A Madagascar, ces heures qui ont mené les militaires à renverser Andry Rajoelina

Près de trois semaines après le début des manifestations de la Gen Z, et alors que le président s’était enfui à l’étranger, des soldats ont annoncé, mardi, prendre le pouvoir.

Oct 16, 2025 - 06:40
A Madagascar, ces heures qui ont mené les militaires à renverser Andry Rajoelina
Le colonel Michael Randrianirina (au centre), avec d’autres militaires, lors de l’annonce de la prise de pouvoir, devant le palais présidentiel, à Antananarivo, le 14 octobre 2025. LUIS TATO / AFP

S’ils n’avaient pas leur couvre-chef militaire bien ajusté sur la tête – béret rouge ou casquette –, ils seraient sans doute en train de les triturer nerveusement. Ils n’ont pas l’air si sûrs de leur fait, ces officiers venus en coup de vent, mardi 14 octobre, en début d’après-midi, affirmer qu’ils prennent le pouvoir, sur le perron de l’un des deux sièges de la présidence à Madagascar – celle du centre-ville d’Antananarivo. Ils sont arrivés en trombe à bord d’une poignée de blindés, ont pénétré dans l’enceinte après avoir garé les véhicules à l’extérieur.

Leurs hommes se sont déployés dans la rue, nerveux eux aussi, pointant des armes dans toutes les directions. Et voilà, les cinq officiers affirment leur décision de renverser le président malgache, Andry Rajoelina. « On va prendre le pouvoir à partir d’aujourd’hui et l’on dissout le Sénat et la Haute Cour constitutionnelle », dit, sans emphase, le colonel Michael Randrianirina, le seul à être facilement identifiable depuis qu’il a prononcé, samedi 11 octobre, un discours qui a accéléré les événements à Madagascar, au camp militaire de son unité, le Corps d’armée des personnels et des services des administratifs et techniques (Capsat), au sud de la capitale.

Ce discours appelait l’ensemble des militaires à cesser de s’opposer aux manifestants du mouvement de la Gen Z, depuis le 25 septembre, dont les revendications étaient passées de slogans sur la dégradation des conditions de vie à Madagascar à une demande de changement à la tête de l’Etat. La jeunesse avait fait face, en un peu plus de deux semaines, à une répression féroce, provoquant une vingtaine de morts. Deux véhicules blindés sont sortis ce jour-là du Capsat et ont permis aux protestataires de passer les barrages de la gendarmerie qui en protégeaient les abords et ainsi d’atteindre le centre-ville, pavant aussi la voie, de fait, au basculement du pouvoir.

Lors d’une manifestation appelant à la démission du président, Andry Rajoelina, à Antananarivo, le 14 octobre 2025.

Eviter les sanctions internationales

A présent, revoici donc le colonel Michael Randrianirina en train d’annoncer qu’un coup d’Etat vient d’avoir lieu, même s’il se garde d’utiliser ce terme, alors que tout l’effort des manifestants de la Gen Z et de ceux qui s’étaient agrégés à leur mouvement de contestation, au cours des dernières quarante-huit heures, consistait justement à trouver une solution pour pousser Andry Rajoelina hors du pouvoir en douceur, à la recherche d’une sorte de formule subtile, destinée à noyer d’arguments constitutionnels les petites actions menant à cette éjection. Il s’agissait d’éviter, en fait, les sanctions internationales qui sont décrétées en cas de coup de force. En quittant secrètement Madagascar avec l’aide de la France, dimanche, Andry Rajoelina avait au fond signifié qu’il avait compris le risque d’être renversé.

Le colonel Michael Randrianirina tâche donc de ne pas prononcer les mots fatidiques et préfère parler de « mise en place de nouvelles structures pour la rénovation nationale ». Puis les officiers s’engouffrent dans leurs blindés et s’en vont, avec leurs hommes et leurs buissons de kalachnikov et de lance-roquettes RPG. Les motos-taxis klaxonnent brièvement, les militaires n’ont pas le temps d’entendre la population célébrer leur prise de pouvoir. Ils se sont évanouis pour rejoindre le Capsat.

Ensuite viendront les communiqués donnant un nom à la structure qu’ils viennent de placer à la tête de Madagascar : un Conseil de défense nationale de transition (CDNT), destiné à exercer « le pouvoir législatif conjointement avec un gouvernement de transition composé de 18 ministres ». Les militaires promettent qu’un premier ministre de consensus sera choisi « en concertation avec la Gen Z ». Celui-ci sera chargé d’organiser des élections dans un délai de dix-huit à vingt-quatre mois au maximum.

L’acte précédant cette prise de pouvoir des militaires s’était joué, une poignée de minutes plus tôt, à l’Assemblée nationale. Une motion d’empêchement contre le chef de l’Etat a été soumise au vote des députés. Certain de perdre ce vote, Andry Rajoelina avait émis, de son exil à Dubaï, un décret de dissolution de l’Assemblée. Laquelle, considérant que le décret avait été signé à l’étranger, alors qu’il était censé l’être du territoire malgache, s’était cependant réunie.

Point de bascule

Les députés, votant à main levée, se sont alors prononcés en faveur de la destitution d’Andry Rajoelina. Ce qui aurait dû avoir comme conséquence de confier le pouvoir au président du Sénat, Jean André Ndremanjary. Mais ce dernier, outre le fait qu’il est considéré comme trop proche d’Andry Rajoelina, se trouve être dans une situation d’intérim. Il ne pouvait donc assurer le pouvoir, selon la Constitution. Les députés en étaient à aller soumettre leur décision à la Haute Cour constitutionnelle quand des responsables militaires ont tranché, en débarquant à la présidence et mettant fin à ces arguties.

Lors d’une manifestation de la société civile exigeant la démission de Rajoelina à Antananarivo, le 14 octobre 2025.

Le point de bascule a donc été atteint. Il était attendu depuis le début du week-end. Lundi soir, Andry Rajoelina avait prononcé une déclaration de son exil, où il avait réussi à se réfugier après avoir été exfiltré de Madagascar par un avion français, avant de poursuivre sa route jusqu’aux Emirats arabes unis. Douchant les espoirs des manifestants qui voulaient croire en sa démission, il avait dénoncé une « prise illégale du pouvoir en cours », ajoutant : « Un complot visant à attenter à ma vie a été fomenté par certains groupes [et] préparé avant le 25 septembre [date du début des manifestations à Antananarivo]. »

Nul n’avait prévu, en revanche, la prise de parole au sujet de Madagascar d’Emmanuel Macron, en Egypte, où il prenait part au sommet de Charm El-Cheikh consacré à la situation à Gaza. Evoquant sa « grande préoccupation », il avait déclaré combien il lui semblait « important » que « l’ordre constitutionnel, la continuité institutionnelle soient préservés à Madagascar parce qu’il en va de la stabilité du pays et des intérêts de la population ».

« Un président en fin de mandat qui en aide un autre »

Si le président français pensait s’inscrire dans une logique de respect des institutions, le message n’a pas été reçu à Madagascar, où la conjonction entre le coup de pouce pour l’exfiltration d’Andry Rajoelina et cette déclaration a été interprétée comme le typique soutien français aux pouvoirs africains corrompus, mais amis.

« [Emmanuel Macron] a choisi de l’appuyer parce qu’il peut le gérer. Mais c’est juste un président en fin de mandat qui tente d’aider un autre président en fin de mandat », se désespérait, à la mi-journée, Philippe Rajaona, vice-président national du parti politique Leader Fanilo, sur la place du 13-Mai. Il ajoute : « Le président Macron n’a pas pris la mesure de ce qui arrive à Madagascar. La situation actuelle, bien sûr, a été mise en branle par la Gen Z, mais elle est aussi l’émergence d’une colère, d’une humiliation, enfouies depuis des décennies. Ce sont les damnés de la terre qui se révoltent contre la captation des richesses par les oligarques. Invoquer dans ce cadre des arguments de stabilité constitutionnelle, c’est complètement déplacé. Du reste, la Constitution a été sans cesse violée au cours des dernières années, et personne n’a volé à son secours à Paris. »

Elliot Randriamandrato, porte-parole de la Gen Z pour Madagascar, pèse ses mots avec soin. Il incarne une aile modérée de la mouvance, à la différence de certains qui, radicalisés, avaient commencé à prôner un coup d’Etat et un grand coup de balai dans les institutions. Il s’avoue néanmoins ulcéré par la position française : « Ces deux discours [celui des présidents Rajoelina et Macron] sont assez violents. Ils ne laissent ouvert qu’un espace, celui du conflit, et ce n’est pas ce que nous voulons. Nous souhaitons entamer une consultation avec toutes les parties présentes dans le pays pour mettre en place un nouvel équilibre constitutionnel. »

L’espoir de voir cette consultation semble douché. Il reste alors, dans l’immédiat, le sentiment de frustration à l’égard de la politique menée par Paris. « Ras-le-bol de l’hypocrisie de la France », clame Rabenah Manitra, « 62 piges », qui a passé plusieurs décennies en France avant de rentrer à Madagascar, et voit son pays sombrer dans une misère profonde : « C’est une souffrance à l’échelle d’un peuple. Alors, le soutien de Macron, franchement… On n’est pas racistes, on n’est pas antifrançais, on aime tout le monde sur cette petite terre qui est la nôtre, mais je serais à sa place [celle d’Emmanuel Macron], je réfléchirais bien, à l’avenir, à ce que je dis. »

[Source: Le Monde]