« Les trentenaires très éduqués ont perdu foi en l’avenir et demandent des changements radicaux »

Monique Dagnaud, sociologue et directrice de recherche au CNRS, publie un ouvrage à partir de nombreuses enquêtes menées sur les 25-39 ans, dans lequel elle dresse le portrait d’une génération à vif.

Oct 26, 2025 - 09:55
« Les trentenaires très éduqués ont perdu foi en l’avenir et demandent des changements radicaux »
Lors d’une manifestation à Paris dans le cadre d’une journée de grèves et de protestations nationales contre le gouvernement et les éventuelles mesures d’austérité en France, le 2 octobre 2025. BENOIT TESSIER/REUTERS

Radicalité politique, fragilité psychique, seconde vague de féminisme et mutations au travail : à partir d’enquêtes réalisées en 2021, 2022 et 2023 auprès de trentenaires, la sociologue Monique Dagnaud décrypte, dans Génération Reset. Ils veulent tout changer (Odile Jacob, 240 pages, 22,90 euros) comment les bouleversements du monde ont façonné les milléniaux (nés entre 1981 et 1996, dits aussi génération Y), pionniers de l’usage des réseaux sociaux quand ils étaient adolescents.

Vous parlez, dans votre livre, d’un « moment de bascule » pour qualifier le positionnement de la génération Y face à l’état du monde. De quoi est-il fait ?

Depuis 2020, les crises se sont enchaînées : Covid-19, invasion de l’Ukraine, 7-Octobre et guerre à Gaza, élection de Donald Trump… Autant d’angoisses et de menaces existentielles qui se sont ajoutées à celles du dérèglement climatique. J’ai voulu savoir comment les trentenaires affrontaient cette situation. Ma recherche s’est centrée sur les 25-39 ans, très diplômés (les bac + 5), ceux qui seront bientôt au pouvoir. Et j’ai été stupéfaite des résultats : 32 % des jeunes interrogés avaient changé d’orientation politique après le Covid-19, et une grande majorité d’entre eux portaient une forte radicalité politique à gauche. Cette génération, très éduquée, la première à entrer dans la connaissance avec les outils numériques, et que l’on disait créatrice et optimiste, a perdu confiance en l’avenir et demande des changements radicaux. Seuls 10 % des trentenaires interrogés disent vouloir « continuer comme avant ».

En quoi consiste ce « reset » ?

Ces jeunes croient à un engagement local, dans le quotidien, les associations. La donne écologique tient une place très importante. Ils sont opposés au capitalisme libéral et à la mondialisation, et veulent mener une transformation des modes de vie. Ils rêvent d’un autre monde qui échapperait aux logiques de compétition et obéirait à des valeurs humanistes. Ils sont très sensibles à l’injustice sociale, à tous les types de discriminations, qui leur sont insupportables. Et en même temps, ces trentenaires vivent une forme de déchirement moral : très diplômés, ils sont les gagnants d’un système scolaire dont ils dénoncent les inégalités. En résumé : « Je passe mes journées à protester contre ce modèle de société et mes soirées à m’occuper de mes enfants pour qu’ils réussissent le mieux possible dans ce système. »

Vous décrivez aussi une génération qui va mal psychologiquement. Est-ce nouveau ?

Le problème de la santé mentale en général, et celle des jeunes en particulier, existait depuis longtemps mais il s’est intensifié après la crise du Covid-19. Il faut se rappeler que les universités ont été fermées longtemps. La prise de conscience de la donne écologique a accru cette sensibilité à vif, de même que la guerre en Ukraine. La survenue d’un conflit armé en Europe n’était absolument pas dans la psyché de cette génération. Autre point : cette jeunesse a cru trouver une échappatoire dans les réseaux sociaux, qui lui donnent l’illusion d’avoir une autre vie que la sienne mais qui contribuent, en réalité, à la démoralisation.

Parmi les grandes ruptures menées par cette génération, vous citez les rapports hommes-femmes…

Les relations se sont profondément transformées avec une seconde vague de féminisme. La première, dans les années 1970-1980, était axée sur les droits. La seconde, depuis 2017 et l’apparition du mouvement #MeToo, est centrée sur la maltraitance du corps des femmes. Or qui maltraite ? Les hommes. Cela a installé une méfiance entre les deux, l’idée de l’amour fusionnel s’est beaucoup dissipée. Par ailleurs, dans toutes les études, il apparaît clairement que ce sont les femmes qui sont motrices dans cette volonté de transformation du monde actuel. Les hommes suivent.

Cette génération vous paraît-elle armée pour affronter le monde tel qu’il est ?

Ces jeunes sont pacifistes, très attachés à l’Europe et à ses valeurs d’égalitarisme et de laïcité. Ils ne sont pas antitechnologie, ni antisciences, mais n’adhèrent pas au solutionnisme, cette idée selon laquelle la technologie peut résoudre tous les problèmes. Ils sont aussi très conscients des excès de la communication numérique et plaident pour un usage raisonné de ses outils. En résumé, ils sont un peu isolés dans l’évolution actuelle du monde.

[Source: Le Monde]