Le scandale des poupées Shein expliqué en cinq questions

La plateforme chinoise affiche son intention de collaborer « à 100 % avec la justice » après que des poupées sexuelles d’apparence enfantine y ont été découvertes par la DGCCRF. Une polémique qui met en cause l’efficacité de ses mesures de modération.

Nov 5, 2025 - 09:24
Nov 5, 2025 - 09:27
Le scandale des poupées Shein expliqué en cinq questions
Dans une usine de confection de la marque Shein à Guangzhou (Guangdong), en Chine, le 1ᵉʳ avril 2025. CASEY HALL/REUTERS

La plateforme Shein et le site AliExpress sont dans la tourmente après avoir proposé à la vente des poupées sexuelles à l’apparence enfantine.

Au fil du week-end des samedi 1er et dimanche 2 novembre, les griefs, en particulier du gouvernement français, se sont élargis à la vente de poupées sexuelles sans filtre pour les mineurs et à d’autres plateformes, en l’occurrence Wish et Temu.

Que reproche-t-on à Shein et à ses concurrents ?

Vendredi 31 octobre, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a constaté la présence sur le site Shein de poupées sexuelles représentant des enfants. Une infraction qui a poussé la DGCCRF à signaler les faits au procureur de la République, qui a ouvert une enquête. Des poupées similaires ont ensuite été retrouvées sur le site AliExpress, visé lui aussi par une enquête judiciaire.

Ces deux plateformes, ainsi que Temu et Wish, proposent en parallèle des poupées sexuelles – légales, celles-ci. Une enquête concernant les quatre sociétés a également été ouverte, non pas pour avoir mis à la vente des objets pédocriminels, mais pour avoir mis à disposition des contenus pornographiques sans mesures de filtrage de l’âge. Une simple recherche en ligne montre cependant que les mêmes types de produits sont aussi disponibles, sans contrôle de l’âge, sur Amazon, eBay ou Rakuten.

Le site de Shein peut-il être bloqué ?

La loi française permet effectivement de bloquer un site qui propose des contenus pédocriminels ou des contenus pornographiques à des mineurs.

Dans le premier cas, nul besoin de répétition : depuis 2015, une injonction des autorités, si elle n’est pas suivie d’effet dans les vingt-quatre heures, permet à la police d’ordonner aux fournisseurs d’accès à Internet le blocage du site affichant ce type de contenus. Ce mécanisme est régulièrement utilisé : 530 sites ont été bloqués en 2024.

Shein ayant, dans le cas présent, retiré les annonces concernées, ce mécanisme est sans objet. Il pourrait toutefois être mobilisé ultérieurement si l’entreprise ou ses concurrents référençaient à nouveau des poupées sexuelles représentant des enfants et refusaient de les retirer.

Une autre loi, datant de 2024, prévoit un mécanisme de blocage contre les sites diffusant des contenus pornographiques sans vérifier l’âge des utilisateurs. Ce texte ciblant surtout les sites explicitement pornographiques et non les plateformes d’e-commerce, sa mise en œuvre contre Shein ou ses concurrents reste incertaine.

Qui a vendu et fabrique les poupées représentant des enfants ?

Ce ne sont ni Shein ni AliExpress qui cèdent directement ces poupées, mais un vendeur tiers dont les offres sont référencées par la plateforme chinoise, contre une commission en cas de vente. La plupart des grands sites d’e-commerce, français comme mondiaux, proposent désormais cette fonctionnalité, souvent dénommée « Marketplace ».

En l’occurrence, le vendeur est ici une entreprise chinoise, sise à Dongguan (Guangdong), dans le sud de la Chine. Il dit aussi utiliser plusieurs entrepôts « dans l’Union européenne [UE] », et notamment en Pologne, selon des constatations du Monde. Dans des images promotionnelles postées sur les plateformes, le vendeur revendique une « très bonne qualité » et un « moule pour les poupées constamment mis à jour » pour proposer de « nouveaux modèles ».

Deux sociétés françaises, dont l’une a été dissoute, sont identifiées comme des représentants de ce fabricant dans l’UE. Elles n’avaient pas répondu aux sollicitations du Monde au moment de la publication de cet article.

Quelle est la responsabilité de Shein ?

Shein, avec 45 millions d’utilisateurs mensuels en Europe, est considérée comme une « très grande plateforme » au sens du règlement européen sur les services numériques (Digital Services Act, DSA). Ce statut l’oblige à prendre certaines mesures en matière de modération, et notamment une « surveillance plus diligente des produits illégaux », notait la Commission européenne, en 2024.

Elle doit aussi établir des rapports sur sa modération. Dans le document publié pour le dernier trimestre 2024, la plateforme assure que la « clé » de son approche contre les contenus illégaux est la « vérification » des vendeurs qui proposent des produits sur sa plateforme. Plus loin, l’entreprise soutient que chaque objet est examiné par ses employés. « Si un mot lié à une catégorie de produits interdits est détecté », un membre de ses équipes doit « déterminer si le produit est interdit, auquel cas le produit est supprimé », affirme la plateforme.

Dans le document concernant le premier semestre 2025, on apprend que Shein a retiré un peu plus de 1 300 objets pour pornographie et 126 pour « protection des mineurs », la catégorie qui correspond à d’éventuels contenus pédocriminels. Tous ces retraits ont été faits à la suite de signalements d’utilisateurs ou l’ont été à l’initiative de la plateforme, et aucun n’est consécutif à un signalement d’un Etat membre de l’UE.

Ce dispositif n’a pas empêché la commercialisation de poupées sexuelles enfantines. Le DSA prévoit des sanctions en cas d’infractions « graves et répétées » : des amendes pouvant aller, à l’issue d’une longue phase d’enquête, jusqu’à 6 % du chiffre d’affaires, voire à l’interdiction du service dans l’UE.

Que disent les plateformes ?

« Les annonces concernées ont été retirées dès que nous en avons eu connaissance », a réagi AliExpress, lundi, au sujet des poupées pédopornographiques. Même chose du côté de Shein, qui a immédiatement retiré de la vente les poupées signalées.

Shein a également fait part de son intention de collaborer « à 100 % avec la justice » dans ce dossier, un porte-parole ayant par ailleurs déclaré que l’entreprise était prête à partager les noms des personnes ayant acheté lesdites poupées. Dans le même temps, Shein a annoncé avoir déréférencé sa catégorie « produits pour adultes ». Pourtant, mardi, il était encore possible d’acheter des jouets sexuels sur la plateforme.

[Source: Le Monde]