En Allemagne, l’Etat fédéral et la famille royale mettent fin à une dispute de plus d’un siècle

Un accord a été conclu sur le sort des biens confisqués aux Hohenzollern. Les pièces actuellement exposées dans les musées y demeureront, tandis que les objets litigieux seront logés dans une fondation spéciale.

Juil 8, 2025 - 06:49
En Allemagne, l’Etat fédéral et la famille royale mettent fin à une dispute de plus d’un siècle
Le chef de la maison royale et arrière-arrière-petit-fils de l’empereur Guillaume II, Georg Friedrich de Prusse, regarde la médaille de l’aigle noir, un des joyaux de la couronne prussienne, au château d’Oranienburg (Allemagne), en janvier 2009. SVEN KAESTNER/AP

Dynastie millénaire à l’origine de la création de l’Etat-nation allemand à la fin du XIXe siècle, la famille royale des Hohenzollern suscite encore méfiance et scepticisme outre-Rhin. Elle demeure associée à la militarisation du pays à l’initiative de la Prusse avant la première guerre mondiale, et à l’engagement controversé de certains de ses représentants sous le IIIᵉ Reich. Les tentatives répétées de ses descendants d’obtenir la restitution de biens saisis, notamment après 1945, à des conditions perçues comme déraisonnables, ont achevé d’exaspérer une partie de l’opinion publique.

Un accord conclu le 13 juin entre l’Etat fédéral allemand, les représentants des Länder de Brandebourg et de Berlin, Georg Friedrich de Prusse, chef de la maison royale et arrière-arrière-petit-fils de l’empereur Guillaume II (1859-1941), et diverses organisations culturelles met toutefois un terme à une dispute engagée depuis plus d’un siècle autour des possessions des Hohenzollern. Et ambitionne de réconcilier le pays avec sa famille princière.

Au cœur du litige : le sort de plusieurs milliers d’objets d’art, tableaux de maître, livres, vaisselle, meubles et autres biens issus des quelque soixante-dix châteaux et autres villas ayant appartenu à la couronne de Prusse, aujourd’hui pour partie exposés dans des musées. Mais, surtout, en creux, la question du rôle joué par les Hohenzollern, en particulier par le Kronprinz Guillaume (1882-1951), fils aîné du Kaiser Guillaume II, dans la prise du pouvoir par Hitler. Ce sujet conditionnait en effet toute restitution des biens à la famille ou indemnisation, une loi fédérale interdisant le versement de fonds publics aux personnes ayant collaboré avec le régime nazi ou leurs descendants.

L’enjeu n’a rien de symbolique, les trésors royaux se chiffreraient en centaines de millions d’euros, selon la presse allemande. Figurent par exemple dans l’inventaire des tableaux d’Antoine Watteau (1684-1721), comme l’Embarquement pour Cythère ou La Danse, ou des œuvres de Lucas Cranach l’Ancien (1472-1553). Certains actifs des Hohenzollern ont en outre une valeur historique, comme la couronne royale prussienne en or, ou l’épée dorée qui faisait autrefois partie des insignes de la couronne, toutes deux exposées au château de Charlottenburg, à Berlin.

« Comme en Palestine »

Chassée du pouvoir en 1918, avec l’abdication de l’empereur Guillaume II, la famille Hohenzollern a vu ses biens confisqués, jusqu’à ce qu’un premier accord soit conclu en 1926 sous la République de Weimar, lequel n’a pas mis fin à tous les litiges. Elle fut ensuite expropriée de ses terres et résidences après la capitulation allemande, en 1945, celles-ci se trouvant alors pour l’essentiel dans des territoires occupés par les soviétiques, en Prusse-Orientale – actuelle Pologne – et en ex-Allemagne de l’Est. C’est la réunification de 1990 qui a permis à la famille, repliée dans son château historique du pays souabe, dans le Bade-Wurtemberg, d’engager une procédure de restitution. Lancée d’abord par Louis-Ferdinand de Prusse (1907-1994), elle fut reprise par Georg Friedrich de Prusse.

La législation allemande privant les collaborateurs du nazisme ainsi que leurs héritiers de toute indemnisation par des fonds publics, le débat s’est déplacé sur le terrain historique, divisant les experts, et avec eux les politiques. Le sujet semble aujourd’hui clos. L’ouvrage de l’historien Stephan Malinowski (Die Hohenzollern und die Nazis, 2021, non traduit) souligne en particulier l’engagement du Kronprinz Guillaume, fils aîné de Guillaume II, en faveur de la prise de pouvoir d’Adolf Hitler, pour lequel il avait appelé à voter en 1932 et dont il fit la promotion à l’étranger.

Le prince héritier espérait ainsi manœuvrer pour restaurer la monarchie, tandis qu’Hitler comptait asseoir sa propre légitimité en s’alliant avec la dynastie impériale. Les Mémoires de Guillaume, publiés en mai 2025 et dont le magazine Der Spiegel a révélé des extraits, rendent par ailleurs compte de la proximité du prince avec le régime et de son adhésion aux idées antisémites. « Où que l’on aille, il y avait des juifs. Les théâtres, les stations thermales et les clubs sportifs grouillaient de juifs », écrit ce dernier, cité par l’hebdomadaire. Dans son club de golf au bord du lac Wannsee, à Berlin, il estime se sentir « comme en Palestine ».

« On ne peut pas expliquer le IIIe Reich par les Hohenzollern qui, en 1933, ne faisaient plus partie des décideurs importants, mais ils ont clairement soutenu une alliance entre les conservateurs et les nazis, explique Stephan Malinowski au Monde. Il n’y a eu aucun élement attestant d’une résistance contre le Reich. Ce faisant, ils ont contribué à la destruction des valeurs conservatrices dont le pays aurait eu besoin pour faire face au nazisme. »

« Partie intégrante de notre histoire »

Dans l’espoir de faire valoir ses droits, la famille a d’abord cherché à minimiser le rôle du prince, commissionnant ses propres expertises, et allant jusqu’à engager plus d’une centaine de poursuites contre des journalistes, des personnalités politiques et des historiens s’étant exprimés sur le sujet. Jusqu’à ce que, en 2023, Georg Friedrich de Prusse n’abandonne la bataille, admettant les compromissions de son aïeul. Une volte-face qui a permis de débloquer les négociations, même si les juristes se demandent si la famille avait réellement une chance de récupérer ses biens devant les tribunaux.

« Je ne suis pas disposé à mener une procédure [de restitution] pendant les dix prochaines années – avec au centre les éventuelles implications de mon arrière-grand-père dans le nazisme – alors qu’il est possible de parvenir à un accord », avait admis Georg Friedrich de Prusse dans un entretien au quotidien Die Welt, le 9 mars 2023, disant souhaiter « un débat serein sur le rôle historique de la maison Hohenzollern ».

L’accord du 13 juin règle la question de la propriété des œuvres, puisqu’il prévoit que les pièces exposées dans les musées y demeurent. Les objets litigieux seront en revanche logés dans une fondation spéciale, gérée par des représentants du monde culturel, mais dans laquelle la famille conservera un tiers des sièges du conseil.

« La question décisive n’est pas de savoir à qui appartiennent les objets, mais ce qu’on en fait », a estimé Manja Schüle, ministre de la culture du Brandebourg, pour qui la solution trouvée permet « d’aborder à nouveau l’héritage culturel, historique et politique des Hohenzollern en tant que partie intégrante de notre histoire, sans être pollué et en s’appuyant sur des faits ». La famille s’attache de son côté à corriger son image : le prince Georg Friedrich de Prusse s’est ainsi affiché avec la survivante de la Shoah Margot Friedländer (1921-2025), dont il siège au conseil de la fondation créée en 2023.

[Source: Le Monde]