Les immenses réserves de lithium de la ville de Manono, en RDC, attirent la Chine et les Etats-Unis

Dans le sud-est de la République démocratique du Congo, la ville de Manono est assise sur plus de 44 millions de tonnes de ce composant essentiel des batteries de panneaux solaires, ordinateurs, smartphones et voitures électriques

Août 2, 2025 - 06:23
Les immenses réserves de lithium de la ville de Manono, en RDC, attirent la Chine et les Etats-Unis
GWENN DUBOURTHOUMIE

Le soleil n’est pas levé depuis une heure que, déjà, une multitude de mineurs artisanaux – on les appelle « creuseurs » ici – s’activent dans le dédale de trous de la carrière de Kitololo. Chaussés de bottes en caoutchouc ou de simples sandales, armés d’une bêche et d’une barre à mine, des centaines d’hommes, de femmes et parfois d’enfants fouillent inlassablement le sous-sol à la recherche de traces de coltan et de cassitérite.

« La carrière s’étend tous les mois, indique Floribert (qui n’a pas souhaité donner son nom), 21 ans, un de ces forçats de la terre. L’année dernière, il y avait des champs ici, on y cultivait du riz et des patates douces. Mais les gens préfèrent creuser, puisqu’on est payé tout de suite à la revente du minerai ramassé et grossièrement filtré. Les bonnes journées, on peut gagner plus de 35 000 francs congolais [environ 10 euros]. »

A 1 kilomètre de là, au pied de la majestueuse cathédrale de Manono, au centre de cette ville d’environ 180 000 habitants, l’abbé Moïse Kiluba, très engagé dans la défense des droits de ses paroissiens, fait un état des lieux de la situation : « Les minerais font rêver beaucoup de personnes. La demande est forte pour le coltan et la cassitérite, composants essentiels de la révolution numérique qui s’est installée avec la généralisation des téléphones portables. Et on parle de plus en plus de notre gisement de lithium, qui attire les grandes puissances mondiales. D’abord la Chine et maintenant les Etats-Unis. »

Lueur d’espoir

Situé dans le sud-est de la République démocratique du Congo (RDC), Manono a été un important centre minier au XXe siècle. Avant de s’enfoncer dans une léthargie profonde à partir de 1982, quand les cadres belges de l’exploitation d’étain sont partis, abandonnant leurs demeures cossues, leurs usines de transformation et quelques gigantesques terrils. Les infrastructures de l’ex-ville modèle se sont progressivement dégradées, la pauvreté s’est installée, les habitants se sont raccrochés au coltan et à la cassitérite qu’ils arrivent encore à glaner dans les anciennes carrières de ce filon stannifère.

Un creuseur montre une poignée de terre et de roche contenant de la cassitérite et du coltan, à Manono, en RDC, le 20 mai 2025.

Et puis une lueur d’espoir a recommencé à briller en 2020, lorsque la compagnie australienne AVZ Minerals a révélé que la cité était bâtie sur plus de 44 millions de tonnes de lithium concentré à 1,65 % (16,5 kilos de minerai pour 1 tonne de terre), soit la plus importante réserve connue de lithium de roche au monde. Au moment où ce composant des batteries de panneaux solaires, ordinateurs, smartphones et voitures électriques confirmait sa place essentielle à l’accomplissement de la transition énergétique, Manono revenait sur la carte des négociations mondiales.

C’est d’abord la Chine qui s’est manifestée par l’intermédiaire du groupe Zijin Mining (déjà présent en RDC, notamment à Kamoa-Kakula, la plus grande mine de cuivre du pays, située près de Kolwezi). Depuis 2022, la compagnie a signé un contrat d’exploitation, créé une filiale, Manono Lithium, dévolue à l’exploitation de ce nouvel or blanc, lancé les travaux de réfection de la route qui mène à la grande ville de Lubumbashi, 600 kilomètres au sud, et ouvert une autre qui gagnera le lac Tanganyika, à la frontière avec la Tanzanie, 300 kilomètres à l’est. La société chinoise a aussi restauré une première turbine de la centrale hydroélectrique de Mpiana Mwanga, qui était à l’arrêt depuis 1998, et commencé la construction d’un gigantesque complexe industriel destiné à l’extraction.

« Nous prévoyons de débuter l’exploitation en juin 2026 », annonce Jian Heyuan, le directeur général, dans son bureau aménagé dans un conteneur posé au fond du terrain qui doit accueillir bientôt les locaux administratifs et décisionnels : « Nous ouvrirons alors le premier projet congolais d’extraction de lithium. »

Un filon prometteur

Mais déjà les Etats-Unis se positionnent pour accéder eux aussi à ce gisement prometteur. Après avoir essayé de mettre la main sur les sous-sols groenlandais puis ukrainiens au cours des premiers mois de son nouveau mandat présidentiel, Donald Trump s’est montré soudainement intéressé par le continent africain et les opportunités de « deals » qu’il pouvait y mener. Avec une ambition assez lisible : repositionner son pays dans cette partie du monde où la Chine s’est rapidement installée au cours des trente dernières années, afin de sécuriser l’accès aux minerais stratégiques pour que les Etats-Unis restent compétitifs dans l’économie de la transition énergétique.

A Malata, ancien quartier ouvrier de la Géomines puis de Zaïre Etain, les habitants creusent jusque sous leurs propres maisons à la recherche de cassitérite et de coltan. A force d’extraction, certaines habitations se sont partiellement effondrées, menaçant la sécurité des familles qui y vivent encore. Manono, le 20 mai 2025.

Le 27 juin, le locataire de la Maison Blanche arrachait son premier succès diplomatique en obtenant la signature d’un accord de paix entre la RDC et le Rwanda – les termes du traité, pour Washington, peuvent se résumer par un accès aux ressources naturelles congolaises en contrepartie d’un appui diplomatique et sécuritaire en vue de mettre un terme à ce conflit vieux de trente ans.

Un premier pas pour rouvrir la voie aux investissements américains dans le domaine désormais stratégique de l’accès aux minerais, alors que le gisement de Manono fait partie des sites visés en priorité par les Américains en RDC (avec la mine de coltan de Rubaya, dans le Nord-Kivu, et le « corridor de Lobito », longue route ferroviaire qui a pour objet de faciliter l’exportation des minerais par la façade atlantique de l’Angola, c’est-à-dire en direction opposée à la Chine).

En mai, la société minière californienne KoBold Metals annonçait qu’elle était prête à mobiliser plus de 1 milliard de dollars (environ 865 millions d’euros) pour développer l’extraction du lithium à Manono. Le 17 juillet, elle confirmait ce premier engagement en signant un accord de principe pour y démarrer l’exploitation du lithium et, plus globalement, installer un programme d’exploration à grande échelle en RDC en utilisant notamment l’intelligence artificielle pour identifier les meilleurs gisements.

Au Bureau des mines de Manono, une pièce poussiéreuse aux fenêtres condamnées, le relais local du ministère des mines, Jean Kimbasenga, essaie d’être philosophe. « Pour le moment, on attend l’arrivée des exploitations industrielles, dit ce quadragénaire jovial coiffé d’un chapeau de cow-boy. Tant qu’elles n’auront pas commencé, le chômage continuera de battre son plein. »

Corruption et clientélisme

A 300 mètres, au pied de la cathédrale, l’abbé Moïse Kiluba se montre moins optimiste et s’avoue circonspect quant à la politique gouvernementale, qui « ne répond toujours pas aux attentes de la population, à commencer par l’accès aux infrastructures de base que sont l’école, les soins médicaux, l’eau, l’électricité et les routes ». Il condamne aussi la corruption et le clientélisme des dirigeants, qui ont, selon lui, « clairement favorisé » l’arrivée de Zijin Mining. Et de citer un rapport publié en 2022 par l’inspection générale des finances, qui déplore des « actes de bradage » des actifs appartenant à la RDC lors de cette cession. L’institution publique avait évalué la perte, pour l’Etat congolais, à plus de 120 millions de dollars.

Des ouvriers de Manono Lithium travaillent sur le chantier d’un transformateur électrique qui viendra alimenter l’usine de traitement du lithium en cours de construction à Manono, le 22 mai 2025.

Dans la cour de la radio locale Trait d’union, le journaliste Dieumerci Kabila (sans lien avec l’ex-président Joseph Kabila) est lui aussi inquiet : « Manono risque d’être affecté négativement par l’exploitation industrielle. Les emplois que commence à proposer Manono Lithium sont rémunérés en dessous du salaire minimum congolais, qui est de 14 500 francs par jour. Et le cahier des charges qui recense les engagements sociaux et environnementaux des compagnies vis-à-vis des communautés locales n’a toujours pas été produit, alors qu’il aurait dû être rendu public depuis plus d’un an, selon le code minier. Les politiciens accaparent tous les bénéfices de l’exploitation minière, la société civile est mise à l’écart. »

La conquête du lithium congolais se joue aujourd’hui dans ce contexte qui pourrait rappeler la ruée vers l’or, au XIXe siècle. Avec une différence notable : deux superpuissances luttent désormais pour contrôler les minerais les plus stratégiques du moment.

[Source: Le Monde]