« STO, les oubliés de la victoire », sur France.tv : la longue marche pour la réhabilitation d’une jeunesse française « livrée aux nazis »
Entre 1940 et 1945, 650 000 jeunes Français sont partis en Allemagne au titre du service du travail obligatoire. Lucie Pastor et Paul Le Grouyer éclairent cette histoire longtemps invisibilisée.

C’est une blessure toujours à vif pour ces centenaires et leurs familles. Ceux qui restent en vie parmi les 650 000 Français « livrés par leurs gouvernants aux nazis » entre 1942 et 1945 pour assurer la montée en puissance de la machine de guerre allemande n’ont pas encore retrouvé une place digne dans nos mémoires. Victimes de la compromission du régime de Vichy avec le IIIe Reich, les « STO » − pour service du travail obligatoire − deviendront les oubliés de la victoire.
Considérés après leur retour comme « des lâches ou des collabos », ils ont porté toute leur vie la honte réservée aux traîtres à la patrie − un déni de l’Histoire. L’ambition du documentaire signé par Lucie Pastor et Paul Le Grouyer est d’éclairer cet épisode mal connu pour réparer cette injustice et rétablir ces familles dans le récit national.
Fin 1941, un an et demi après la soumission du maréchal Pétain à Hitler, près de 100 000 hommes et femmes sont déjà partis outre-Rhin pour mieux gagner leur vie. Le régime nazi fait main basse sur les richesses de la France, dont l’économie tourne aux deux tiers au profit de l’Allemagne.
« Négrier de l’Europe »
Mais à partir de 1942, après l’invasion ratée de la Russie par les troupes de la Wehrmacht et l’entrée en guerre des Etats-Unis, le conflit se mondialise et le ton change. Le départ en Allemagne, hier volontaire, devient obligatoire. Berlin va puiser dans toutes les nations sous sa domination pour alimenter en bras frais les usines d’armements. Hitler donne carte blanche à Fritz Sauckel, bientôt surnommé « le négrier de l’Europe ». Suède, Belgique, Pays-Bas, Norvège se soumettent aux ordonnances allemandes. Le gouvernement de Vichy, lui, s’illustre par le zèle de son chef, Pierre Laval, qui signe deux promulgations de réquisition. La France sera le troisième contributeur de main-d’œuvre et le premier fournisseur d’ouvriers qualifiés du Reich.
Le journal clandestin Libération en appelle à « saboter la conscription des esclaves au service d’Hitler » et dénonce « la déportation massive de notre jeunesse ». Certains rejoindront le maquis, mais la plupart partiront par peur de représailles sur leurs proches. « Tout le monde n’est pas revenu, beaucoup y ont laissé la peau », rappelle Etienne Pezet, 20 ans en 1943. Les STO seront disséminés sur tous les territoires occupés : de la Norvège à la Tchéchoslovaquie.
Combat politique et judiciaire
Plus de 8 millions de jeunes Européens connaîtront la faim, la maladie, les mauvais traitements, la torture, et mourront parfois à la tâche ou sous les bombes alliées. Beaucoup participeront à des actes de sabotage industriel au péril de leur vie, 19 000 déserteront. « Fallait pas se faire attraper, sinon c’était le camp de concentration », raconte André Valette, 101 ans.
Après la Libération, si les STO sont d’abord rapatriés sous la bannière des « déportés », ce titre leur est rapidement contesté par d’anciens résistants. S’ensuit un long combat politique et judiciaire. Il leur faudra attendre soixante-trois ans pour obtenir en 2008 la qualification officielle de « victimes du travail forcé en Allemagne nazie ».
[Source: Le Monde]