouri, le port de Douala est l'un des plus grands d’Afrique centrale. Et d'après nos confrères de RFI, son activité a connu un ralentissement ces derniers jours suite aux manifestations dans la capitale économique. 

"Lorsqu'on parle du port de Douala, on pense d'abord à la logistique, et en particulier aux camions de transport. Et si ce secteur est très perturbé comme c'est le cas en ce moment, les conséquences sont forcément catastrophiques pour le port. Il peut y avoir une activité résiduelle qui permet d’alimenter quelques usines, mais c’est vraiment marginal", a précisé, toujours sous couvert d’anonymat, notre interlocuteur d'une organisation patronale locale.

Au Cameroun, le transport routier est majoritairement l’affaire des ressortissants des régions du nord et de l'ouest. Et si ces personnes sont ostracisées ou victimes de contrôles au faciès comme c’est le cas en ce moment, cela pose nécessairement de gros problèmes dans ce secteur d’activité.  

Une économie profondément perturbée

Dans un communiqué adressé à ses adhérents et daté du 3 novembre, Célestin Tawamba, président du Gecam (Groupement des entreprises du Cameroun), la plus grande organisation patronale locale, affirme que "c’est l’ensemble de l’activité économique qui a été profondément perturbée". Le patron du Gecam poursuit en disant que de nombreuses structures sont plongées "dans une situation d’immobilisme préjudiciable, compromettant ainsi la continuité de service, la stabilité des emplois et la confiance des investisseurs".

Avec une population estimée à 4,9 millions d’habitants, Douala est l’une des deux plus grandes villes camerounaises, mais surtout le principal centre d’affaires du pays. Située sur la côte atlantique et à proximité des principales voies maritimes, cette mégapole bénéficie d’une position stratégique qui favorise le commerce international et sous-régional. 

Manifestation

Des partisans du candidat de l'opposition à la présidentielle, Issa Tchiroma Bakary, manifestent dans les rues de Garoua, dans le nord du Cameroun, le dimanche 26 octobre 2025. © AP Photo AP/Welba Yamo Pascal

Hub logistique majeur pour l’Afrique centrale, le port de Douala représente environ 80% des échanges commerciaux du Cameroun. Sa récente modernisation est d’abord destinée à accroître son rôle dans le développement économique de la ville, et donc du pays tout entier. Tout dysfonctionnement de cette institution ne peut donc qu'être préjudiciable à l'économie locale.

En plus du port, la ville de Douala dispose d’un aéroport international qui, selon les autorités aéroportuaires, a traité en 2020 près d’un million et demi de passagers et 50.000 tonnes de fret. Elle dispose également de plusieurs zones industrielles comme celle de Bonabéri, dans le nord-ouest de la ville. 

Située en bordure du fleuve Wouri, la zone industrielle de Bonaberi contribue aussi à désengorger le port de Douala. Selon le ministère camerounais de l’Industrie, elle en créé plus de 10 000 emplois directe et indirects. Dans son courrier à ses adhérents, le patron du Gecam affirme qu'il a "entrepris de procéder à une évaluation exhaustive des pertes enregistrées par ses membres et au-delà, par d'autres entreprises non-membres, autant que possible".

[Source: TV5Monde]