La secte Moon menacée par des scandales politiques dans son pays d’origine, la Corée du Sud

Les enquêtes ciblant l’ancien président sud-coréen Yoon Suk Yeol et son épouse Kim Keon-hee ont révélé une forte proximité entre la secte Moon et nombre d’élus de tout bord. Le scandale menace l’avenir de la puissante secte née en Corée du Sud, déjà fragilisée par un ordre de dissolution de sa branche japonaise.

Déc 22, 2025 - 02:07
La secte Moon menacée par des scandales politiques dans son pays d’origine, la Corée du Sud
Han Hak-ja, dirigeante de l’Eglise de l’unification, arrive au bureau du procureur spécial, à Séoul, le 17 septembre 2025. KIM HONG-JI / REUTERS

Déjà soumise à un ordre de dissolution au Japon, l’Eglise de l’unification – aujourd’hui Fédération des familles pour la paix mondiale et l’unification – se trouve au cœur d’un scandale de corruption et d’ingérence politique qui menace son avenir dans son pays d’origine, la Corée du Sud. Révélée au fil des enquêtes ouvertes après la déclaration avortée, en décembre 2024, de loi martiale par le président conservateur, Yoon Suk Yeol (2022-2025), l’affaire impliquant le mouvement mieux connu sous le nom de « secte Moon » n’épargne aucun parti.

La personnalité au cœur des dernières révélations est le ministre des océans et de la pêche, Chun Jae-soo, convoqué vendredi 19 décembre par la police. Démissionnaire le 11 décembre, l’ancien député du Parti démocrate (PD au pouvoir) devait s’expliquer sur les dons reçus en 2018 de l’église, 20 millions de wons (11 600 euros) en espèces et une montre Bulgari d’une valeur de 10 millions de wons, le tout en échange de son appui à un projet de tunnel entre la Corée et le Japon, porté depuis les années 1980 par la secte Moon. M. Chun a rejeté les accusations.

Sa comparution est une des conséquences des investigations menées autour de Kim Keon-hee, l’épouse du président Yoon Suk Yeol, destitué en avril. L’ex-première dame aurait reçu des cadeaux de la secte Moon – sacs Chanel ou encore rivière de diamants signée Graff – en échange de son soutien à ses activités.

Culte de la personnalité

Les enquêtes ont abouti à l’arrestation, en septembre, de la toute-puissante Han Hak-ja, surnommée la « vraie mère », veuve du fondateur de la secte, Moon Sun-myung (1920-2012), et à l’inculpation de son bras droit, Yun Young-ho. Depuis le décès de son mari, Mme Han dirige le mouvement d’une main de fer. Elle n’hésite pas à jouer les figures messianiques en se prétendant « fille unique de Dieu » et à cultiver un culte de la personnalité. Une statue de 4,3 mètres la représentant orne l’imposant palais Cheonwon, construit par la secte et qui se veut une copie de la basilique Saint-Pierre de Rome.

L’Eglise de l’unification représente une véritable puissance économique. Elle détient le quotidien sud-coréen Segye Times, ainsi que l’agence United Press International (UPI) et le Washington Times aux Etats-Unis. Ses activités commerciales sont gérées par le conglomérat Tongil (« unification » en coréen). Le groupe possède en outre ses hôpitaux et son université, Sun Moon, installée dans la province du Chungcheong du Sud. Il gère des activités au Japon et en Asie du Sud-est.

Selon Yun Young-ho, le mouvement a apporté depuis la fin des années 2010 un soutien financier ou matériel à plusieurs responsables politiques du Parti démocrate et de ce qui est aujourd’hui le principal parti d’opposition, le Parti du pouvoir populaire (PPP). L’ampleur des révélations a poussé le Bureau national d’enquête (NOI) à former une équipe spécialement chargée de cette affaire qui a déjà conduit l’ancien président du groupe parlementaire du PPP devant les tribunaux.

Les enquêtes ont par ailleurs révélé que 3 500 membres de la secte Moon ont adhéré au PPP entre octobre 2022 et mars 2023. Il s’agissait de peser dans la course à la présidence du parti mais aussi de s’attirer des soutiens dans la perspective des législatives de 2024, finalement perdues par le PPP.

Pays de plus en plus laïque

La gravité du scandale, qui n’épargne aucun parti, a poussé l’actuel président, le démocrate Lee Jae-myung, à appeler le 9 décembre à « une enquête rigoureuse sur les liens illégaux présumés entre le groupe religieux et des politiciens, qu’ils soient de l’opposition ou de la majorité ». M. Lee a également expliqué que toute organisation religieuse « devrait être dissoute si elle se livrait à des activités contraires à la Constitution ou à la loi ».

Le président a rappelé que le Japon avait pris une décision similaire. La justice japonaise a ordonné en mars la dissolution de la branche nippone de l’Eglise de l’unification pour son implication dans le scandale de caisses noires du Parti libéral démocrate, le PLD au pouvoir. L’affaire avait éclaté après l’assassinat en 2022 de l’ancien premier ministre Shinzo Abe (2012-2020) par Tetsuya Yamagami, dont la famille a été ruinée par l’ampleur des dons consentis par sa mère à la secte Moon. M. Abe avait des liens avec l’Eglise.

La Corée du Sud a une longue tradition de responsables politiques courtisant les groupes religieux, des puissantes Eglises protestantes aux mouvements locaux formés par des messies autoproclamés. L’ancien président, le conservateur Lee Myung-bak (2008-2013) avait accordé d’importants avantages à l’Eglise presbytérienne Somang, dont il était un fidèle.

Dans une Corée du Sud de plus en plus laïque, les groupes religieux exercent une influence politique qui peut sembler disproportionnée. La secte Moon ne compte que 150 000 à 200 000 membres dans ce pays et 52 % des Coréens se disent sans religion, une part en hausse, surtout chez les jeunes. Les mouvements religieux bénéficient d’exonérations fiscales et de subventions publiques. Pour les responsables politiques, le soutien d’une église permet de mobiliser ses membres en masse, et ainsi de peser sur les élections. « Il y a un intérêt commun au rapprochement entre ces églises et les responsables politiques. Les élus sont confrontés à la nature limitée de leur pouvoir, et les groupes religieux craignent de perdre leur influence dans une société de plus en plus laïque », observe Song Jae-ryong, sociologue des religions à l’université Kyung Hee. A condition de rester dans les limites de la loi.

[Source: Le Monde]