Des wagons réservés aux femmes dans les transports publics, une idée qui fait polémique en France

Sept femmes sur dix ont déjà subi des violences sexistes et sexuelles dans les transports franciliens. Un sentiment d'insécurité grandissant qui relance l'idée de créer des wagons réservés aux femmes, comme cela existe dans certains pays. Une idée loin de faire l'unanimité.

Nov 6, 2025 - 13:24
Des wagons réservés aux femmes dans les transports publics, une idée qui fait polémique en France
56% des femmes interrogées déclarent ne pas se sentir en sécurité dans les transports franciliens. Après 22 heures, ce chiffre passe à 81% ©IM/Terriennes

"Demain ce serait quoi ? 'Tu l'as bien cherché parce que tu n'est pas rentrée dans le bon wagon?'", s'insurge Anne-Cécile Mailfert. "La vie, c'est des femmes et des hommes! (...) Les femmes ont le droit d'aller où elles veulent! ", ajoute la présidente de l'organisation féministe La Fondation des femmes. Pour elle, des wagons pour femmes, c'est non. 

Elle répond ainsi à une pétition lancée le 24 octobre dernier pour réclamer la mise en place de wagons réservés aux femmes dans les transports en commun franciliens. Les auteurs de cette pétition en ligne sur le site Change.org, réclament la création d'un "projet pilote de wagons réservés aux femmes et aux enfants sur la ligne RER", et de "mettre en place une signalétique claire et visible pour identifier ces wagons".

Agressée en plein jour

L'idée de rames réservées aux femmes a ressurgi depuis une tentative de viol qui a eu lieu mi-octobre dans un RER du Val-de-Marne. Jordana, une jeune femme d'origine brésilienne de 26 ans a été agressée, en plein jour, alors qu'elle voyageait dans le RER dans le Val-de-Marne. Elle se trouvait seule dans une rame au moment où un individu s'en est pris à elle, la blessant au visage. 

C'est une femme, une autre passagère alertée par les cris de Jordana qui est intervenue en filmant la scène avec son téléphone portable provoquant sa fuite de l'agresseur. Interpellé depuis, il a été mis en examen. Et la vidéo a été largement partagée sur les réseaux sociaux.

Mettre en place des wagons pour femmes est une fausse bonne idée selon Raphaël Adamczak, chercheur en psychologie sociale, qui étudie l'impact des environnements urbains selon le genre."Cela envoie le signal que l’espace public est pour les hommes, sauf ces petits espaces où les femmes ont le droit d'être", déplore-t-il. Pour Céline Piques, porte-parole d'Osez le Féminisme,"Ce n'est pas aux femmes de s'isoler des hommes".

Plusieurs pays, comme le Japon, l'Inde, le Mexique ou l'Allemagne ont déjà adopté des mesures de non-mixité dans les transports en commun. 

"Je ne sors plus seule la nuit"

56% des femmes déclarent ne pas se sentir en sécurité dans les transports franciliens, selon une enquête publiée par la Mission interministérielle pour la protection des femmes (Miprof) pour la RATP. Après 22 heures, ce chiffre passe à 81%.

Un sentiment d'insécurité qui pousse les femmes à adapter leur comportement. Parmi les femmes interrogées pour cette enquête, nombreuses sont celles qui évitent de sortir tard seules le soir, privilégient un taxi ou la voiture, ou encore prévoient une autre tenue. 93% des femmes disent essayer de s'asseoir à côté d'une femme, d'un couple ou d'une famille, et 68% s'habillent différemment dans les transports.

Dans les transports en commun, des hommes se rapprochent de moi, essayent de me toucher. L'un d'eux m'a suivie un soir jusqu'à chez moi. Je ne sors plus seule la nuit.Alicia

C'est le cas de Kaïla, 20 ans, qui se dit "inquiète" quand elle finit à 22h: "Je demande à mon patron de pouvoir partir plus tôt".

"Quand je sors, je porte un pantalon, des baskets, une veste à capuche. Je mets ma mini-robe dans mon sac", décrit Adèle, une étudiante. Anaëlle raconte, elle, se "placer à côté d'une autre femme ou dans un coin pour surveiller". "A la moindre menace, je descends du wagon. Je prends un taxi", confie-t-elle.

"Dans les transports en commun, des hommes se rapprochent de moi, essayent de me toucher. L'un d'eux m'a suivie un soir jusqu'à chez moi. Je ne sors plus seule la nuit", explique Alicia, à la gare Saint-Lazare à Paris. Juliette, juriste de 29 ans vivant en banlieue, "refuse des invitations pour éviter les transports le soir".

Plus d'insécurité, plus d'inégalités

"Les femmes expriment plus de peur que les hommes dans l'espace public", constate Raphaël Adamczak. "Le sentiment d'insécurité peut amener une femme à restreindre ses choix de domicile, de lieux et d'horaires de travail, limitant son accès à l’emploi, à la culture et la vie sociale, renforçant les inégalités hommes-femmes", relève-t-il.

Le sentiment d’insécurité pousse les femmes à refuser des emplois, à payer des taxis au lieu de prendre les transports publics. Cela nuit à leur autonomie financière. Anne-Cécile Mailfert, présidente de la Fondation des Femmes

Un climat de peur qui n'est pas sans conséquence, notamment sur le travail des femmes et leur autonomie financière, comme le confirme aussi Anne-Cécile Mailfert: "Le sentiment d’insécurité pousse les femmes à refuser des emplois, à payer des taxis au lieu de prendre les transports publics. Cela nuit à leur autonomie financière".

Plus de surveillance?

Un numéro d'urgence (3117 ou 31177 par SMS) a été mis en place par les autorités. Dans les bus, après 22h, les femmes peuvent désormais demander à descendre entre deux arrêts.

"Tous les nouveaux matériels roulants (RER, trains, métros, bus) sont désormais équipés de caméras", indique IDF Mobilités. La région voudrait mieux exploiter les 80.000 caméras du réseau pour détecter les comportements suspects grâce à l'intelligence artificielle, expérimentée pendant les Jeux olympiques.

Il faut intégrer les femmes dès la conception des espaces publics. Christiane Dupart, Fédération nationale des associations d'usagers des transports 

La solution serait aussi d'"intégrer les femmes dès la conception des espaces publics", estime Christiane Dupart, de la Fédération nationale des associations d'usagers des transports. C'est dans ce but que "des marches exploratoires sont organisées avec des groupes d'usagères qui partagent leur ressenti sur des trajets".

[Source: Le Monde]