Au Cameroun, le président Paul Biya, 92 ans, en route pour un huitième mandat
Au pouvoir depuis 1982, le chef de l’Etat a annoncé, le 12 octobre, son intention de se représenter. Bien qu’affaibli physiquement, il aborde le scrutin en position de force.

A la question de savoir si le silence et la longue absence publique du président camerounais, Paul Biya, replié depuis des mois dans son village, illustreraient une altération de sa capacité à gouverner liée à son âge avancé – 92 ans, dont près de la moitié au pouvoir –, Paul Atanga Nji va chercher son grand registre. Là s’étalent, page après page, ses notes manuscrites alignées dans des colonnes tracées à la main. Comme un gardien notant les entrées et les sorties d’un immeuble, le ministre de l’administration territoriale et secrétaire permanent du Conseil national de sécurité y consigne ses échanges, ses courriers et ses rapports envoyés quotidiennement à la présidence.
« Il me répond, au plus tard, en quarante-huit heures, du matin jusqu’au milieu de la nuit », détaille le ministre. Preuve, selon lui, que Paul Biya, invisible depuis des semaines, « n’est pas un président pour le folklore ». Et de rappeler ses voyages des derniers mois en Chine, à Paris, à Moscou ou à Addis-Abeba… Sans oublier son incontournable présence dans la tribune pour le défilé militaire marquant la Fête de l’unité, le 20 mai à Yaoundé. « On a un seul chef, c’est lui », tranche Grégoire Owona, ministre du travail et de la sécurité sociale et secrétaire général adjoint du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC), le parti hégémonique au pouvoir.
Et le chef n’entend pas abdiquer. Dimanche 13 juillet, il a confirmé ce que tout le monde anticipait. Il sera bien candidat à un huitième mandat lors de l’élection présidentielle du 12 octobre. « Je réponds, une fois de plus, à l’appel du peuple camerounais. Je suis candidat à ma propre succession », peut-on lire sur son compte X, sans savoir qui écrit.
Jamais les interrogations n’ont été si vives concernant son âge. Maître incontesté des horloges politiques depuis son accession au pouvoir, en 1982, le doyen des chefs d’Etat élus encore en fonctions, deuxième derrière son voisin équato-guinéen, Teodoro Obiang Nguema, pour la longévité au pouvoir, est rattrapé par le temps. « A 92 ans, on ne se comporte plus comme à 45 ans », concède M. Owona.
« Le système est paralysé »
« Il est de plus en plus difficile de cacher son déclin physique », affirme un diplomate étranger, qui le côtoie régulièrement et note son affaiblissement, année après année. Lui qui, des mois durant, pouvait diriger son pays à distance depuis l’hôtel InterContinental de Genève, passe dorénavant presque tout son temps à Mvomeka’a, son village natal, dans son vaste domaine lové dans une clairière de la forêt tropicale, invisible aux yeux de quasiment tout le monde.
Certes, le président camerounais n’a jamais été une bête de scène. En 2018, lors de la précédente campagne présidentielle, il avait passé en tout et pour tout dix minutes en meeting, à Maroua, dans l’extrême nord du pays. « Il n’a jamais cherché à se rendre accessible, mais ses absences et ses silences sont de plus en plus longs. Chacun guette le moindre de ses gestes et, au bout du compte, le système est paralysé », observe le sociologue Stéphane Akoa.
Ainsi, si Ferdinand Ngoh Ngoh, secrétaire général de la présidence, comble le vide et incarne publiquement le pouvoir suprême, il le fait au détriment du gouvernement et attise les divisions. « En l’absence d’arbitrage, chaque sujet provoque des luttes entre des clans qui veulent sauver leur peau », ajoute M. Akoa.
Le monolithe sur lequel trône Paul Biya semble en effet s’effriter. En juin, deux alliés du chef de l’Etat ont quitté le navire présidentiel : Issa Tchiroma Bakary, jusqu’alors ministre de l’emploi et de la formation professionnelle, et surtout Maïgari Bello Bouba, président de l’Union nationale pour la démocratie et le progrès (UNDP), ont annoncé leur intention de se présenter à la présidentielle. « Ça ne change pas vraiment l’équilibre des forces et la domination du “parti unique” RDPC, mais, il y a quelques années, quand Paul Biya contrôlait tout, jamais ils n’auraient osé faire ça, glisse un observateur. C’est la fin d’une époque, mais bien malin qui peut dire comment tiendra cette architecture institutionnelle sans sa clé de voûte Paul Biya. »
Dans l’immédiat, comme en 2018, sa candidature et donc la perpétuation du système tiennent lieu de programme. Un système qui, au-delà de l’âge du capitaine, est de plus en plus gérontocratique. Marcel Niat Njifenji, président du Sénat et deuxième personnage de l’Etat, aura bientôt 91 ans. Cavayé Yeguié Djibril, qui dirige l’Assemblée nationale depuis 1992, est né en 1940. Soit une année après René Claude Meka, le chef d’état-major des armées, qui, comme tous les généraux camerounais, n’est pas soumis à un âge de départ à la retraite. Liste non exhaustive…
« On navigue à vue »
Pour Grégoire Owona, pas question de changer pour autant : « Notre projet tournera autour de nos deux piliers : unité et développement. » Mais ces deux piliers-là ne se fissurent-ils pas ? Au chapitre de l’unité nationale, les islamistes radicaux de Boko Haram s’illustrent encore régulièrement par des attaques dans la région de l’Extrême-Nord, même s’ils sont devenus moins offensifs. L’autre rébellion armée, celle du mouvement Ambazonie, dans les régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, a été matée, mais les revendications spécifiques de la population anglophone locale sont ignorées par le pouvoir central et le malaise demeure.
« Quant au développement, on navigue à vue », regrette Célestin Tawamba, président du Groupement interpatronal du Cameroun (Gicam). Il décrit une économie en état de « décroissance ». « Le BTP stagne, le stock d’investissements directs étrangers, déjà dix fois inférieur à celui de la Côte d’Ivoire, est en baisse, alors qu’on en a besoin dans tous les secteurs : énergie, télécoms, infrastructures…, énumère le patron des patrons. Il est temps de changer de gouvernance et de paradigme, d’arrêter de saupoudrer l’argent public pour contenter la moindre baronnie politique. »
Bien qu’affaibli, le pouvoir aborde de nouveau la présidentielle en position de force, servi par un système d’élection à un seul tour qui favorise le candidat sortant. D’autant que l’opposition se cherche toujours un champion, même si Maurice Kamto, arrivé deuxième en 2018 avec 14 % des voix, se voit comme tel. « La question n’est pas l’homme providentiel, mais un programme et une stratégie commune, analyse l’opposant Cabral Libii, lui aussi candidat lors de la dernière présidentielle. J’avais 2 ans en 1982, quand Biya est arrivé au pouvoir. Il est temps que ça change. »
Mais, dans l’hypothèse où l’opposition chercherait son salut hors des urnes pour déboulonner un système vacillant, mais encore solidement arrimé, Paul Atanga Nji, qui revendique « une ligne sécuritaire extrêmement dure », avertit : « Nous ne sommes pas un Etat policier, mais le système est verrouillé. Ici, ce n’est pas la république de la rue. »
[Source: Le Monde]