Rurutu, l’île du Pacifique aux formes fantastiques

Cap sur une petite île polynésienne aux surprenants paysages, pour explorer d’immenses cavités à flanc de falaise, gravir le mont Manureva, avant d’aller observer le ballet des baleines sur l’océan.

Oct 25, 2025 - 11:45
Rurutu, l’île du Pacifique aux formes fantastiques
TAHITI TOURISME

Les insulaires disent « le sentier perdu », mais les touristes préfèrent le nom plus évocateur de « gueule du monstre ». Quoi qu’il en soit, la promenade ainsi nommée est la plus spectaculaire de l’île de Rurutu, 38,5 kilomètres carrés pour 2 500 habitants, perle des îles Australes, dans la partie la plus méridionale de la Polynésie française, moins connue que d’autres de par son absence de lagon, mais de ce fait plus sauvage et envoûtante. La « gueule du monstre », c’est une grotte ouverte à flanc de falaise qui surplombe l’océan et où stalactites et stalagmites se sont rejointes pour former une salle de colonnes qui, de loin, évoque effectivement la gueule d’un dragon.

De l’intérieur, on voit l’océan Pacifique s’étendre au loin. En s’approchant du bord, c’est la côte déchiquetée qui apparaît, quelques dizaines de mètres plus bas, arrosée par les vagues qui s’abattent violemment dans des gerbes d’éclaboussures blanches. De juillet à novembre passent des baleines, qui viennent dans ces eaux assez chaudes se reproduire. Certaines, très visibles depuis le sentier, font même aux spectateurs la grâce de sauter en l’air.

Le chemin pour accéder à cette « gueule du monstre », cicatrice de pierre qui coupe en deux la falaise de Toarutu, est un bonheur aventureux fait de petits moments d’escalade, de frôlements du vide, d’à-pics vertigineux. Il part de la plage d’Hauti, dans l’est de l’île, puis monte à flanc de falaise. Pour avancer, il faut pénétrer dans quelques grottes, s’approcher de la mer qui gronde. Certains passages d’escalade un peu délicats pour les novices font conseiller de prendre un guide, d’autant plus que celui dévolu à ces balades, Reti, star locale, connaît parfaitement et le chemin et l’étonnante création de l’île, et les raconte sans se faire prier.

Dans le nord de l’île, la grotte Ana Ae’o, surnommée « grotte François-Mitterrand ».

Car Rurutu doit sa fascinante spécificité géologique à sa formation très particulière. Née d’un volcan qui perça le fond de l’océan il y a treize millions d’années, elle ressembla pendant longtemps à ses sœurs polynésiennes, tas de lave entourés d’un lagon et de récifs de corail. Mais, il y a six millions d’années, la lithosphère se souleva à nouveau et Rurutu connut une deuxième élévation, qui mit hors d’eau la barrière de corail et le lagon. Ce sont eux aujourd’hui qui, livrés à l’humeur sculptrice de l’érosion, forment les paysages étonnants de l’île. C’est ainsi qu’on peut voir, près de l’aéroport, la grotte de Tupumai, dont le plafond est couvert de coquillages.

Ces grottes, feu d’artifice de pierres tordues, agrégats de coquillages et de fossiles, grandes salles aux colonnades puissantes, sont la principale attraction de l’île. D’abord parce qu’elles sont extrêmement spectaculaires, ensuite parce qu’elles sont très facilement accessibles. La plus fameuse s’ouvre ainsi dans le nord de l’île, presque à côté de la route dite « de ceinture », qui en fait le tour. Son nom est Ana Ae’o, mais elle est connue sous celui, moins local, de « grotte François-Mitterrand ». L’ancien président de la République y était venu en 1990 recevoir une copie du « code Rurutu », geste par lequel les insulaires voulaient faire savoir qu’ils acceptaient pleinement les lois de la République.

Vols d’oiseaux sous la voûte

La grotte est immense, 15 mètres de haut et 40 mètres sur 30 de superficie. Les sternes et les pailles-en-queue, grands oiseaux marins (appelés aussi localement « fétus-en-cul », mais plus connus ailleurs sous le nom de « phaétons »),volent dans ses hauteurs et le ciel s’aperçoit par un trou dans la voûte. Des fougères y poussent en nombre et l’aragonite, cette calcite née à partir des débris coralliens accumulés au fil du temps et devenue une roche homogène, y multiplie les formes fantastiques.

Sur la façade ouest, le village d’Avera s’étend au bord d’une large baie.

Rurutu culmine à 385 mètres, au sommet du mont Manureva. Comme les grottes, celui-ci est très facilement accessible par un chemin qui part de la route traversière entre Moerai et Avera, deux des trois villages de l’île. La montée est facile (même si la toute dernière partie, équipée de marches et de cordes, est plus raide et extrêmement glissante après la pluie, laquelle inonde Rurutu avec régularité) par un chemin qui expose toute la beauté de la flore locale.

Forêt de conifères et bois de pandanus, cet arbre dont le tressage des feuilles est la principale activité artisanale sur place, se dressent le long d’un large sentier. Une fois en haut, l’île se découvre à 360 degrés. La vue est particulièrement belle sur la baie d’Avera, longue plage arrondie. A l’entrée de son quai, accessible en bateau par la passe Opupu quand les vents le permettent, se dresse depuis deux ans une statue de baleine.

En redescendant, puis en reprenant la route, un autre sentier, baptisé « Vaioivi », permet de longer des tarodières, les champs en terrasses où est cultivé le taro, tubercule polynésien. Plus le chemin s’élève, plus la vue devient belle. Réparties de façon inégale, les plantations aux tonalités vertes et brunes forment un patchwork lumineux, qui évoque un peu les paysages de rizières de l’Asie du Sud-Est. Le taro est cultivé depuis des siècles sur l’île, avec des techniques qui n’ont guère changé : un sol saturé d’eau et un terrassement. Si vous avez envie de le goûter, les occasions seront multiples : toutes les pensions et l’unique snack de l’île le cuisinent d’abondance, souvent en gratin.

Plantations de taro, aménagées en terrasses inondées, telles des rizières.

Un tout petit musée, qui expose près de l’aéroport quelques objets, dont de vieux chaudrons destinés à recueillir l’huile de baleine, abrite une copie de la statue du dieu A’a, originaire de Rurutu. Enigmatique et stupéfiante, cette statue de bois poli de 1 mètre de haut, datant de la fin du XVIe siècle, dont les yeux, le nez, les oreilles et la bouche sont représentés par une trentaine de petits personnages en relief et dont le dos cache une porte secrète, est un des plus beaux exemples d’art premier au monde.

Elle avait, entre autres, bouleversé Pablo Picasso. Le British Museum, qui possède l’original, l’a prêtée pour une durée de trois ans au Musée de Tahiti et des îles, rénové et rouvert en mars 2023. Rurutu, qui n’envisage pas encore de la récupérer, permet quand même, grâce à cette copie, d’admirer chez elle ce témoin de sa culture qu’un destin inattendu a conduit à une gloire mondiale.

[Source: Le Monde]