Entre nostalgie et slow tourisme, la célèbre nationale 7 reprend vie
L’ancienne « route des vacances », qui a connu son âge d’or pendant les années 1950-1960, est de nouveau plébiscitée par des vacanciers en quête d’histoire et de paysages.

Au lieu-dit Lavau Blanche, dépendant de la commune de Franchesse, dans l’Allier, la route se transforme subitement en un chemin de terre. Dans un ultime virage, ce dernier débouche sur une ancienne ferme en pierre, lovée entre des pâtures. Rénovée en habitat moderne et écologique, la propriété appartient à Helen Sheppard et à Vincent Lecocq. Ce lundi 19 mai, le couple est vigilant : leurs convives approchent. « Ils sont à quatre kilomètres », précise Vincent, de sa terrasse. Sur son téléphone, il observe en direct leur progression grâce à un système de localisation partagé. Quelques minutes plus tard, un vrombissement léger titille l’oreille. Une grappe de Vespa déboule du chemin à faible allure, suivie de deux camions. Avec la gestuelle d’un policier régulant la circulation, Vincent Lecocq leur indique où garer leurs engins.
« C’était une épopée », glisse avec le sourire Patrick Huber. Trésorier du club de moto Le Bouclard, dont font aussi partie ses compères, cet ancien pompier de 69 ans à la retraite débarque de Melun, en Seine-et-Marne. Le groupe vient de parcourir quelque 250 kilomètres, les fesses vissées sur les scooters italiens. Les hommes passeront la nuit gracieusement ici. Cette halte est la deuxième étape d’une odyssée d’une semaine sur les traces de l’ancienne nationale 7 (N 7).
Surnommée Route bleue ou « route des vacances » dans les années 1950-1960, la N 7 est devenue mythique pour avoir charrié des millions d’automobilistes, non sans mal, lors des périodes estivales. S’étirant de Paris à Menton (Alpes-Maritimes) sur 996 kilomètres, elle était à l’époque la plus longue route de France et le seul itinéraire possible pour se rendre sur la Côte d’Azur.
Vieille de 2000 ans, elle a été construite à l’époque romaine pour acheminer le ravitaillement militaire de Rome à Lyon, ancienne capitale des Gaules. Elle s’est ensuite muée en voie royale jusqu’au XIXe siècle, date à laquelle Napoléon Ierla modernise. En 1824, elle devient la route royale 7, avant de prendre le nom de nationale sous la IIIe République. Pour beaucoup, la route symbolise ensuite, dans les années 1930, les premières semaines de congés payés et connaît son apogée dans les années 1950-1960 sur fond des « trente glorieuses », période marquée par l’essor de la consommation, des loisirs et du tourisme.
En 1955, la N 7 est popularisée par une chanson du même nom de Charles Trenet, qui fredonnait : « De toutes les routes de France d’Europe/ Celle que j’préfère est celle qui conduit/ En auto ou en auto-stop/ Vers les rivages du Midi/Nationale sept. » Un âge d’or révolu avec l’arrivée des autoroutes dans les années 1970.
Mais, entre le besoin de faire des économies en évitant les péages, l’attrait pour le tourisme doux et le désir de sortir des sentiers battus, des vacanciers nostalgiques reprennent le chemin de cette route qui avait progressivement sombré dans la désuétude.
Selon un sondage Atout France de 2023, sur les intentions de départ des Français, 45 % déclarent désormais vouloir prendre leur temps pendant les vacances, tandis que 44 % veulent découvrir des paysages. Les hommes en Vespa sont précisément partis à l’aventure dans le but d’éviter les itinéraires obligés. « La N 7 est restée célèbre pour ses embouteillages dantesques, raconte Patrick Huber, avec en tête l’image d’un âge d’or sépia et enfumé. Les gens devaient s’armer de patience, relativiser. Ils n’avaient de toute manière pas d’autre choix. On a voulu adopter cet état d’esprit. »
Créée en 2016 à Sospel, dans les Alpes-Maritimes, l’association Le Bouclard organise régulièrement des sorties à moto pour sa quarantaine d’adhérents. Au printemps, au détour d’une discussion, Michel Graille, l’un des pilotes de l’expédition, lance l’idée de parcourir l’ancienne N 7 à Vespa, et non à moto ou en voiture. Le projet convainc le président de l’association, Patrick Gaultier. « J’aime la route et j’aime l’histoire. Alors j’ai dit “Go, je te suis” »,témoigne ce dernier, une bière fraîche à la main et les cheveux trempés de sueur.
Composée de cinq pilotes, l’équipe déniche et répare des modèles de Vespa d’époque pour rouler en symbiose avec l’esprit des « trente glorieuses ». De Menton, ils ont ensuite remorqué leurs bécanes jusqu’à Paris, point de départ de leur itinérance. Histoire de se mettre dans le sens des départs en vacances. « Presque aucun de nous ne l’a parcourue, confie Patrick Gaultier. Je l’ai peut-être prise avec mes parents à l’époque, mais je n’en ai aucun souvenir. J’ai tout à découvrir. »
De la forêt de Fontainebleau, en Seine-et-Marne, en passant par le nord de l’Auvergne, par la vallée du Rhône surplombée par ses vignobles, ou encore par la Provence, la N 7 serpente à travers une diversité de paysages qui la rend singulière. « Dans ma vingtaine, je me rappelle l’avoir empruntée à vélo et je me suis cassé les dents au col du Pin-Bouchain [entre le Rhône et la Loire]. Une fois en haut, j’étais épuisé et j’ai dormi toute la nuit dans le fossé jouxtant la route », se remémore Patrick Huber.
Des décennies plus tard, il a eu bien du mal à reconnaître la route de sa jeunesse. Suivre la N 7 telle qu’elle existe aujourd’hui peut en effet vous conduire loin de son tracé d’origine. Depuis 2006, les deux tiers de la Route bleue ont été reclassés en routes départementales. Une bonne partie de l’actuelle N 7 ressemble à bien des égards à une autoroute, large de 2 × 2 voies, et contourne désormais des villages traversés autrefois en leur cœur.
« On a parfois un peu galéré pour trouver l’itinéraire d’antan », reconnaît Gino (il n’a donné que son prénom, comme d’autres personnes interrogées). Sur la route, au volant d’un des camions d’assistance, il ouvre la voie au groupe de Vespa, lequel est talonné par le camion balai conduit par David, le mécanicien en chef. « Je jongle entre les cartes routières et le GPS pour retrouver le chemin. Mais ces deux technologies ne se comprennent pas », dit-il en rigolant.
A l’image des galères de l’époque, où la route a mis au supplice d’innombrables voitures, le groupe aura connu quelques pannes. Sur le chemin, la bande de copains a partagé l’équipée avec d’autres clubs de moto locaux, qui les ont rejoints le temps d’une virée de plusieurs kilomètres. Comme à Franchesse, les hommes à Vespa se sont débrouillés au maximum pour être hébergés chez des amis et réduire ainsi le coût de leur voyage. Sans oublier de s’offrir quelques plaisirs gastronomiques aux couleurs des spécialités locales, avec une étape dans un bouchon lyonnais.
« On a fait de belles rencontres, comme à Etoile-sur-Rhône [Drôme], où les deux fils des anciens propriétaires d’une station essence BP restaurée nous ont raconté le défilé des voitures qui venaient se ravitailler à l’époque après des jours harassants sur la route », confie Patrick Huber.
Tout au long de son itinérance, le groupe a enfin pu apercevoir les derniers vestiges de la grande époque, comme des bornes kilométriques, des plaques murales, des publicités peintes sur les pignons des maisons, ou encore des stations-essence, qu’une communauté de passionnés s’échine à promouvoir et à maintenir en état dans le temps.
[Source: Le Monde]
Vacanciers nostalgiques
Parfois loin de son tracé d’origine