« Ce jour-là, c’est comme si je venais de renaître » : les premiers jours en France de Sadaf Haidary, venue d’Afghanistan
Sadaf Haidary est arrivée de Kaboul à Rennes deux semaines avant sa rentrée en CP. C’était il y a dix ans. Aujourd’hui lycéenne, la jeune fille a parfaitement su s’adapter à sa nouvelle vie.

« J’avais 6 ans, mais je me souviens très bien de mon arrivée en France, ce sont des moments qu’on ne peut pas oublier. J’étais très jeune, mes parents ne m’ont pas vraiment expliqué pourquoi on partait. Aujourd’hui, je sais que mon père travaillait comme interprète pour les militaires français à Kaboul, et qu’il a été invité à venir en France par l’armée française.
C’était en 2015. Toute la famille nous a accompagnés, dans plusieurs voitures. Moi, j’étais dans celle de mes tantes. Je leur disais de rouler doucement pour que mes parents m’oublient et partent sans moi. C’était la première fois que je prenais l’avion. J’avais demandé à une de mes cousines d’aller m’acheter un ballon de baudruche mais on n’a pas eu le temps de le gonfler. Je me souviens de l’avoir mis dans ma poche, je portais une chemise jaune.
Mes parents n’avaient pas l’air inquiets, en tout cas ils ne le montraient pas. Je n’étais pas stressée non plus. Mais nous étions très fatigués, la tête me tournait. On a passé une nuit dans un hôtel à Dubaï et on a repris l’avion le lendemain, un vol très long jusqu’à Paris. Tout avait été préparé pour notre arrivée. A l’aéroport, deux personnes nous ont accueillis : une dame et un homme, qui s’appelait Mickaël. Ils nous ont emmenés dans un appartement à quarante minutes de Rennes, un trois-pièces avec deux chambres. C’est dans ce logement que nous allions vivre. Mickaël est allé nous chercher des kebabs. La viande avait une saveur particulière. Je n’ai jamais réussi à retrouver ce goût en dix ans.
Ce jour-là, c’est comme si je venais de renaître. Je ne connaissais ni la langue ni les habitants, personne. Pourtant, rien ne me surprenait vraiment. A part, peut-être, le fait de se retrouver tous les quatre. En Afghanistan, à Kaboul, il y avait en permanence du monde chez nous, ce n’était jamais calme. Notre maison était grande, sur deux étages, avec un beau jardin et des fleurs. J’étais entourée de cousins que je voyais souvent. Mes grands-parents sont restés vivre là-bas, je les ai régulièrement au téléphone, mais ils me manquent. Mes tatas et mes oncles aussi. Certains ont quitté le pays pour s’installer en Suède ou en Iran. J’ai repris l’avion deux fois en famille pour leur rendre visite.
« Mon premier jour de classe »
Les premiers jours en France, je m’ennuyais énormément. Juste à côté de chez nous, il y avait un petit parc très calme avec des bancs entourés de cailloux, un toboggan et une balançoire, mon jeu préféré. Ma mère nous y emmenait tout le temps, je lui demandais de me pousser.
En octobre 2015, environ deux semaines après notre arrivée, je suis entrée à l’école, en CP. Je me rappelle parfaitement mon premier jour de classe. Mes parents m’avaient accompagnée, tout le monde me regardait. Je me suis présentée, juste avec mon prénom, et je suis partie m’installer au fond de la classe parce que les duos étaient déjà formés. La rencontre avec les autres enfants s’est faite facilement, je ne me suis pas sentie seule. Le premier mot que j’ai appris, c’est : “Arrête”. La maîtresse prenait le temps de bien m’expliquer, en utilisant ses mains. J’avais appris peu de choses en Afghanistan, les couleurs, les jours de la semaine. Tout était si différent.
Un an et demi plus tard, nous sommes partis à Rennes, c’était plus pratique pour mon père, qui travaillait au Relais, une entreprise qui collecte les vêtements dans les conteneurs. Je voyais bien qu’il était fatigué. Ma mère ne travaillait pas encore, elle se concentrait sur ses cours de français. Je suis arrivée dans ma nouvelle école en milieu de CE1 et je me suis assise à côté d’une fille qui est devenue mon amie. Les autres enfants venaient facilement vers moi, pour me demander mon prénom, mon âge, mon pays d’origine. A ce moment-là, je savais déjà bien parler français, même si j’ai galéré avec le singulier-pluriel.
A la maison, on discute en afghan, même avec mon deuxième petit frère qui est né ici, à Rennes, en 2017. J’ai appris à lire la langue grâce aux séries turques, qui sont sous-titrées en dari. Je la pratique aussi avec les amis afghans de mes parents et une amie du lycée. On s’est reconnues entre Afghanes, et on s’est écrit sur Instagram. Parfois, le midi, à la cantine, si on a envie d’être tranquilles, on s’installe toutes les deux. Mais, quand nos amis sont là, on repasse au français.
« Une vie normale d’adolescente »
En 2024, nous avons été naturalisés français. Je ne suis jamais retournée en Afghanistan, mais c’est mon pays, là d’où je viens. Je me sens Française et Afghane. La France est devenue mon pays, même si je pense que je me serais aussi adaptée ailleurs.
Notre culture reste présente, ma mère cuisine des plats afghans comme le kabuli palaw, le bolani ou le mantou, mon préféré. Chacun dégage des saveurs différentes et j’aime les manger avec de la sauce pimentée. A vrai dire, j’en mets partout, même dans les lasagnes, mon plat français préféré – même si c’est italien.
Aujourd’hui j’ai 15 ans, bientôt 16, je suis au lycée en seconde, gestion administrative, et je mène une vie normale d’adolescente qui aime dormir, rester dans sa chambre, aller au centre commercial avec ses amies, regarder son téléphone. Avec mes parents, on s’entend très bien. Il y a un cadre, mais ce sont comme des amis. Je peux tout leur dire, contrairement aux parents de mes amies françaises, que je trouve plus stricts.
Notre situation a bien évolué, car mon père est devenu interprète auprès de la cour d’appel de Rennes, après avoir fait plein de boulots. Et ma mère est agente d’entretien dans l’association de formation civique où mon père travaille aussi.
Moi, plus tard, j’aimerais être journaliste, je suis très curieuse. Le soir, je regarde le journal de 20 heures avec Anne-Sophie Lapix ou Laurent Delahousse. Leur assurance et leur mémoire m’impressionnent. Si je peux, j’aimerais aussi aider les gens dans le besoin, les sans-abri, les étrangers qui traversent la mer et qui se font renvoyer. Leur donner à manger, leur offrir un toit. Je me mets à leur place. Mais tout le monde veut aider les plus démunis, non ? »
[Source: Le Monde]