Droits de douane : le Brésil riposte aux taxes décidées par Donald Trump avec une « loi de réciprocité »

L’objectif du président Lula est de ramener les Etats-Unis à la table des négociations et d’éviter les taxes douanières de 50 %.

Juil 17, 2025 - 06:20
Droits de douane : le Brésil riposte aux taxes décidées par Donald Trump avec une « loi de réciprocité »
Le président brésilien, Luiz Inacio Lula da Silva, lors du 17ᵉ sommet annuel des BRICS, à Rio de Janeiro, le 7 juillet 2025. ERALDO PERES/AP

Après l’attaque, la riposte. Le président brésilien, Luiz Inacio Lula da Silva, dit « Lula », a signé, lundi 14 juillet dans la soirée, le décret permettant l’entrée en vigueur de ladite « loi de réciprocité ». Ce texte, voté par le Congrès en avril lors de la première salve de taxes décidées par le président américain, Donald Trump, autorise le pays à suspendre les « concessions commerciales, les investissements et les obligations liées aux droits de propriété intellectuelle en réponse aux actions unilatérales de pays ou de blocs économiques qui affectent négativement sa compétitivité internationale ». Une réplique à peine masquée aux Etats-Unis, qui, le 9 juillet, avaient annoncé de nouvelles taxes douanières de 50 % contre le géant sud-américain, pouvant entrer en vigueur dès le 1er août.

La loi inclut notamment la possibilité de répliques économiques contre les pays qui « interfèrent dans les choix légitimes et souverains du Brésil ». Un texte qui semble donc taillé sur mesure pour la situation actuelle : pour justifier sa décision, M. Trump avait principalement invoqué le traitement « injuste » réservé à l’ex-président Jair Bolsonaro, menacé de prison pour tentative de coup d’Etat. Pour autant, le texte semble écarter la possibilité de mesures symétriques à celles prises par les Etats-Unis, puisqu’il précise que les potentielles répliques doivent « minimiser l’impact sur l’activité économique ».

« Le Brésil ne se précipitera pas dans des mesures de rétorsion », confirmait Geraldo Alckmin, vice-président du Brésil, au sortir de réunions avec des représentants de l’industrie et de l’agronégoce, mardi 15 juillet. Egalement chargé du ministère de l’industrie, M. Alckmin affirmait que la priorité du gouvernement était encore de faire revenir Donald Trump sur sa décision, sans pour autant exclure de demander une prolongation du délai.

« Côté brésilien, il existe une certaine marge de manœuvre pour ouvrir des négociations, estime Lia Valls, professeure d’économie à la Fondation Getulio Vargas. Le gouvernement pourrait, par exemple, baisser ses taxes douanières sur les importations d’éthanol, actuellement fixées à 18 %, qui sont un motif récurrent de plaintes des Américains [jusqu’en avril, ces derniers ne les taxaient qu’à hauteur de 2,5 %]. Il pourrait également inciter les grandes entreprises présentes aux Etats-Unis, comme le constructeur aéronautique Embraer ou le producteur de viande JBS, à y augmenter leurs investissements. »

Posture symbolique

En attendant, si elles se concrétisent, les taxes douanières pourraient bien faire perdre 10 milliards de dollars (8,6 milliards d’euros environ) à l’excédent commercial brésilien, selon l’Indicateur du commerce extérieur (Icomex) de la Fondation Getulio Vargas. Une pénalité certes considérable, mais pas insurmontable pour le Brésil, estime Joao Gabriel Caetano Leite, politiste et économiste à la Pontificia Universidade Catolica de Rio de Janeiro : « Les Etats-Unis ne représentent que 12 % des exportations brésiliennes [en baisse de moitié depuis 2001].C’est un partenaire commercial important, mais le Brésil n’en est pas particulièrement dépendant. Il exporte bien plus vers la Chine et l’Union européenne, par exemple [respectivement 30,7 % et 14,3 % du total des exportations brésiliennes]. 

En revanche, la mise en place de mesures de rétorsion pourrait coûter cher à l’économie brésilienne. « Nous importons de nombreux produits qui sont capitaux pour le fonctionnement de notre propre industrie », explique M. Leite. Parmi les biens les plus demandés, des turboréacteurs et des turbopropulseurs d’aviation, entiers ou en pièces détachées, suivis par le pétrole et ses dérivés.

A ce stade, si des mesures de rétorsion devraient être engagées, l’option considérée comme la moins dommageable par le gouvernement serait la levée des brevets de propriété intellectuelle, relate la presse brésilienne. Mais une telle mesure ne serait pas dépourvue de conséquences, estime Mme Valls. « Cette décision créerait une situation d’insécurité juridique qui ferait fuir les investisseurs », anticipe l’économiste.

Le gouvernement Lula espère donc s’en tenir à sa posture actuelle, encore symbolique pour l’instant. D’autant plus que le président brésilien a su jusqu’ici capitaliser sur le sentiment d’agression nationale qui traverse la société brésilienne depuis les annonces de M. Trump. Un sondage AtlasIntel, divulgué mardi 15 juillet, révélait ainsi qu’alors que 62,2 % des Brésiliens estimaient la décision américaine injustifiée, 44,8 % d’entre eux jugeaient la conduite du président adéquate.

Il reste que le gouvernement brésilien a néanmoins défini une ligne rouge : le jugement de Jair Bolsonaro, principale cause des tensions, ne sera pas un sujet de négociation. En témoigne la nouvelle déclaration du ministère des affaires étrangères brésilien, mardi, dénonçant une « ingérence injustifiée et inacceptable dans les affaires relevant de la compétence du pouvoir judiciaire brésilien ». Une sortie visiblement peu appréciée des Etats-Unis, qui, quelques heures plus tard, annonçaient l’ouverture d’une enquête sur les pratiques commerciales « déloyales » du Brésil.

[Source: Le Monde]