Guerre commerciale entre l’Union européenne et les Etats-Unis : un accord asymétrique se dessine

A une semaine de l’ultimatum fixé par Donald Trump, qui menace d’imposer des surtaxes de 30 % sur les importations européennes, Bruxelles tente d’éviter une guerre commerciale avec Washington. Un accord partiel se profile, mais reste incertain face à l’imprévisibilité du président américain.

Juil 24, 2025 - 05:09
Guerre commerciale entre l’Union européenne et les Etats-Unis : un accord asymétrique se dessine
La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, et le commissaire au commerce de l’Union européenne, Maros Sefcovic, à Bruxelles, le 9 juillet 2025. JEAN-CHRISTOPHE VERHAEGEN/AFP

Ursula von der Leyen a beau être en Asie, où elle doit participer, jeudi 24 juillet, à un sommet entre l’Union européenne (UE) et la Chine, ses pensées vont, à n’en pas douter, aux Etats-Unis. Non que les relations avec Pékin soient au beau fixe ; bien au contraire, les sujets de friction sont légion. Mais, à une semaine du 1er août, date à laquelle Donald Trump menace d’imposer aux importations européennes des surtaxes de 30 % si aucun accord n’est trouvé d’ici là entre Washington et Bruxelles, la présidente de la Commission redoute une guerre commerciale, qui serait désastreuse pour le Vieux Continent.

Depuis son retour à la Maison Blanche, Donald Trump a déjà augmenté les droits de douane de 25 % sur les voitures, de 50 % sur l’acier et l’aluminium et de 10 % sur un large éventail de produits. Il a aussi prévenu qu’il pourrait s’en prendre aux produits pharmaceutiques ou aux semi-conducteurs. Côté européen, en revanche, où l’on a jusqu’ici fait le choix de ménager Washington pour éviter une escalade dangereuse, aucune mesure de rétorsion n’a encore été mise en œuvre.

Cela fait des semaines que la Commission, compétente en matière de commerce, et l’administration américaine négocient, sans succès. Le commissaire au commerce, Maros Sefcovic, s’est déjà rendu sept fois outre-Atlantique. Il parle de manière quasi quotidienne avec le secrétaire au commerce, Howard Lutnick, le représentant au commerce, Jamieson Greer ou encore Kevin Hassett, le conseiller économique de M. Trump.

Des exceptions prévues

Mercredi 23 juillet, un accord semblait néanmoins envisageable, même s’il est loin d’être ficelé et que l’imprévisible Donald Trump, à qui revient la décision finale outre-Atlantique, ne s’est pas encore prononcé. Le chef de cabinet d’Ursula von der Leyen, Bjoern Seibert, a présenté aux ambassadeurs des Vingt-Sept auprès de l’UE les contours de ce qui pourrait en être la base, afin de vérifier si les Etats membres seraient prêts à suivre.

Les termes du marché sont les suivants, a-t-il expliqué aux diplomates. Tous les biens européens, y compris les biens pharmaceutiques, les semi-conducteurs, les voitures ou l’acier, subiraient des droits de douane de 15 % (y compris les droits de douane actuels, de 4,5 % en moyenne), ce qui revient peu ou prou à entériner la situation actuelle. Des exceptions seraient prévues pour l’aéronautique ou les spiritueux. « Il faut encore voir secteur par secteur ce que cela signifie », nuance un diplomate européen.

Pour l’acier et l’aluminium, en contrepartie, l’UE s’allierait aux Etats-Unis, dans une sorte de club, afin de lutter contre les surcapacités chinoises. La question des voitures, qui obsède autant Donald Trump, persuadé que les Européens font tout pour barrer la route aux véhicules américains, que l’Allemagne, dont les constructeurs automobiles traversent une grave crise, reste, pour sa part, à régler. « L’accord qui vient d’être conclu entre les Etats-Unis et le Japon souligne la volonté américaine de conclure un accord avec ses partenaires », veut croire la Commission.

Emmanuel Macron milite pour un accord équilibré

Si ces éléments devaient ouvrir la voie à un accord entre les Etats-Unis et l’UE, celui-ci serait largement asymétrique, puisque les Vingt-Sept, eux, ne prélèveraient aucune surtaxe. Mais l’Allemagne et l’Italie, qui sont les plus gros exportateurs aux Etats-Unis, sont tentés : ils en jugent le coût absorbable – à 30 % de surtaxes, ce n’est pas le cas –, et ils veulent sortir de cette période hautement imprévisible, néfaste à l’investissement comme à l’emploi. « On vient d’apprendre que, peut-être, il y aurait des décisions », s’est réjoui le chancelier allemand, Friedrich Merz, mercredi soir.

A l’est et au nord de l’Union, où les enjeux économiques sont mineurs, ce qui intéresse les gouvernements, c’est surtout qu’il y ait un accord. Ils ont à cœur de ménager Donald Trump et ne pas prendre le risque que Washington se retire de la sécurité européenne ou arrête de soutenir l’Ukraine. Le reste, d’une certaine manière, est secondaire.

A Paris, Emmanuel Macron a, pour sa part, toujours milité pour un accord équilibré. Forte de son marché de 450 millions de consommateurs, l’Europe doit montrer ses muscles, juge le président français, pour qui le rapport de force est aussi le seul langage que comprenne Donald Trump. Jusqu’ici, il est resté relativement isolé sur cette position. Mais il ne désespère pas, dans la dernière ligne droite, de faire valoir ses arguments et de convaincre Friedrich Merz, avec qui il dînait, mercredi, à Berlin.

Un changement de méthode souhaité

Pour l’heure, la France se félicite que la Commission ait enfin prévu de présenter aux Européens, pour validation, un nouveau paquet de contremesures – des surtaxes portant sur 72 milliards d’euros de biens américains –, qui complète une première salve (de 21 milliards d’euros) déjà arrêtée. Il devrait être adopté jeudi 24 juillet et entrer en vigueur, lui aussi, le 7 août, si aucun accord n’est trouvé avec Washington d’ici là. « Dans ce cas de figure, au total, ce serait 93 milliards d’euros, c’est-à-dire 100 milliards de dollars d’exportations américaines qui seraient surtaxées », insiste la Commission.

Cela reste loin des niveaux atteints par l’offensive protectionniste de Donald Trump. Les nouveaux droits de douaneaméricains « couvrent 380 milliards d’euros d’exportations de l’UE vers les Etats-Unis, soit 70 % de nos exportations », rappelait Maros Sefcovic, le 6 mai. Pour Paris, il faut aller plus loin dans la riposte, ou en tout cas la menace de riposte. Il faut « changer de méthode », a répété, le 22 juillet le ministre de l’industrie, Marc Ferracci. C’est une question de « crédibilité géopolitique de l’UE », a insisté sur France Inter, mercredi, le ministre délégué chargé de l’Europe, Benjamin Haddad.

Des discussions encore en cours

Emmanuel Macron prône l’utilisation de l’instrument anticoercition, qui permettrait à l’UE de s’en prendre aussi aux services numériques et financiers américains (contrôle des exportations, restriction de l’accès aux marchés publics, …). Et ce, sans attendre, afin de se doter d’une arme de dissuasion face à Donald Trump. La brutalité du milliardaire américain et le ton de sa lettre du 12 juillet, dans laquelle il menace de porter à 30 % les surtaxes sur les biens européens, lui ont donné des arguments.

L’Allemagne a évolué, elle « est aujourd’hui prête à utiliser l’instrument anticoercition s’il devait y avoir une escalade côté américain. Il y a deux semaines, elle ne voulait pas en entendre parler », décrypte un diplomate européen. La Commission est sur la même ligne et, sauf changement d’humeur de Donald Trump, elle ne compte rien faire avant le 1er août.

Les discussions entre Bruxelles et Washington se poursuivent et Maros Sefcovic pourrait se rendre à Washington en fin de semaine. Encore faudrait-il que Donald Trump valide l’accord en cours de négociation. Peut-être, alors, demandera-t-il à Ursula von der Leyen de se prêter au jeu de la mise en scène de sa victoire politique, dans le bureau Ovale. Il lui faudra « baiser la bague de Trump », ironise un diplomate européen.

[Source: Le Monde]