Nouvelle-Calédonie : Emmanuel Macron prône un accord transitoire vers un Etat-associé
Les négociations vont reprendre après le « sommet » réuni à Paris, mercredi 2 juillet. Le leader indépendantiste kanak, Christian Tein, s’est présenté aux portes de l’Elysée sans être reçu.
Ambiance « très solennelle » et « lourde », selon un participant. Le « sommet » sur l’avenir de la Nouvelle-Calédonie, convoqué par le président de la République, Emmanuel Macron, mercredi 2 juillet à l’Elysée, en présence du premier ministre, François Bayrou, n’a versé ni dans les retrouvailles chaleureuses ni dans le drame. Mais il fut grave, deux mois après l’échec des négociations politiques, en mai, visant à parachever l’accord de décolonisation de Nouméa de 1998 et trouver un nouveau statut pour le territoire.
Le chef de l’Etat a fait le tour de l’immense table dressée dans la salle des fêtes pour saluer chacun des quelque 40 représentants politiques, économiques et associatifs du Caillou. Les députés Nicolas Metzdorf (loyaliste) et Emmanuel Tjibaou (indépendantiste) sont arrivés les derniers avec le ministre des outre-mer, Manuel Valls, comme sortis d’un conciliabule. Les chefs coutumiers kanak ont procédé à une coutume, sans ostentation, une première en ces lieux républicains. Le rendez-vous a duré deux heures.
Dehors, surprise : Christian Tein, le président du Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) s’est présenté aux portes de l’Elysée en compagnie de Gilbert Tyuienon, maire de Canala et responsable de l’Union calédonienne. Un petit coup de pression résolu dans le calme. M. Tein n’était pas convié, car il ne figure pas dans les délégations officielles participant aux discussions avec l’Etat et il a été simplement éconduit.
Selon les informations du Monde, que l’Elysée n’a pas confirmées, le chef de l’Etat propose que s’ouvre une période de reconstruction de l’archipel mis à genoux par l’insurrection violente de mai et juin 2024, d’une durée de quinze ou vingt ans. Cela correspondrait à dix ans de stabilisation et cinq ans pour parvenir au nouveau statut du territoire, ou quinze ans plus cinq ans. Les Néo-Calédoniens seraient alors consultés, non pas sur un oui ou non binaire à l’indépendance, mais sur un projet « d’Etat associé », ou sur toute autre solution d’autonomie élargie proposée alternativement, a déclaré le président. Un schéma proche de celui des partis centristes, l’Union nationale pour l’indépendance-Palika, Calédonie ensemble et Eveil océanien.
Crispation des Loyalistes
« Le président a réussi à se placer au milieu de nous » – sous-entendu à bonne distance des camps en présence –, affirme un autre participant. Ecartée, pour l’heure, la solution institutionnelle définitive espérée par Manuel Valls, qui a relancé avec succès, début 2025, les véritables négociations entre Etat, indépendantistes et non indépendantistes. La crispation des Loyalistes et du Rassemblement-Les Républicains face au projet de « souveraineté avec la France », présenté au nom de l’Etat, a, de fait, éloigné une solution consensuelle immédiate, dans un contexte politique national, inédit, marqué par les tiraillements de l’exécutif et l’impossibilité d’une majorité au Parlement.
Le ministre des outre-mer va donc continuer à mener la négociation sur la recherche d’un accord transitoire. Le voilà conforté, au grand dam des Loyalistes, qui réclamaient sa tête, comme l’a fait Sonia Backès, présidente de la province Sud de Nouvelle-Calédonie et ancienne secrétaire d’Etat à la citoyenneté (2022-2023). Si le projet, discuté au printemps – celui d’un Etat néo-calédonien disposant d’un siège à l’ONU et lié par un pacte de protection avec la France –, n’est plus discuté comme tel dans l’immédiat, il contraint d’ores et déjà à des avancées. Et la solution, à terme, pourrait y ressembler.
Pendant la période transitoire, des évolutions institutionnelles pourront avoir lieu à condition que les acteurs politiques néo-calédoniens s’entendent. La négociation s’ouvre de nouveau jeudi soir, à Bougival (Yvelines) autour de M. Valls et jusqu’au samedi 5 juillet au moins.
Les évolutions pourraient porter sur de nouveaux transferts de compétences au territoire – les relations extérieures notamment – et préparer la « Loi fondamentale » de la Nouvelle-Calédonie. Elles pourraient aussi concerner le corps électoral, sujet central qui a mis le feu aux poudres en 2024, quand l’exécutif a voulu imposer sa réforme contre les indépendantistes. L’accord transitoire pourrait, encore, entériner l’adaptation nécessaire des institutions locales, provinces, congrès et gouvernement de Nouvelle-Calédonie : ce système administratif issu des derniers grands accords politiques n’est pas soutenable financièrement de façon indépendante, a souligné Emmanuel Macron, ce dont tous les acteurs néo-calédoniens conviennent.
« Je ne vous lâcherai pas s’il n’y a pas d’accord »
Cette idée d’un accord partiel a déjà été explorée par l’Etat, en vain, depuis 2021. Elle aurait plus de chances aujourd’hui, estiment les proches du dossier, car des « convergences » ont été travaillées en coulisse depuis l’arrêt des négociations et le retour de M. Valls de Nouméa, le 10 mai. Le chef de l’Etat, lui, avance comme à son habitude un calendrier volontariste, que les spécialistes jugent peu réaliste : un accord fin juillet, une réforme constitutionnelle préparée dans l’été et votée dans la foulée, avant une loi organique en 2026.
De quoi apaiser une scène politique néo-calédonienne plus clivée que jamais depuis les violences de 2024, et avant que se tiennent les municipales de 2026 (elles ont lieu dans l’archipel au même moment qu’en Hexagone), puis, surtout, les provinciales. Ces élections spécifiques dont découlent tous les équilibres entre les Kanak et les autres habitants du Caillou devaient se tenir en mai 2024, avant d’être prévues fin 2025 au plus tard. Elles seraient donc, dans ce cas, encore une fois décalées. Paradoxalement, cela ne facilite guère le consensus sur l’avenir, car les couteaux sont déjà sortis entre les responsables politiques néo-calédoniens en vue de ce scrutin local majeur.
« Je ne vous lâcherai pas s’il n’y a pas d’accord », a promis Emmanuel Macron. Cette promesse à la courte durée de vie, d’ici la fin du mandat présidentiel en 2027, renvoie aux discussions parallèles qui vont se tenir, cette semaine, pour sauver le secteur du nickel, réformer les finances publiques du territoire et diversifier l’économie exsangue de la Nouvelle-Calédonie. Il faut quoi qu’il en soit « prendre les choses dans l’ordre », dit M. Valls, soucieux de consolider le projet économique pour assurer l’avenir.
L’Etat remet la balle au centre du jeu, au risque de perdre ses partenaires des deux côtés de l’échiquier s’il continue à faire durer les choses. Les indépendantistes ne sont pas dupes et vont exiger des engagements écrits précis. La délégation du FLNKS menée par Emmanuel Tjibaou ne cesse de rappeler qu’elle n’a qu’un mandat : le projet de souveraineté avec la France qui vaut engagement de la parole de l’Etat est « la base de travail », en vue de « la pleine souveraineté ».
[Source: Le Monde]