En Syrie, le pouvoir aux prises avec les djihadistes étrangers
Les affrontements entre les autorités syriennes et les djihadistes français retranchés dans le camp de Harem témoignent des difficultés du nouveau régime à intégrer ces groupes étrangers dans les nouvelles institutions sécuritaires du pays et au sein de la société.
Des Français assiégés par les nouvelles forces de sécurité syriennes, retranchés avec femmes et enfants dans un camp adossé à la frontière turque ; des échanges de tirs ; des heures de négociations et un cessez-le-feu en trompe-l’œil. Un bain de sang aura été évité de peu quand, au terme de trente-six heures de crise, les autorités de Damas et des djihadistes français dirigés par Omar Omsen (Diaby de son vrai nom), un prédicateur niçois de 50 ans, sont parvenus à un accord, jeudi 23 octobre, pour mettre fin à leurs combats près de la localité de Harem, où il avait établi sa base, selon les chefs de la sécurité de la province d’Idlib, dans le nord-ouest du pays.
La police paramilitaire avait encerclé le camp des djihadistes français dans la nuit du 21 au 22 octobre avec l’intention d’arrêter Omar Omsen, officiellement accusé d’avoir enlevé et de détenir une fillette, elle-même de nationalité française, à la suite d’une plainte déposée par sa mère auprès d’une cour islamique de la région. C’est la première fois, depuis leur arrivée au pouvoir en décembre 2024, que les nouveaux maîtres du pays, menés par l’ancien djihadiste Ahmed Al-Charaa, assumaient publiquement une confrontation armée avec des combattants étrangers et, au passage, d’anciens compagnons d’armes.
Dans un communiqué, le commandant des forces de la sécurité intérieure de la province d’Idlib, le général Ghassan Bakir, a précisé que les autorités avaient demandé à Omar Omsen de se livrer, mais que ce dernier avait refusé et s’était « retranché ». Puis il l’a accusé de tirer sur les forces gouvernementales et d’« utiliser les civils comme boucliers humains ».
Un des principaux recruteurs d’étrangers en Syrie
Invoquant une « trahison », le groupe dirigé par Omar Omsen assure que les services de sécurité syriens ont coordonné leur raid avec les renseignements français afin de livrer, à terme, son chef à Paris. Les autorités françaises, qui se sont abstenues de commenter ces incidents, n’en ont pas moins toujours gardé un regard attentif sur les activités du djihadiste et des quelque 70 combattants français qui continuent à graviter autour de lui. Lesquels comptent parmi les derniers survivants des plus de 1 500 volontaires venus depuis l’Hexagone guerroyer, puis mourir sur les champs de bataille de la guerre civile syrienne, à partir de 2012, enrôlés en majorité dans les rangs de l’organisation Etat islamique (EI). Les « Français d’Idlib » et leur chef avaient, eux, fait le choix de prêter allégeance aux frères ennemis de l’EI : le Front Al-Nosra, branche syrienne d’Al-Qaida, qui deviendra Hayat Tahrir Al-Cham (HTC), le groupe d’Al-Charaa, aujourd’hui au pouvoir à Damas.
Originaire de la région de Nice, dans laquelle il était arrivé à l’âge de 5 ans, le Franco-Sénégalais a longtemps été considéré comme un des principaux recruteurs d’étrangers en Syrie, pays vers lequel il a organisé plusieurs dizaines de départs de Français grâce à des campagnes de recrutement très actives sur les réseaux sociaux. Il avait lui-même quitté la France pour rejoindre les lignes de front et les combattants djihadistes qui ont afflué pour combattre l’ancien régime de Bachar Al-Assad, à l’été 2013, et avait fondé dans le nord-ouest du pays la « brigade des étrangers » (« Firqat al-Ghouraba »). Brouillé depuis avec HTC, dont il refusait la tutelle, puis tombé en disgrâce, il ne sortait plus depuis trois ans du petit camp de Harem de crainte d’être arrêté.
« Depuis le premier jour de l’après-Bachar Al-Assad, la place des “Muhajiroun” [“émigrants”, les djihadistes étrangers dans la terminologie islamiste] dans la nouvelle Syrie est une question sensible mais transparente », explique une source sécuritaire, qui assure que le nouveau pouvoir a, dès le départ, fixé des règles en affirmant qu’il ne permettrait pas que le territoire syrien serve de sanctuaire à des combattants tentés de mener des attaques contre des pays tiers, voisins ou lointains, et qu’il entendait s’assurer un monopole du port et de la possession des armes dans le pays. « Cela passe par l’intégration des combattants qui le souhaitent dans les nouvelles institutions sécuritaires et armées de l’Etat et à leur réinsertion dans la société en règle générale », ajoute la source.
Processus d’intégration
Sous la pression américaine dès les lendemains de la chute du régime d’Al-Assad, en décembre 2024, la nouvelle administration a engagé un processus d’intégration de ces étrangers dans des brigades nouvellement créées au sein de l’armée. Washington estimait qu’il était préférable de garder ces combattants au sein d’un projet étatique plutôt que de les en exclure, au risque de les voir se disperser dans la nature. Les Américains posaient néanmoins comme condition que ces djihadistes ne soient pas installés à des postes de haut niveau dans la structure gouvernementale. Pragmatique et désireux de changer radicalement son image auprès de l’Occident, le président par intérim et ancien djihadiste Ahmed Al-Charaa avait lui-même rompu avec la nébuleuse Al-Qaida, dès 2016, et renoncé au djihad global.
Signe, pourtant, d’un certain embarras au sein du pouvoir face aux tentatives de contrôle des groupes djihadistes toujours constitués, les autorités syriennes s’en tiennent officiellement à la thèse d’un fait divers qui a mal tourné dans l’affaire d’Omar Omsen et du camp de Harem. Le conseiller médias du président par intérim syrien a ainsi affirmé, sur le réseau social X, que les affrontements étaient survenus « parce que ces individus ont refusé de se soumettre à la loi ». « La question n’a rien à voir avec leur statut de combattants étrangers ». « Un Syrien qui agirait de la même manière serait traité de la même façon », a-t-il insisté : « La Syrie d’aujourd’hui est un Etat de droit, et chacun doit respecter les lois et règlements en vigueur. »
Refus de se soumettre totalement
« Omar Omsen et ses troupes s’obstinaient à refuser tout dialogue avec l’Etat », explique un éditorialiste proche du pouvoir à Damas, où l’on accuse les djihadistes français d’avoir créé un petit réduit qui obéissait à ses propres règles, allant jusqu’à dénier aux autorités un droit de regard sur les armes qu’ils détiennent. « Ils viennent quand même d’ouvrir le feu sur nos forces… », ajoute la source sécuritaire, qui rappelle le passif du Français avec HTC, dont il défiait l’autorité dans la région d’Idlib avant même que le groupe islamiste syrien prenne le pouvoir. Le Niçois a ainsi passé plus d’un an et demi en détention, entre août 2020 et février 2022, avant d’être libéré contre la promesse de s’abstenir de toute activité publique en dehors du cadre imposé par HTC, qui ne contrôlait alors que l’enclave de la région d’Idlib, l’une des dernières à échapper à cette époque à l’ancien régime.
Trois ans plus tard, ses récentes déclarations auprès de médias occidentaux, dont le journal Libération en septembre, semblent avoir eu raison de la patience du nouveau pouvoir, qui, désireux d’entretenir les bonnes grâces des puissances occidentales, s’évertue à imposer silence et discrétion aux étrangers qui ont combattu à ses côtés.
Soucieux cependant de les ménager publiquement, Ahmed Al-Charaa a pris le soin, à plusieurs reprises, d’exprimer sa reconnaissance à l’égard de ces étrangers « qui ont combattu au côté du peuple syrien », en affirmant que ces derniers méritaient « le respect ». A condition de rentrer dans le rang. HTC n’a pas hésité, ces dernières années, à disperser violemment des groupuscules djihadistes, souvent originaires du Caucase, qui avaient refusé de passer sous sa coupe. La présence, jeudi 23 octobre, de quelques combattants ouzbeks venus prêter main-forte aux Français à Harem montre que certains refusent de se soumettre totalement.
S’il a échappé pour l’instant à une nouvelle arrestation, Omar Omsen se voit tout de même contraint de remettre les dernières armes lourdes qu’il détenait, d’accepter une enquête judiciaire et d’ouvrir son camp aux forces de sécurité, offrant aux autorités une victoire en demi-teinte. Le « réduit français » de Harem, lui, a vécu.
[Source: Le Monde]