Yixin, étudiant chinois à Dijon : « Je suis plus adapté au mode de vie chinois que français »

Yixin, 25 ans, termine son master en management du vin avant de repartir en Chine reprendre l’entreprise familiale.

Août 2, 2025 - 06:30
Yixin, étudiant chinois à Dijon : « Je suis plus adapté au mode de vie chinois que français »
MARINE COUTROUTSIOS

Yixin s’adresse au vendeur dans un français parfait : « Monsieur, je voudrais acheter la bouteille. » L’étudiant chinois de 25 ans tient en main une bouteille de vin à 19 euros, choisie parmi la centaine exposées dans la cave de la Cité internationale de la gastronomie et du vin de Dijon. L’étiquette, représentant une icône religieuse, tranche avec les codes graphiques traditionnels et a piqué la curiosité de ce futur diplômé en master de management du vin à l’école de commerce Burgundy School of Business (BSB).

Veste en toile, chemise, cravate rouge à pois blancs maintenue par une pince représentant une scène de corrida – souvenir d’un voyage en Espagne –, mocassins cirés et long manteau bleu : le style de Yixin ne passe pas inaperçu dans les rues de Dijon en cette fin de printemps. « Bien habillé » et « sophistiqué », tels sont les premiers mots qui viennent à l’esprit de ses camarades de classe quand on leur demande de le décrire. La veille, ils ont fêté ensemble la fin des partiels avant de partir en stage de fin d’études. La plupart s’apprêtent à quitter la ville, y compris Yixin, qui a postulé à des stages à Paris et en Chine. « Dijon est une relativement petite ville spécialisée dans le tourisme œnologique. Honnêtement, il manque d’opportunités pour y faire carrière, mais c’est un très bon endroit pour les études », relève-t-il.

A quelques jours de son déménagement, le futur ex-Dijonnais parcourt le centre-ville avec l’assurance de quelqu’un qui y aurait toujours vécu. Il s’arrête devant ses restaurants et son caviste préférés pour prendre quelques photos souvenirs. Près de 39 000 étudiants sont inscrits dans les établissements d’enseignement supérieur de Dijon Métropole, selon les chiffres les plus récents datant de 2021. Yixin y a posé ses bagages en 2019 pour intégrer le bachelor de la BSB. Il venait tout juste de décrocher son diplôme d’études en langue française après un an de préparation au sein de l’université des études internationales du Sichuan, située à Chongqing. Il est originaire de cette ville du sud-ouest de la Chine bordée par les montagnes et qui s’est muée, depuis le début des années 2000, en une mégalopole industrielle majeure. L’un de ses professeurs est dijonnais : c’est par lui qu’il a entendu parler de la formation à la BSB.

« Apprendre plus en Europe »

Inscrit initialement au sein du programme francophone de l’école de commerce, Yixin finit par basculer dans celui en anglais après un mois : « Je comprenais ce que disaient les professeurs, mais, dans les travaux de groupe, les étudiants parlaient un français plus oralisé que celui que j’ai appris. C’était un cauchemar. » Aujourd’hui, il dit ne pratiquer le français que pour commander du vin, un plat au restaurant… ou encore naviguer sur le site de petites annonces en ligne Leboncoin : « remise en main propre », « pas d’envoi », énumère-t-il en souriant.

La décision de partir étudier à l’étranger s’est faite après ses résultats au gaokao, l’équivalent chinois du baccalauréat, réputé pour être difficile et très compétitif. Des notes insuffisantes l’empêchent d’intégrer les universités chinoises qu’il visait. « Je voulais apprendre plus en Europe. J’ai choisi la France après discussion avec mes parents », retrace Yixin.

Sa famille possède une entreprise spécialisée dans la fabrication de matières premières de produits cosmétiques. Elle lui conseille d’aller en école de commerce pour développer le « sens des affaires » afin de mieux comprendre l’industrie que cet enfant unique sera appelé à reprendre. « Ma mère m’a encouragé à aller en France, réputée pour ses nombreuses marques de luxe et de cosmétique », évoque-t-il. Son choix de s’orienter vers l’industrie du vin peut donc surprendre au premier abord. « J’ai une passion pour l’arôme : le parfum, le thé, le vin », finit-il par expliquer. Entre ces secteurs, peu importe : il s’est rendu compte que ce qui lui plaisait avant tout, c’était la relation avec le client.

Comme un touriste

La bouteille à l’icône religieuse achetée au caviste le matin finit par être ouverte l’après-midi pour le pot de départ organisé à l’école du vin de la BSB. Dans la confortable salle de réception VIP de l’établissement s’enchaînent les brefs discours de leurs professeurs, les accolades et embrassades entre camarades, les photos de groupe, les « bonne chance »lancés pour l’entrée sur le marché du travail, les propositions de rester en contact sur LinkedIn.

Sur les 40 étudiants du cursus, 16 sont de nationalité chinoise. « La Chine est un marché important pour bon nombre de régions viticoles en France. Le pays a toujours présenté un attrait particulier pour le vin et ils ont assez peu de formations en termes de vins sur le territoire. La France reste un pays attractif dans cette formation, en particulier la Bourgogne », avance Edouard Mognetti, directeur de la School of Wine & Spirits Business de la BSB.

Si le nombre d’étudiants chinois en France a diminué de 5 % entre 2018 et 2023, leur effectif dans les écoles de commerce a, lui, augmenté globalement de 36 % sur la même période, d’après les données du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche. Avec 9 130 étudiants chinois recensés dans cette formation à la rentrée 2023, les écoles de commerce ont le vent en poupe, en deuxième position derrière les universités et devant les écoles d’ingénieurs.

Après les au revoir, dans le studio de 20 mètres carrés de Yixin situé à cinq minutes à pied de l’école, les verres à vin sont une nouvelle fois de sortie. Il y verse cette fois-ci du jus de litchi acheté au supermarché, en présentant la dégustation comme une « expérience de reine », ironise-t-il, en référence à Yang Guifei, célèbre concubine de la dynastie Tang, que l’empereur faisait approvisionner en litchis – son fruit préféré – du sud de la Chine par des cavaliers qui se relayaient jour et nuit.

Se considère comme un haigui, un terme qui désigne ces ressortissants chinois qui, après avoir étudié à l’étranger, retournent s’installer en Chine continental ? Yixin répond après une petite hésitation qu’on peut le définir comme tel. Même si « c’est moins brillant qu’avant, d’être diplômé d’une grande école française », nuance-t-il. Très prisés par les entreprises, ces profils ont perdu de leur éclat face à l’inflation des diplômes sur le marché de l’emploi chinois.

Reste que l’étudiant a bel et bien ce projet de retour, chez lui, à Chongqing. Pour reprendre l’entreprise familiale, bien sûr, mais ce n’est pas la seule raison. Malgré ses cinq années passées en France, il avoue s’y sentir toujours comme un touriste. « Je suis plus adapté au mode de vie chinois que français », confie-t-il. La barrière de la langue a beaucoup joué, concède l’étudiant, qui dit avoir eu du mal à nouer des amitiés profondes avec des Français. Avec une difficulté impossible à dépasser selon lui : celle de ne pas partager des références ou des expériences communes.

[Source: Le Monde]