Dans le Gard, les ouvriers agricoles face à la canicule : « Plus il fait chaud, plus il faut ramasser les fruits »

Dans le département du sud de la France, en vigilance orange ce week-end, la récolte des fruits bat son plein. Les journées commencent le plus tôt possible pour éviter la chaleur, mais le travail reste harassant.

Juin 29, 2025 - 09:28
Dans le Gard, les ouvriers agricoles face à la canicule : « Plus il fait chaud, plus il faut ramasser les fruits »
SANDRA MEHL POUR « LE MONDE »

Il ne fait pas encore vraiment jour lorsque la vingtaine d’ouvriers rejoint, sur l’île de Pillet, la cour du Mas du soleil. C’est ici, dans cette exploitation agricole de Beaucaire (Gard), qu’ils se retrouvent chaque matin avant de prendre la direction des champs. Prenant place sur les remorques, ces femmes et hommes se mettent en action pour commencer le travail à 6 heures, l’unique solution pour travailler pendant les heures les plus fraîches, alors qu’en journée, le thermomètre frôle régulièrement les 38 °C ces derniers jours.

Vendredi 29 juin, comme l’Hérault, les Pyrénées-Orientales et les Bouches-du-Rhône, le Gard a été placé en vigilance orange canicule, avec des températures pouvant atteindre, selon Météo-France, 39 °C localement, voire 40 °C près de la Méditerranée. Un décret relatif à la protection des travailleurs contre les risques liés à la chaleur, paru le 2 juin pour une mise en application le 1er juillet, impose notamment aux responsables d’exploitation de mettre de l’eau fraîche à disposition des salariés et de porter une attention particulière aux personnes vulnérables.

Dans les rangées d’abricotiers, en tout début de journée, Lorenzo (les personnes citées par leur prénom n’ont pas souhaité donner leur nom de famille), chef d’une équipe de 10 personnes, compte profiter des premières heures supportables pour avancer le travail. « On a l’habitude des grosses chaleurs, on est dans le Sud, mais quand ça devient trop dur, on arrête à 14 h 30 », explique-t-il. A l’action sous les arbres fruitiers, Maribel, arrivée d’Espagne en 2018 pour échapper à la crise économique, charge les caisses de fruits. Elle se lève à 4 h 30 le matin mais dit apprécier les premières heures, « le meilleur moment de la journée », d’autant que, ce vendredi, un léger vent s’invite sur la parcelle.

Lorenzo, originaire de Roumanie, est ouvrier agricole au Mas du soleil, à Beaucaire, dans le Gard. Compte tenu des fortes chaleurs, les employés ont commencé leur journée de travail à 6 heures du matin, vendredi 27 juin 2025.
Maribel, 49 ans, est ouvrière agricole au Mas du soleil, à Beaucaire, dans le Gard, vendredi 27 juin 2025.

Pour lutter contre les fortes chaleurs, David Sève, l’exploitant agricole du domaine (et président de la fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles du Gard), met à disposition de quoi se désaltérer. Une grande palette de packs d’eau arrivée début juin est stockée dans l’une des chambres froides. « Le but, c’est d’adapter les emplois du temps au maximum pour leur permettre de finir le plus tôt possible », explique David Sève. Cette exploitation d’une centaine d’hectares d’arbres fruitiers (qui embauche 70 personnes en été), située dans le delta du Rhône, vend ses fruits aux commerces locaux (50 %), aux chaînes de supermarchés et un peu à l’export. « Si on faisait de la taille, on pourrait se permettre d’attendre pour travailler, mais plus il fait chaud, plus il faut ramasser les fruits. Ici, les gens font huit heures par jour », poursuit-il. Et de reconnaître : « C’est un travail pénible et fatigant, mais c’est une grosse partie de l’économie dans le Gard. »

« Je bois entre 3 et 4 litres d’eau chaque jour »

En période estivale, le secteur agricole emploie près de 25 000 saisonniers, selon la chambre d’agriculture du Gard. Dans le sud du département, les parcelles d’arbres fruitiers se succèdent sur des kilomètres. Au Mas rouge, à Jonquières-Saint-Vincent, Salvatore Zoroddu est à la tête d’une des plus grandes exploitations du département, qui fournit la grande distribution. En pleine saison, il emploie près de 500 salariés agricoles, très souvent d’origine équatorienne ou colombienne. Recruter la main-d’œuvre reste un défi permanent. « Sans eux, je ne sais si on mangerait encore des fruits, dit-il sérieusement. La plupart de ces ouvriers reviennent tous les ans chez nous, mais employer de nouveaux ouvriers est quelque chose de compliqué parce que la tâche est difficile à supporter. Et en même temps, c’est à cette période que la demande des consommateurs est très importante. »

Des travailleuses étrangères emballent les fruits récoltés sur les terres agricoles du Mas rouge, à Jonquières-Saint-Vincent, dans le Gard, vendredi 27 juin 2025.
German, 50 ans, originaire d’Equateur, est ouvrier agricole au Mas rouge. A Jonquières-Saint-Vincent dans le Gard (30), le 27 juin 2025.

Ici, les bouteilles d’eau arrivent aux ouvriers via les remorques qui font des allers-retours entre les champs et le siège de l’exploitation. Malgré le feuillage des branches, en fin de matinée, ce vendredi, la température atteint déjà 35 °C sur les coups de 11 heures. Casquette sur la tête, German, 50 ans, d’origine équatorienne, a fait toutes les saisons depuis 2010 et dévoile une cachette où il peut maintenir la bouteille d’eau à l’ombre. « Actuellement, je bois entre 3 et 4 litres d’eau chaque jour », dit-il.

A l’intérieur de la station fruitière, où les cerises et pêches sont emballées, les 200 salariés (des femmes essentiellement) bénéficient d’une température plus clémente. Le hangar, équipé d’un plancher aéré, est entouré d’une douzaine de grandes chambres froides à 2 °C. « Lorsque les portes s’ouvrent, le froid s’introduit dans le hangar. Cela fait l’effet d’une climatisation », estime Salvatore Zoroddu.

Sujet tabou

Même si tous les agriculteurs s’accordent à dire qu’« [ils ont] toujours travaillé avec de hautes températures en été », le sujet de la chaleur au travail est une préoccupation de plus en plus prégnante pour la filière. A la Mutualité sociale agricole (MSA) du Languedoc, Simon Fraisse, conseiller en risque professionnel à l’antenne de Montpellier, observe l’évolution des mentalités : « Dans le Sud, les agriculteurs savent qu’en été, il faut adapter les horaires. Mais on travaille aussi sur d’autres dispositifs. »

Cette année, la MSA Languedoc teste pour la première fois, auprès des paysagistes, le port de vêtements techniques rafraîchissants et/ou réfrigérants. « Cette profession est souvent amenée à travailler chez des particuliers. C’est compliqué de commencer les journées à 6 heures, explique Simon Fraisse qui n’a pas pu satisfaire toutes les entreprises volontaires pour participer à l’expérience. « Nous allons prendre la température des salariés en début et fin de journée, on pèse le personnel afin de comparer le ressenti entre les personnes équipées et les autres. On sent une grande attente », reprend le conseiller. La MSA propose aussi un webinaire sur la protection aux UV aux salariés agricoles.

Retour dans les champs. Du côté des producteurs de melons, chez qui la saison bat son plein, les portes des exploitations restent closes. Impossible d’aller rencontrer les ouvriers qui travaillent à quatre pattes en plein soleil dans des grandes parcelles. Les conditions de travail, surtout par fortes chaleurs, restent un sujet tabou à Beaucaire, où l’agence d’intérim Terra Fecundis (qui a depuis changé de nom), a été condamnée en juin 2022 par le tribunal de Marseille pour avoir envoyé, entre 2012 et 2015, des milliers de Sud-Américains dans les champs français en violant les règles européennes du travail détaché (les travailleurs étrangers étaient contraints à travailler jusqu’à soixante-dix heures par semaine).

Marie Baptiste, 62 ans, qui a travaillé dans des serres de l’autre côté du Rhône, à Tarascon (Bouches-du-Rhône), parle de « journées harassantes » : « Quand les fruits sont là, il faut les ramasser, pas le choix », explique celle qui, à chaque fois qu’elle mange des fruits d’été « pense aux personnels ».

Un ouvrier agricole cueille des pêches au Mas rouge. Compte tenu de la canicule, les travailleurs se désaltèrent régulièrement et portent de larges chapeaux. A Jonquières-Saint-Vincent, dans le Gard, vendredi 27 juin 2025.