Emmanuel Macron, un président au cœur du chaos politique

Le chef de l’Etat, qui ne s’est pas adressé aux Français depuis plusieurs mois, rend les partis responsables du blocage à l’Assemblée nationale. Il s’est activé en coulisses pour conserver sa mainmise sur la constitution du gouvernement et l’accord avec les socialistes.

Oct 18, 2025 - 09:01
Emmanuel Macron, un président au cœur du chaos politique
Emmanuel Macron s’adresse aux médias à sa sortie d’un sommet réunissant les dirigeants mondiaux pour mettre fin à la guerre à Gaza, à Charm El-Cheikh (Egypte), le 13 octobre 2025. YOAN VALAT/EPA VIA REUTERS

Mutique depuis l’été, alors que le chaos politique s’est installé en France, Emmanuel Macron est sorti de son silence, lundi 13 octobre, sur le tarmac de l’aéroport de Charm El-Cheikh, en Egypte. La veille au soir, un second gouvernement Lecornu avait été nommé, une semaine après la chute du premier. Ses premiers mots ont été peu amènes pour la représentation nationale. « Les forces politiques (…) sont les seules responsables de ce désordre », a-t-il grondé, à 5 000 kilomètres de Paris. De son Aventin, le chef de l’Etat a ciblé sans les nommer « ceux qui ont nourri la division, les spéculations », et « n’ont pas été au niveau du moment ». « Je souhaite que le pays puisse avancer dans l’apaisement, la stabilité, l’exigence et le service des Français », a-t-il conclu, avant d’assister au « sommet pour la paix » à Gaza.

Ces propos ont scandalisé nombre de responsables politiques. « Il voudrait jeter de l’huile sur le feu, il ne s’y prendrait pas autrement », observe l’un de ses anciens ministres. « Parler avec autant de désinvolture de la représentation nationale est indigne d’un président et choquant pour tout républicain, dénonce le député (groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires, LIOT) d’Eure-et-Loir Harold Huwart. Les oppositions sont dans leur rôle quand elles défendent leurs convictions. » Quant à l’ancien député macroniste de l’Hérault Patrick Vignal, désormais porte-parole de Renaissance, il se désole : « Quand il ne parle pas, on le lui reproche ; et quand il parle, on le déteste ! »

Officiellement absent de la vie politique nationale depuis début septembre, réservant son agenda et ses interventions publiques à la politique internationale, le président de la République s’est assuré, en nommant à Matignon Sébastien Lecornu, de reprendre totalement la main sur la politique nationale. « Ce n’est pas la personne de Sébastien Lecornu qui est contestée, mais le problème politique qu’il incarne : en le nommant à Matignon, tout le monde considère qu’Emmanuel Macron garde la main », analyse le président du groupe centriste au Sénat, Hervé Marseille.

Une main pas toujours heureuse. En choisissant de faire revenir au gouvernement l’ancien ministre de l’économie Bruno Le Maire, tenu pour responsable de l’énorme dérapage budgétaire découvert fin 2024, le chef de l’Etat a révélé une inquiétante déconnexion. Finalement, celui qui s’était vu nommé aux armées a très vite renoncé.

« Lorsque l’on regarde les deux derniers mois, on s’est mis tout seul en difficulté, du vote de confiance de François Bayrou, qui n’a pas été compris, jusqu’au gouvernement de Sébastien Lecornu, qui a tenu quatorze heures », juge pour sa part le député (Renaissance) du Val-de-Marne Guillaume Gouffier Valente.

Une chorégraphie bien huilée

Lundi 6 octobre, Emmanuel Macron reçoit aux aurores la démission de Sébastien Lecornu. Un geste que ce dernier n’a pu engager sans le soutien du chef de l’Etat. Une chorégraphie bien huilée : sa « renomination » est déjà planifiée par l’Elysée.

Une fois démissionnaire, Sébastien Lecornu se voit confier par Emmanuel Macron une « mission de quarante-huit heures » pour mener « d’ultimes négociations » et repousser le risque d’une nouvelle dissolution. Auprès du président (Les Républicains, LR) du Sénat, Gérard Larcher, le Normand défend un compromis sur les textes financiers, malgré la dislocation du « socle commun ». « J’ai vocation à quitter Matignon, sauf si tout le monde considère que je peux rester jusqu’en décembre pour faire adopter le budget », glisse-t-il à son interlocuteur.

Mais Sébastien Lecornu a négligé ses partenaires du socle commun. En ne leur dévoilant rien de ses discussions avec le Parti socialiste (PS), réservées à Emmanuel Macron, le premier ministre alors démissionnaire a suscité la défiance des chefs de partis. Gabriel Attal, le secrétaire général de Renaissance, ouvre les hostilités, affirmant sur TF1 qu’« [il] ne comprend plus les décisions » du président de la République.

Le président du groupe Ensemble pour la République, Gabriel Attal, discute avec le premier ministre, Sébastien Lecornu, avant la déclaration de politique générale à l’Assemblée nationale, à Paris, le 14 octobre 2025.

Le lendemain, le maire du Havre (Seine-Maritime) et président du parti Horizons, Edouard Philippe, préconise la démission programmée d’Emmanuel Macron, tenu pour responsable, depuis la dissolution ratée de juin 2024, de l’affaissement de l’Etat. « C’est la seule décision digne, qui permet d’éviter dix-huit mois d’indétermination et de crise, qui se terminera mal pour le pays », réitère-t-il ce jeudi sur France 2. La contre-offensive se met en place. « Le président de la république, c’est un combattant. Tant qu’il y a un ring, il sera dessus, jamais il ne démissionnera », défendait Sibeth Ndiaye, ancienne conseillère en communication du chef de l’Etat, sur RTL, le 8 octobre.

La figure présidentielle est atteinte par la violente attaque de l’ancien premier ministre. « Edouard a donné le premier coup de poignard, d’autres, derrière, suivront », prédit un chef de parti du socle commun. La controverse envenime même les relations au sommet de l’Etat. Le 9 octobre, lors d’un dîner en tête-à-tête, Emmanuel Macron reproche à Sébastien Lecornu de ne pas l’avoir suffisamment défendu contre l’affront d’Edouard Philippe.

Cela ne l’empêche pas de renommer son ancien ministre des armées à Matignon, le 10 octobre. Le second gouvernement Lecornu, conçu dans le huis clos élyséen, porte encore le sceau d’Emmanuel Macron. En contradiction avec la communication de l’Elysée, qui indiquait quelques jours plus tôt que le premier ministre démissionnaire avait « carte blanche », notamment sur « les propositions de nominations ».

Omniprésence d’Emmanuel Macron

Ainsi Manuel Valls, ministre des outre-mer reconduit dans le gouvernement Lecornu I, disparaît-il du Lecornu II. Emmanuel Macron a considéré que l’ancien premier ministre socialiste empiétait sur le domaine présidentiel avec l’accord de Bougival sur la Nouvelle-Calédonie. Gérald Darmanin a en revanche obtenu de rester au gouvernement, alors que Sébastien Lecornu souhaitait quelques jours plus tôt « un gouvernement déconnecté des ambitions présidentielles pour 2027 ».

Parmi les ministres issus de la société civile, certains sont des familiers d’Emmanuel Macron. Ainsi Monique Barbut(transition écologique), ancienne dirigeante du Fonds mondial pour la nature-France (WWF-France) « voyage dans les bagages du président à chaque COP climat », sourit-on au ministère de la transition écologique. Sans parler de l’ancienne conseillère du président de la République, Alice Rufo, nommée ministre déléguée aux armées.

Ultime preuve de l’omniprésence d’Emmanuel Macron dans les affaires du gouvernement, il réunit à l’Elysée, vendredi 10 octobre, avant de renommer Sébastien Lecornu, les représentants du socle commun et de la gauche (hors La France insoumise), afin de montrer qu’il est encore le maître du jeu. Las, il a oublié le Sénat. A 8 heures du matin, le locataire de l’Elysée reçoit un texto courroucé de Gérard Larcher : « Je m’étonne que vous n’ayez pas convié les présidents de groupes du Sénat ». Faute de réponse, le président du Sénat envoie un second message à 13 heures, demandant expressément que les groupes sénatoriaux soient reçus à l’Elysée. Emmanuel Macron ne répondra pas davantage.

Quelques heures avant la déclaration de politique générale du premier ministre, relue par Emmanuel Macron, celui-ci brandit de nouveau la menace de la dissolution de l’Assemblée nationale, alors que deux motions de censure ont été déposées la veille contre le gouvernement. Ce sont « des motions de dissolution », avertit le chef de l’Etat en conseil des ministres, « elles doivent être vues comme telles ».

Le premier ministre, Sébastien Lecornu, lors de sa déclaration de politique générale au Sénat, à Paris, le 15 octobre 2025.

La suspension de la réforme des retraites, demandée par les socialistes pour ne pas censurer le gouvernement, est annoncée devant l’Assemblée nationale, mardi 14 octobre. C’est une concession importante du président de la République, qui échange directement avec le premier secrétaire du PS, Olivier Faure. Mais poussée également par le trio Darmanin-Lecornu-Solère [Thierry Solère, conseiller officieux d’Emmanuel Macron] comme seule solution pour éviter une « crise de régime ». Et peu importe si, jusqu’ici, au cours des déjeuners à Matignon avec les responsables du socle commun, Sébastien Lecornu interrogeait : « On est bien d’accord, on ne touche pas aux retraites ? »

La suspension de la réforme des retraites fracture la Macronie

Cette réforme était au cœur du bilan politique que le chef de l’Etat voulait bâtir durant son second quinquennat. « Mais si on détricote tout le bilan, si on foule aux pieds ce qui a été fait, les oppositions, au premier rang desquelles l’extrême droite, diront aux électeurs, “regardez, ce dont ils se prévalaient sur l’économie, ils l’ont abandonné”. Cette stabilité de court terme peut très vite se transformer en bérézina », s’inquiète l’ancien ministre de l’industrie Marc Ferracci, un proche d’Emmanuel Macron, qui n’a pas été reconduit dans le gouvernement Lecornu. Elle n’aura en tout cas pas permis de rassurer les marchés : l’agence S&P a abaissé la note de la France, vendredi, en raison de l’incertitude « élevée » sur les finances publiques.

La suspension de la réforme des retraites, qui fracture le camp présidentiel, a été longuement abordée, jeudi à l’Elysée. Emmanuel Macron a reçu une douzaine d’élus de Renaissance pour justifier le sacrifice, qui lui a tant coûté politiquement.

Certains ont pu observer le « sang froid » du chef de l’Etat. Il a décrit la période comme un « moment particulier de la Ve République », comme on n’en a « jamais vécu ». Et encouragé son camp à « dialoguer » avec les socialistes comme avec les LR, « avec sincérité » et « sans se renier ». Alors que les désaccords s’exprimaient autour de la table entre partisans et opposants de la suspension de la réforme des retraites, Emmanuel Macron a renvoyé à « Gabriel » [Attal], qui était absent, le soin de discipliner son groupe. Annonçant que pour sa part, il prendrait ses distances, pour se consacrer à la « souveraineté industrielle de l’Europe » et à la « protection de la démocratie. »

[Source: Le Monde]