« J’ai regretté ce road trip qui a sans doute flingué notre relation » : ces voyages qui consolident ou brisent les liens

Pour un jeune couple ou des amis, les premières vacances font souvent figure de test. Entre ruptures sur les aires d’autoroute et complicités renforcées, voici des récits sur l’art difficile de l’aventure partagée.

Juil 23, 2025 - 06:44
« J’ai regretté ce road trip qui a sans doute flingué notre relation » : ces voyages qui consolident ou brisent les liens
YIMENG SUN

Guide touristique à la main, Joséphine, 30 ans, s’émerveille devant les photos de vignobles et les paysages grandioses de la vallée du Douro, au Portugal. A ses côtés, son compagnon soupire. Lui préférerait déambuler dans les ruelles de Porto. « C’était pourtant son idée au départ, la vallée du Douro ! Mais il trouvait toujours un moyen de me contredire pour rester maître du programme », ironise cette kinésithérapeute qui habite en Wallonie (Belgique).

La trentenaire, d’habitude passionnée d’excursions et de découvertes, renonce à tout organiser et se replie sur elle-même. Son copain reste affalé sur le canapé de leur maison, absorbé par une série. Tant pis pour le concert de fado qu’elle avait soigneusement repéré. « Avant de partir, je voyais qu’il avait besoin de contrôler, une fois sur place, ça s’est aggravé ! », se souvient celle qui est alors en relation depuis quatre mois.

Lors de cette semaine de vacances en avril, le couple vacille et les disputes s’enchaînent entre deux selfies. A mi-parcours, ils tentent de sauver les meubles : une conversation sur la terrasse, quelques concessions arrachées de part et d’autre. Joséphine tente de calmer le jeu, prête à mettre ses envies de côté pour préserver leur binôme. Mais, sur le chemin du retour, ils sont coincés dans leur SUV climatisé entre sacs à dos et non-dits, quand une dernière altercation éclate. Leur histoire s’achève sur une aire d’autoroute, entre un distributeur de snacks et des toilettes publiques : « Il nous restait encore quatre heures de route… C’était un peu tendu. » Ce séjour lui a montré un partenaire soupe au lait et incapable de lâcher prise.

Coincés dans un espace restreint

Partir ensemble, c’est se confronter à la vie quotidienne hors de son cocon, aux compromis, aux frustrations… Et, parfois, aux incompatibilités profondes. Pour la génération Z (née entre 1998 et 2012), les premières vacances à deux ne sont pas anodines, souligne Jean Viard, sociologue : « C’est le moment où l’on échappe au contrôle social des parents et du groupe et où les jeunes tentent quelque chose qui ressemble à la vie commune. »

Sur les réseaux sociaux, certains partagent sans filtre leurs ruptures soudaines sur le parking d’aéroport ou dans une station balnéaire. Il y a ceux qui poursuivent leur périple à deux, le cœur un peu cabossé, quand d’autres prennent la route en solo, bien décidés à aller au bout de l’aventure.

Dans le film Premières vacances (2018), de Patrick Cassir, Marion et Ben viennent à peine de se rencontrer sur Tinder quand ils décident de partir ensemble en Bulgarie. Ainsi leur histoire débute dans un Airbnb miteux, où chacun remarque les petites manies tue-l’amour de l’autre. Si les vacances jouent si souvent ce rôle de révélateur, c’est parce qu’on se retrouve coincés dans un espace restreint, observe Patrick Estrade, psychologue : « Cette proximité avec l’autre peut être un test. A cela s’ajoutent le stress lié au départ, l’argent investi et le rêve qu’on attend. Alors le moindre problème vient faire péricliter nos idéaux. »

Quand Wendy, 20 ans à l’époque, responsable de magasin dans les Yvelines, s’envole, en 2019, pour Amsterdam avec son amie d’enfance, elle imagine des vacances idylliques. Rien, croit-elle, ne pourra gâcher sa virée à l’étranger. Leur appartement est un peu excentré, mais qu’importe : elles ont une voiture pour rayonner en ville. Sauf que, très vite, le décalage se fait sentir : Wendy aime se lever tôt, prête à marcher le long des canaux ou à filer au Musée Van Gogh, tandis que son acolyte reste sous la couette. « Je devais tout le temps l’attendre, car je ne me voyais pas prendre les transports toute seule dans un pays inconnu », confie celle qui était trop mal à l’aise pour dire à son amie ce qu’elle ressentait.

Et ce n’est guère mieux lorsqu’elle part avec une collègue en Grèce, en juillet 2021. Dès la première semaine, leur excursion sur l’île de Zante vire au fiasco : en pleine montée d’une route sinueuse direction la plage, Wendy force le moteur en marche arrière. La voiture s’enfume. En longeant la route principale, sous un soleil écrasant, son amie fait une insolation. Cet épisode a crispé leurs relations. Résultat : sa collègue quitte l’hôtel cinq jours avant la fin et les deux amies coupent les ponts. Maintenant, Wendy opte pour des escapades en solo.

« On adorait flâner »

Parcourir le monde, c’est aussi une trajectoire personnelle, explique Bertrand Réau, sociologue et auteur, avec l’anthropologue Saskia Cousin, de Sociologie du tourisme (La Découverte, 2016) : « Enfant, on part avec ses parents. Puis, au fil des années, chaque voyage façonne de nouveaux savoir-être, qui varient selon le type de séjour et le capital culturel de chacun. » Pour Corentin, 28 ans, originaire de Clermont-Ferrand, découvrir d’autres cultures relève presque de l’addiction. « C’est comme une drogue », s’amuse ce concepteur de cuisine, qui, enfant, sillonnait la France en camping-car avec son grand-père. En février, il décolle pour trois mois en Amérique latine, impatient que sa compagne, avec qui il partage sa vie depuis quatre ans, le rejoigne au Pérou pour un mois.

Mais, dès son arrivée, leurs visions du voyage s’entrechoquent : elle rêve d’instants romantiques à deux, loin du tumulte. Il veut rencontrer du monde, discuter sans cesse. « On dormait en auberge de jeunesse, elle réclamait du temps rien que pour nous… J’aurais dû la prendre plus au sérieux », admet-il. S’il ne nie pas les bons moments, notamment leur balade au canyon de Colca, il n’oublie pas cette fameuse nuit où une dispute explose dans une boîte de nuit péruvienne : « Elle voulait me rendre la monnaie de ma pièce en me rendant un peu jaloux… » Huit jours après le départ de sa compagne, alors qu’il poursuit seul son périple en Colombie, la rupture tombe… Par SMS. « J’ai regretté ce road trip, qui a sans doute flingué notre relation… », souffle-t-il, ému.

Pourtant, les vacances en duo peuvent aussi renforcer une complicité naissante, constate Bertrand Réau : « Face aux difficultés, une solidarité se crée, et le cadre sécurisé du voyage offre un terrain idéal pour anticiper les petits problèmes susceptibles de survenir. » Anaëlle, 23 ans, étudiante en master de psychologie à Nantes, se souvient avec émotion de sa première fois au Maroc, décidée sur un coup de tête avec une copine rencontrée en Erasmus à Valence, en Espagne, en 2024. « On se connaissait depuis quatre mois à peine, et j’appréhendais de me retrouver H24 [toute la journée] avec quelqu’un. Ça ne m’était jamais arrivé, en dehors de ma famille », commence-t-elle. Dans l’avion en direction de Fès, Anaëlle se rassure en pensant à ce qui les rapproche : leur intérêt mutuel pour les cultures arabes, les pique-niques au bord de la mer et des valeurs partagées.

Une fois sur place, elle qui d’ordinaire a besoin de solitude pour recharger ses batteries se découvre portée par la présence de son amie. « On adorait flâner dans des ruelles désertes et nous attabler dans des restos locaux », retrace Anaëlle. Même dans les moments moins agréables – comme cette fois aux souks de Casablanca où Anaëlle se sent oppressée par la foule et les sollicitations insistantes des marchands –, elle sait qu’elle peut compter sur son amie. Celle-ci lui attrape doucement le bras, comme pour lui dire qu’elle n’est pas seule. Leurs plus beaux souvenirs restent ces longues soirées à savourer le silence, assises côte à côte sur leur lit d’hôtel, cheveux encore humides après la douche. Prochain voyage commun : Istanbul.

[Source: Le Monde]