Avec la chute annoncée de François Bayrou, Emmanuel Macron face au risque d’un mandat déstabilisé
Bien qu’il ait repoussé le scénario d’une dissolution – qu’une partie de son camp juge inéluctable – et celui de sa démission, la pression des oppositions, le spectre d’un mouvement social d’ampleur et le vote du budget avant le 31 décembre obligent le chef de l’Etat à agir vite.

A neuf jours du vote de confiance de l’Assemblée nationale, quasi perdu d’avance pour François Bayrou, tous les regards se tournent désormais vers le chef de l’Etat. Le départ annoncé du centriste porte à quatre le nombre de premiers ministres qui se seront succédé à Matignon depuis 2022 – un record sous la Ve République. Le constat est amer pour Emmanuel Macron, qui peine à conjurer cette précarité qui frappe de plein fouet le pouvoir exécutif. Toutes les combinaisons gouvernementales essayées jusqu’ici par le locataire de l’Elysée se sont fracassées sur l’absence de majorité et de réformes substantielles.
Alors, vendredi 29 août, quand le chef de l’Etat est interrogé sur la révocation probable du gouvernement Bayrou, le 8 septembre, il en appelle de nouveau à la « responsabilité » des oppositions, qui, de la gauche au Rassemblement national (RN), refusent d’accorder leur confiance au premier ministre. « Je veux croire que le travail qu’il va mener dans les prochains jours va permettre de convaincre que même s’il y a des désaccords sur les mesures techniques [du budget] (…) il peut y avoir au moins des chemins d’accord sur le constat [de la dette] », a-t-il souligné à l’issue du conseil des ministres franco-allemand, à Toulon. S’il juge le pari de François Bayrou « pas totalement fou », « pour le reste, je ne fais pas de la politique-fiction », lance-t-il.
Le locataire de l’Elysée a repoussé deux scénarios plausibles de l’après-Bayrou. D’abord, celui d’une nouvelle dissolution, qu’une partie de son camp, à l’image de l’ancien premier ministre Edouard Philippe, juge « assez inéluctable », « si aucun gouvernement ne peut préparer aucun budget ». « On a un Parlement qui reflète les fractures du pays. C’est aux responsables politiques de savoir travailler ensemble », avait défendu Emmanuel Macron dans un entretien à l’hebdomadaire Paris Match, le 19 août.
Levée de tabou
Réticent à la tenue de nouvelles élections législatives qui risqueraient de reproduire peu ou prou les mêmes résultats que ceux de juin 2024, voire de favoriser l’extrême droite et la gauche radicale au détriment de son propre camp, le chef de l’Etat envisage néanmoins la dissolution comme une arme de dissuasion, pour discipliner ses troupes et peser sur les partis qui craignent un scrutin national avant 2027, à l’instar du Parti socialiste ou des Républicains. « Une dissolution ne pourrait que diviser par deux le nombre de soutiens du gouvernement à l’Assemblée et amener mécaniquement la question de la démission du chef de l’Etat », prévient le député (divers centre, Eure-et-Loir) Harold Huwart.
Car la crise de gouvernabilité que traverse le pays donne des ailes au leader de La France insoumise (LFI), Jean-Luc Mélenchon, et à la présidente du groupe RN à l’Assemblée, Marine Le Pen. Tous deux assument de se servir de la chute du gouvernement Bayrou pour atteindre Emmanuel Macron afin de provoquer une élection présidentielle anticipée.« La démocratie consiste à ce que des gens votent pour un mandat donné. Le mandat qui m’a été confié par les Français et par personne d’autre est un mandat qui sera exercé jusqu’à son terme, a objecté, vendredi, le chef de l’Etat, (…) n’en déplaise y compris à ceux qui ont été défaits à plusieurs reprises lors de ces mêmes élections. »
Mais Emmanuel Macron assiste impuissant à la levée progressive du tabou dans les cercles dirigeants sur son maintien au pouvoir. Le chef de l’Etat est jugé responsable d’une crise politique décuplée par sa dissolution ratée, et qui menace maintenant de muter en une crise économique et sociale d’ampleur, du fait de la forte dégradation des finances publiques sous son mandat.
« L’irresponsabilité institutionnelle du président de la République le protège, mais sa responsabilité politique dans la crise financière et politique actuelle l’expose chaque jour davantage. Combien de temps la première l’emportera sur la seconde ? La situation semble ne tenir qu’à un fil », analyse l’ancien président du groupe macroniste à l’Assemblée nationale Gilles Le Gendre.
« Remettre la démocratie à l’endroit »
Mais ce débat sur la démission du chef de l’Etat, encore contenu dans l’opinion, qui reste attachée à la fonction présidentielle, est avant tout le symptôme d’une défiance maximale à l’égard des élites politiques. « Il n’est pas absurde et irrationnel de se poser cette question compte tenu de l’impasse démocratique totale dans laquelle nous sommes, estime le chercheur au Cevipof Bruno Cautrès, car, depuis la dissolution, le problème reste entier : comment faire correspondre le gouvernement et les choix de politique publique avec le choix dominant de l’électorat ? »
Une fois François Bayrou évincé de Matignon, la tentation pour Emmanuel Macron serait de nommer un autre de ses fidèles ou un représentant de la droite et du centre qui apparaîtrait plus souple que François Bayrou dans ses négociations sur un budget de redressement des finances publiques. Les noms des ministres Sébastien Lecornu (armées) et Catherine Vautrin (travail et santé), Gérald Darmanin (justice) et Eric Lombard (économie) circulent pour incarner cette politique de compromis ou du moins un pacte minimal de non-censure avec le Parti socialiste jusqu’en 2027. Emmanuel Macron le martèle depuis plusieurs mois, il rêve d’une coalition à l’allemande alliant les conservateurs et les sociaux-démocrates.
Mais ce scénario privilégié au sommet de l’Etat omet un point essentiel : la gauche et l’extrême droite n’ont jamais digéré d’avoir été écartées de Matignon alors qu’elles revendiquaient chacune la victoire (la première en nombre de sièges, la seconde en nombre de voix) au lendemain des législatives de 2024.
Le 8 septembre au soir, Emmanuel Macron risque de se heurter à cette soif de revanche et à la remise en cause de pans entiers de sa politique, notamment économique, qu’il pourra difficilement balayer d’un revers de main ; d’autant plus que le mouvement contestataire du 10 septembre, Bloquons tout, s’est, lui, formé contre le budget impopulaire de François Bayrou, avant le soutien opportuniste de LFI.
« La crise que traverse notre pays n’est pas d’abord budgétaire ou financière, elle est politique. Elle est née d’un Etat qui gouverne seul contre son peuple et non avec lui », a soutenu, vendredi, le premier secrétaire du Parti socialiste, Olivier Faure, lors des universités d’été de son parti à Blois. L’élu de Seine-et-Marne estime que la gauche hors LFI est apte à gouverner, sans avoir recours à l’article 49.3 de la Constitution – qui permet l’adoption d’une loi sans vote –, en construisant des compromis au Parlement « texte par texte », et met au défi Emmanuel Macron de « répondre à cette proposition commune ».
« Nous sommes volontaires pour être les suivants », mais « nous ne remplirons pas le jeu des pronostics et des prétendants sous son regard goguenard. Il est temps simplement de remettre la démocratie à l’endroit et de rétablir le Parlement dans son rôle », a prévenu le leader socialiste, qui a écarté l’hypothèse d’un gouvernement allant de « Faure à Retailleau », comme le soutiennent l’ancien premier ministre Bernard Cazeneuve, dont le nom fut cité pour Matignon, et les ministres Manuel Valls (outre-mer) et François Rebsamen (aménagement du territoire), tous d’obédience socialiste.
« Il y a une impasse »
Cette offre de service des socialistes a irrité Jean-Luc Mélenchon. « Nous ne soutiendrons aucun autre gouvernement que le nôtre », a menacé vendredi soir le dirigeant « insoumis », lors d’une conférence à Paris. Si Emmanuel Macron « choisit un type » pour remplacer François Bayrou, « on le cloue tout de suite », a-t-il annoncé, exigeant de nouveau le départ du président.
A l’extrême droite, la clémence à l’égard d’Emmanuel Macron a aussi fait long feu. « Après deux premiers ministres, on se rend compte qu’il y a une impasse. On ne croit plus en un troisième premier ministre proposé par Emmanuel Macron et capable de proposer une autre politique », estime Alexandre Loubet, député RN de Moselle et conseiller spécial du président du parti, Jordan Bardella. En l’état, et à rebours de leur stratégie de ne jamais censurer un premier ministre a priori, les deux têtes du RN, Marine Le Pen et Jordan Bardella, menacent désormais de renverser tout premier ministre issu du bloc central, là aussi pour précipiter un retour aux urnes.
Pression des oppositions, vote du budget avant le 31 décembre, spectre d’un mouvement social d’ampleur, couperet des agences de notation financière dès le 12 septembre… Habitué à étirer le temps pour mieux se placer au centre du jeu politique, Emmanuel Macron pourrait, cette fois-ci, être contraint de réagir au plus vite pour ne pas perdre, pour de bon, le fil de son mandat.
[Source: Le Monde]