Alassane Ouattara, président réélu de Côte d’Ivoire et dernier grand allié de la France en Afrique
Le chef d’Etat, réélu à la tête de son pays, lundi 27 octobre, pour un quatrième mandat, est un proche des présidents français successifs depuis Nicolas Sarkozy, à qui il doit son accession au pouvoir en 2011. L’Hexagone est le premier investisseur en Côte d’Ivoire.
Quelques jours avant l’élection présidentielle de samedi 25 octobre en Côte d’Ivoire, Alassane Ouattara a appelé Nicolas Sarkozy. Pour une fois, ce n’était pas pour parler de politique ivoirienne, du quatrième mandat qu’il s’apprêtait à remporter à 83 ans – sa victoire a été annoncée lundi –, ni pour évoquer la situation en France. Le président Ouattara voulait soutenir l’ex-président français, « son grand ami », juste avant qu’il ne rejoigne la prison de la Santé, à Paris, le 21 octobre, à la suite de sa condamnation dans l’affaire du financement libyen de sa campagne de 2007.
Son épouse, la Française Dominique Ouattara, a quant à elle appelé Carla Bruni-Sarkozy. Le couple présidentiel ivoirien « estime qu’on ne peut pas traiter un ancien chef d’Etat comme si c’était M. Tout-le-Monde », relate un de leurs proches.
L’amitié qui lie Alassane Ouattara à Nicolas Sarkozy a été décisive dans le destin politique du premier et nourrit les soupçons de collusion entre Paris et Abidjan depuis quinze ans. Depuis l’arrivée au pouvoir d’Alassane Ouattara en 2011, et malgré les changements à la tête de l’Etat français, l’Ivoirien est accusé par ses opposants d’être à la solde de l’ancienne puissance coloniale, qui voit dans cet allié son dernier partenaire fiable en Afrique de l’Ouest.
C’est dans les années 1990 qu’Alassane Ouattara et Nicolas Sarkozy se rencontrent, par l’intermédiaire du milliardaire français Martin Bouygues, un proche de Dominique Ouattara. La cheffe d’entreprise fait des affaires en France et dans plusieurs pays africains. A l’époque, elle connaît mieux les milieux économiques parisiens que son mari, un économiste qui a fait carrière outre-Atlantique, à Washington, au Fonds monétaire international.
Exfiltrés à l’ambassade française
Nicolas Sarkozy et Alassane Ouattara sont tous les deux de droite et libéraux, très vite ils s’apprécient. Au point qu’en septembre 2002, le premier sauve la vie du couple Ouattara. Pourchassés par les « escadrons de la mort » fidèles à leur adversaire, Laurent Gbagbo, alors à la tête de la Côte d’Ivoire, Alassane et Dominique Ouattara escaladent le mur qui sépare leur villa de la maison de leur voisin, l’ambassadeur d’Allemagne.
Comme leurs relations n’ont jamais été très bonnes avec Jacques Chirac, c’est son ministre de l’intérieur Nicolas Sarkozy, nommé quatre mois plus tôt, qu’ils appellent. Ils seront exfiltrés jusqu’à l’ambassade de France.
Huit ans plus tard, l’appui de Nicolas Sarkozy, devenu président en France, change à nouveau la donne dans l’histoire de la Côte d’Ivoire. Durant la crise postélectorale de 2010-2011, il fait intervenir la force française Licorne – sous mandat de l’Organisation des Nations unies – en faveur de son ami, dont la victoire à la présidentielle est contestée par Laurent Gbagbo. Les bombardements français modifient le rapport de force, permettent l’arrestation du chef de l’Etat sortant et l’accession au pouvoir d’Alassane Ouattara.
L’opposition ivoirienne, qui a longtemps qualifié Sarkozy de « diable », n’a cessé dès lors de voir en Alassane Ouattara un « suppôt de la France ». Depuis que son ami est à la tête de l’Etat, Nicolas Sarkozy a en effet table ouverte à la résidence présidentielle de la Riviera à Abidjan. Jusqu’à ce que ses déplacements soient restreints par un bracelet électronique au début de 2025, résultat de sa condamnation dans l’affaire Bismuth, il venait plusieurs fois par an en Côte d’Ivoire, reçu à déjeuner par le président et logé dans les plus belles suites du plus grand hôtel de la ville, l’Ivoire, propriété du groupe Accor dont il défend les intérêts, comme ceux de Betclic, le groupe de pari en ligne codétenu par Stéphane Courbit.
Premier investisseur en Côte d’Ivoire
L’arrivée de François Hollande au pouvoir en 2012 n’a pas altéré les relations entre les deux pays. Abidjan est un passage obligé pour les chefs d’Etat français. Après François Hollande en 2014, Emmanuel Macron a été reçu en 2019 et invite Alassane Ouattara plusieurs fois par an à l’Elysée. Qui d’autre en Afrique entretient une telle relation ? « Dans le monde, c’est sans doute l’un des chefs d’Etat que Macron voit le plus en tête-à-tête », souligne un ministre ivoirien.
Paris est une escale facile pour son homologue qui fait de réguliers allers-retours entre Abidjan et sa maison de Mougins (Alpes-Maritimes) pour se reposer. Dans la bibliothèque personnelle d’Alassane Ouattara, entre un dictionnaire français-baoulé et des essais économiques en anglais, on trouve Le Général en mai (Fayard, 1998), le deuxième tome du Journal de l’Elysée de Jacques Foccart, l’homme de la Françafrique.
Mais les relations entre le pays de Félix Houphouët-Boigny, qui fut député français (1945-1959) avant d’être le premier président ivoirien (1960-1993), et la France se sont rééquilibrées. L’Hexagone demeure le premier investisseur en Côte d’Ivoire et plus de 1 000 entreprises françaises y sont présentes, selon le Trésor français. Certaines y ont des contrats majeurs, comme celui de la construction de l’unique métro d’Abidjan, pour 1,77 milliard d’euros, remporté par Bouygues.
Toutefois, la Côte d’Ivoire diversifie ses partenaires. « Entre deux entreprises au même prix, a priori, on préférera choisir la française, car nous parlons la langue dans lequel est écrit le mode d’emploi. Mais si les prix sont différents, alors on optera sans doute pour la moins chère », résumait, il y a quelques mois, Amadou Coulibaly, le porte-parole du gouvernement.
Des crispations à Abidjan
Car, désormais, Paris a autant besoin d’Abidjan que l’inverse. En Afrique de l’Ouest, depuis que le Mali, le Burkina Faso et le Niger ont basculé dans les mains de putschistes alliés à la Russie et que le Sénégal est dirigé par un président souverainiste, la Côte d’Ivoire est son seul allié de poids. Dans une région où la présence de forces françaises, héritée de la colonisation, est devenue embarrassante, la base militaire de Port-Bouët à Abidjan a finalement été rétrocédée par la France à la Côte d’Ivoire en février, sans que la coopération sécuritaire soit entamée.
« Nos relations avec Paris sont excellentes ! », s’exclame le proche du couple présidentiel ivoirien cité plus tôt. Selon plusieurs sources, les manières d’Emmanuel Macron ont pourtant suscité quelques crispations à Abidjan. Le président ivoirien a peu apprécié son soutien à Tidjane Thiam, le président du Parti démocratique de Côte d’Ivoire qui n’a pu se présenter à l’élection présidentielle samedi, faute d’avoir renoncé à temps à sa nationalité française, et son ton insistant sur la nécessité d’organiser une « élection inclusive ».
De quoi susciter de l’agacement, mais pas autant qu’en 2020. Après la victoire d’Alassane Ouattara à la présidentielle, Emmanuel Macron l’avait appelé mais avait attendu neuf jours pour le féliciter officiellement d’avoir obtenu un troisième mandat. « Alassane Ouattara était furax », se souvient un diplomate français.
[Source: Le Monde]