Ukraine : Donald Trump tergiverse de nouveau et affiche sa confiance en Vladimir Poutine
Recevant son homologue ukrainien, Volodymyr Zelensky, à la Maison Blanche, vendredi, le président américain n’a pas voulu s’engager à fournir des missiles de croisière Tomahawk à Kiev.

La rechute est flagrante. Après avoir indiqué ces dernières semaines qu’il était prêt à accroître la pression sur la Russie, Donald Trump renonce. Intoxiqué par son propre succès diplomatique au Moyen-Orient et la libération des derniers otages aux mains du Hamas palestinien, le dirigeant américain préfère croire dans les vertus de sa force de persuasion.
« Je pense que le président [Vladimir] Poutine veut mettre un terme à la guerre », a-t-il dit, vendredi 17 octobre, en recevant son homologue ukrainien, Volodymyr Zelensky à la Maison Blanche. La veille, le magnat s’était entretenu avec le dirigeant russe. Face à cette position à nouveau équidistante de Donald Trump, médiateur pourtant abusé par le Kremlin depuis huit mois, son invité ukrainien faisait preuve de retenue, mais divergeait. « Nous voulons la paix, Poutine ne veut pas, a lâché Volodymyr Zelensky devant les caméras. C’est pour cela que nous devons mettre la pression sur lui. »
L’entretien téléphonique avec Vladimir Poutine aurait permis de « grands progrès », avait prétendu, jeudi, le président américain dans un message sur son réseau Truth Social. Son homologue russe l’avait félicité pour l’accord de paix – si fragile et incomplet – obtenu à Gaza, et avait salué l’intervention de Melania Trump en faveur des enfants ukrainiens, pourtant enlevés par Moscou.
Le secrétaire d’Etat américain, Marco Rubio, est censé rencontrer prochainement son homologue russe, Sergueï Lavrov. Puis le président des Etats-Unis affirme qu’il aura un nouveau sommet avec Vladimir Poutine, cette fois à Budapest, après celui à Anchorage, en Alaska, en août.
Le choix même de la capitale hongroise est controversé. Le premier ministre, Viktor Orban, est le premier relais des intérêts russes au sein de l’Union européenne. Il s’oppose à la candidature de l’Ukraine et ne cesse d’attaquer Volodymyr Zelensky. « C’est un leader que nous aimons bien », a dit Donald Trump au sujet du dirigeant hongrois. Ce « nous » illustrait, en soi, une proximité entre Washington et Moscou, assez excluante pour la victime de l’agression militaire.
Pour l’Ukraine, les signaux ne semblent pas favorables
Le format du sommet de Budapest reste à préciser. « Ce sera un double meeting, mais nous aurons le président Zelensky en contact », a noté Donald Trump, semblant suggérer un lien vidéo. Le milliardaire évoque « l’animosité »qui existe entre les deux dirigeants, comme si la guerre et les horreurs qu’elle charrie n’étaient qu’une simple querelle de personnes. « Ces deux leaders ne s’apprécient pas, et on veut que tout le monde se sente à l’aise », a dit le président américain. Une fois la rencontre avec Volodymyr Zelensky achevée, vendredi, M. Trump publiait un nouveau message, à l’attention des deux pays, renvoyés dos à dos. « Ils devraient s’arrêter là où ils sont. Qu’ils clament tous les deux victoire, et que l’histoire décide ! »
La délégation ukrainienne était arrivée à Washington pour parler notamment de son secteur énergétique, dévasté par les frappes russes, et nécessitant un renforcement de ses défenses antiaériennes, mais aussi du soutien militaire offensif des Etats-Unis. M. Zelensky a eu beau rester évasif en public, les signaux ne semblent pas favorables. Il a pourtant présenté à son hôte et longuement détaillé, avec ses conseillers, une carte militaire comprenant de possibles cibles russes dites stratégiques.
Donald Trump a qualifié d’« escalade » l’idée de permettre à l’Ukraine de frapper en profondeur le territoire russe, avec des armes américaines. Il a ainsi exprimé de fortes réserves à l’idée de fournir des missiles Tomahawk, alors qu’il avait lui-même évoqué cette hypothèse ces derniers jours. « Ça va au-delà de l’argent. Vous savez, nous avons besoin des Tomahawks, a-t-il noté. Nous avons besoin de beaucoup d’autres armes que nous avons envoyées en Ukraine. C’est exactement une des raisons pour lesquelles nous voulons mettre un terme à la guerre. » En réponse, Volodymyr Zelensky a tenté de plaider, dans son anglais rocailleux, en faveur d’un donnant-donnant, l’Ukraine ayant acquis des capacités de production et un savoir remarquables en matière de drones d’attaque. Des milliers de drones contre des Tomahawk : un vrai argument.
Il s’agissait de la troisième rencontre entre les deux hommes à la Maison Blanche. La première, fin février, avait été orageuse, conduisant à une quasi-rupture bilatérale. Kiev avait su réparer les dégâts, en acceptant la création d’un Fonds d’investissement et de reconstruction, unissant les deux pays, pour exploiter les ressources rares du sol ukrainien, purement théoriques à ce stade.
Fin avril, en marge des funérailles du pape François au Vatican, Volodymyr Zelensky s’était prononcé en faveur d’un cessez-le-feu immédiat et sans conditions, transférant la pression sur Moscou. Au cours du sommet en Alaska entre Donald Trump et Vladimir Poutine, le 15 août, le président russe a dit son hostilité à un arrêt temporaire des combats. Trois jours plus tard, accompagné des principaux dirigeants européens, Volodymyr Zelensky était de retour à la Maison Blanche, dans une atmosphère bien plus chaleureuse.
Les Tomahawk, un outil de pression sur la Russie
Depuis l’échec d’Anchorage, les alliés voulaient croire que Donald Trump avait compris la nature dilatoire des manœuvres russes. De façon régulière, le magnat a exprimé son impatience et sa déception, malgré sa « bonne relation » avec Vladimir Poutine. A l’occasion de l’assemblée générale des Nations unies à New York, le 23 septembre, les Occidentaux ont même décelé un tournant verbal, Washington semblant enfin prêt à exercer une pression sur Moscou. Donald Trump a qualifié le pays agresseur de « tigre de papier », estimant qu’une vraie puissance militaire aurait mis « une semaine » à l’emporter. Il a même prétendu que les Ukrainiens pourraient « reprendre leur pays dans sa forme originelle », voire plus. Depuis, il a aussi souligné le coût humain et économique - avec les frappes ukrainiennes sur les raffineries - que subissait la Russie.
Dans l’avion du retour en provenance d’Egypte, le 14 octobre, Donald Trump confirmait des échanges avec Volodymyr Zelensky pour fournir de nouvelles armes à Kiev. « Je pourrais dire : écoutez, si cette guerre n’est pas résolue, je vais envoyer des Tomahawks », disait-il. Cela serait selon Moscou une « escalade sérieuse », en raison de la portée de ces missiles, qui peuvent atteindre une cible au-delà de 1 500 km.
Pour l’heure, les ATMS dont dispose l’Ukraine ne dépassent pas 200 kilomètres. Mais Kiev ne possède pas des lanceurs, appelés Typhon, permettant de déclencher les missiles Tomahawks. Elle n’a pas non plus le personnel compétent pour opérer ces équipements. Enfin, il n’a jamais été question d’en transférer un nombre important, au vu de leur coût très élevé. Un tel geste, en soi, serait un marqueur dans le soutien occidental. Mais la Maison Blanche ne semble l’envisager qu’à titre dissuasif, comme un outil de pression sur Moscou.
Moscou fait miroiter de grands projets économiques à Trump
« Je pensais qu’on avait un accord il y a deux mois », se plaignait Donald Trump le 15 octobre, au sujet de Vladimir Poutine, dans un aveu révélateur de sa propre crédulité. A Moscou, cette frustration américaine grandissante a conduit le Kremlin à être proactif. Celui-ci a d’abord proposé en septembre de prolonger d’un an la durée du traité de désarmement nucléaire New Start, connaissant l’intérêt du président américain pour cette question. Puis une autre manœuvre indirecte a été conduite. En début de semaine, la représentante républicaine de Floride, Anna Paulina Luna, figure ardente et inexpérimentée du monde MAGA (« Make America Great Again »), annonçait que l’ambassade de Russie l’avait contactée, pour lui transmettre un précieux paquet : des archives inédites sur l’assassinat de John Fitzerald Kennedy.
Immédiatement, Kirill Dmitriev, homme-clé du dialogue bilatéral depuis le retour de Donald Trump au pouvoir, saluait ce geste. Président du Fonds d’investissement direct russe, il en profitait pour réanimer un vieux fantasme : la construction d’un tunnel sous le détroit de Bering, permettant de relier l’Alaska à la Tchoukotka, les Etats-Unis à la Russie. Sur le réseau X, Kirill Dmitriev, qui a établi une relation personnelle avec Steve Witkoff, l’envoyé spécial américain, estimait que le « tunnel Poutine-Trump, lien de 112 km symbolisant l’unité », pourrait être construit non pas pour 65 milliards de dollars (55 milliards d’euros), estimation traditionnelle, mais pour moins de 8 milliards de dollars. Qui accomplirait ce prodige, selon lui ? La Boring Company, société spécialisée fondée par… Elon Musk.
Avec habileté, la Russie a donc fait une nouvelle fois miroiter de grands projets économiques à Donald Trump, parlant son langage des affaires, et non celui de la guerre sans fin. Le président a qualifié cette idée d’« intéressante » vendredi, d’un air amusé. Volodymyr Zelensky semblait en souffrance. Mais celui-ci connaît dorénavant l’importance de la patience stratégique face à une administration américaine velléitaire.
[Source: Le Monde]