Avec la canicule, l’été débute et la France suffoque déjà : « Impossible de dormir avant 3 heures du matin »
La température a approché ou dépassé 35 °C dans les seize départements en vigilance orange, s’établissant souvent 10 °C à 15 °C au-dessus des normales de saison. Samedi, la chaleur va monter d’un cran, jusqu’à 40 °C en Occitanie et dans le Val-de-Loire.

Lances à incendie braquées sur la foule, brumisateurs géants, « cascades » d’eau froide sous deux gigantesques arches… Pour rafraîchir un public en ébullition et éviter les coups de chaud et les malaises, les organisateurs du Hellfest – l’un des plus grands rassemblements de musique extrême d’Europe – n’ont pas lésiné sur les moyens. Il faut dire qu’à Clisson (Loire-Atlantique), où se rendent chaque jour depuis jeudi près de 60 000 « metalleux », le mercure affichait vendredi après-midi 35 °C, à quelques degrés seulement des 38 °C à l’ombre atteints en 2022.
« C’est la septième fois que je viens au Hellfest, mais c’est particulièrement dur cette année », témoigne Gilles (qui n’a pas souhaité donner son nom de famille, comme les autres personnes interrogées). Allongé sous la serre baptisée « Hellfresh », un espace ombragé équipé de bancs où des brumisateurs tournent en permanence, le sexagénaire attend que le pic de chaleur passe, car, dit-il, « avec ma mobilité réduite, c’est quasiment impossible pour moi de circuler ».
La France connaît depuis jeudi sa première vague de chaleur de l’été. Si elle ne devrait pas être record, elle s’avère « remarquable par son intensité » et « précoce » – seules trois autres ont débuté plus tôt dans l’année, selon Tristan Amm, prévisionniste à Météo-France. Cette canicule est caractéristique du changement climatique, qui rend les vagues de chaleur de plus en plus fréquentes, intenses et durables, aussi précoces qu’elles peuvent être tardives.
Jusqu’à 39,3 °C dans l’Hérault
Vendredi, le mercure a approché ou dépassé 35 °C dans les seize départements en vigilance orange canicule, s’établissant souvent 10 °C à 15 °C au-dessus des normales de saison. Météo-France a notamment enregistré 39,3 °C à Vailhan (Hérault), 37,5 °C à Saintes (Charente-Maritime), 36,7 °C à Narbonne et plus de 35 °C à Marseille, Toulouse, Nantes et Rennes, selon des valeurs provisoires à 17 heures.
A Toulouse, en fin d’après-midi, le panneau lumineux d’une pharmacie située en plein soleil place Etienne-Esquirol, en cœur de ville, affiche même un effarant… 41 °C. Dans une petite rue adjacente, le bar Le Gloria a mis en route la climatisation dès jeudi. « C’est parti pour deux mois de ouf », se désole Solène, la serveuse. Dans le dédale des ruelles autour de la rue commerçante Saint-Rome, l’activité est au minimum. Les briques orange-rosé des façades agissent comme un four à ciel ouvert.
A Lyon, lors des vagues de chaleur, les habitants de la résidence de La Part-Dieu, dans le quartier du même nom, se sentent précisément cuire à petit feu. Leur barre d’immeuble de quatorze étages, typique de l’urbanisme lyonnais des années 1970, est exposée ouest-est. « Le soir, on se retrouve dans une bulle de chaleur, le soleil a tapé pendant des heures sur les murs de l’immeuble, on sent la température qui continue de se diffuser par le balcon, ça ne sert à rien d’ouvrir les fenêtres, au contraire ! Avec la chaleur, impossible de dormir avant 3 heures du matin », décrit Alexandre, 35 ans, locataire depuis dix ans. Dans son appartement situé plein ouest, au quatorzième étage, la température monte jusqu’à 31 °C.
« Ça devient très difficile »
Quelques étages plus bas, Isabelle, 60 ans, a pris sa décision : « Ce n’est plus vivable, je vais m’en aller et chercher un logement dans un autre secteur, plus près des cours d’eau. » Elle dit avoir senti « la chaleur grimper au fur et à mesure des années ». En partie HLM, l’immeuble de 230 logements a entamé une rénovation lancée par les deux bailleurs sociaux. « Le double vitrage améliore les choses, j’espère qu’ils vont bientôt le poser chez nous, ça devient très difficile », témoigne Marie-Paule, 68 ans, de retour des courses. Dans son appartement situé au troisième étage, elle a installé un climatiseur mobile, mais lorsque le thermomètre baisse dans une pièce, il grimpe à plus de 30 °C dans celle d’à côté. « J’habite ici depuis 1988, on a froid l’hiver, on a chaud l’été, depuis quelques années, ça devient plus possible », dit-elle.
Aucune génération n’est épargnée par cette vague de chaleur. A Bordeaux, dès jeudi, les jeux métalliques pour enfants du parc de Lussy sont brûlants et intouchables à l’heure de la sortie des classes. Le parc est bien moins fréquenté que d’habitude. Le seul petit coin d’ombre est pris d’assaut par les quelques familles qui ont tenté d’y prendre le goûter. Les brumisateurs installés par la municipalité sont étonnamment à l’arrêt. « Mais pourquoi ne sont-ils pas activés ? Il fait si chaud ! », s’indigne une mère.
A l’école Bel-Air, située juste en face, les deux salles de classe les plus exposées à la chaleur ont été déplacées dans des espaces plus frais : la cantine et la salle de garderie, toutes deux situées en demi-sous-sol. Mathilde Carteau, la directrice, explique avoir adapté les enseignements « en privilégiant des activités calmes l’après-midi ». Dans la cour de récréation, « nous avons demandé aux élèves de rester à l’ombre, en les rafraîchissant régulièrement à l’aide d’un jet d’eau transformé en brumisateur géant », détaille la directrice.
Des activités adaptées
Si la canicule est moins pénible en bord de mer, il y a des limites. En plein après-midi, avec un thermomètre affichant jusqu’à 35 °C sous abri, la plaine des jeux Colette-Besson, dans le quartier de Port-Neuf, à La Rochelle, est déserte, plombée par la chaleur. Dans les établissements scolaires, les élèves ont été dispensés d’activités physiques. Même les imperturbables boulistes du Gabut ont déserté la piste.
Quelques joggeurs sont apparus sur la promenade du chenal en fin de journée. « Il ne fait pas si chaud que ça, il y a de l’air, estime, vers 18 h 30, Pierre-Louis, un salarié d’Alstom de 26 ans. J’ai passé beaucoup de temps au Pays basque, j’ai l’habitude. Je ne voulais pas sortir à 14 heures non plus, je ne suis pas fou ! »
La veille au soir, les coureurs de l’Aunis Athlétisme ont adapté leur entraînement. Les séries de 1 000 mètres ont été limitées à 400 mètres. A quelques kilomètres de là, sur la plage de Sablanceaux, au pied du pont de l’île de Ré, Forever des Sables et Lincoln ont quitté l’élevage de Frenay pour un bain d’eau de mer bienvenu, avant un concours prévu à Niort samedi. « Les chevaux sont comme nous, ils ont du mal à supporter les grosses chaleurs, remarque Saphya Hatton, propriétaire d’un des deux baigneurs à longue crinière. On les monte tôt le matin ou le soir et ils ont droit à deux ou trois douches dans la journée. »
« Si ça passe au rouge, on verra… »
Dans la station balnéaire de La Rochelle, les sports nautiques ont eu la cote. Le coup de chaud a tout de même inquiété les organisateurs du National J70, une compétition de petits voiliers qui se déroule jusqu’à dimanche. « Tant que c’est vigilance orange, on sort. Si ça passe au rouge, on verra… », confiait l’ex-athlète olympique Christine Briand, membre du club organisateur La Rochelle Nautique.
Samedi, lors du pic de l’événement, la chaleur devrait monter d’un cran, avec des pointes attendues à 39 °C, voire à 40 °C en Occitanie et dans le Val-de-Loire. Les 35 °C seront dépassés sur l’essentiel du pays. La vague de chaleur devrait se poursuivre jusqu’à lundi, voire plus tard en fonction des orages qui pourraient survenir. Si un rafraîchissement est attendu dimanche via l’Atlantique, la chaleur restera malgré tout élevée la semaine prochaine.
[Source: Le Monde]