Attaque au couteau au Royaume-Uni : un fait divers brutal dans un contexte social tendu
Une personne restait en état critique après avoir été poignardée dans un train reliant Doncaster à Londres, une attaque qui a fait en tout onze blessés. La police, qui ne retient pas la qualification terroriste, maintient encore en garde à vue l’une des deux personnes arrêtées « pour tentatives de meurtres ».
Une personne restait dans un état critique au Royaume-Uni, dimanche 2 novembre en fin de journée, après l’attaque au couteau intervenue la veille dans un train reliant Doncaster à Londres, qui a fait en tout onze blessés. La police écartait un motif terroriste dimanche, mais ce brutal fait divers a aussitôt redonné du carburant à l’extrême droite, qui, dans un contexte social tendu, exploite les peurs collectives et n’hésite pas, souvent au mépris des faits, à établir un lien entre migration et criminalité.
A en croire la police et les témoignages recueillis par les médias britanniques, l’attaque a commencé peu après 19 h 30 dans un train de la compagnie London North Eastern Railway (LNER) reliant Doncaster, une grande ville du sud du Yorkshire, à la gare King’s Cross de Londres. Quand les premiers cris ont soudain retenti dans sa rame, « j’ai d’abord pensé à une soirée Hallowen », a raconté Olly Foster, un passager interrogé par la BBC, décrivant la bousculade pour échapper à un homme frappant tout le monde sur son passage et « des sièges pleins de sang ».
La police est intervenue à peine dix minutes plus tard dans la petite gare de Huntingdon, dans le Cambridgeshire, où le train a fait un arrêt d’urgence. Deux hommes ont été arrêtés et étaient en garde à vue, dimanche. « A ce stade, rien ne permet de suggérer qu’il s’agit d’un incident terroriste », précisait à la mi-journée le commissaire John Loveless, de la police britannique des transports.
Le premier suspect est « un homme de 32 ans, un citoyen britannique noir, le [deuxième suspect] est un homme de 35 ans, Britannique d’origine caribéenne. Tous deux ont été arrêtés pour tentatives de meurtres et sont nés au Royaume-Uni », a ajouté le commissaire Loveless. En soirée, la police précisait que seul l’homme de 32 ans restait en garde à vue.
Depuis le massacre de Southport, en juillet 2024, quand trois petites filles sont mortes des suites d’une attaque au couteau dans leur classe de yoga, les forces de police du pays communiquent plus rapidement et précisément sur l’origine ethnique des suspects. A l’époque, il leur avait été reproché d’avoir malgré elles encouragé les spéculations en ligne, en tardant à donner des informations sur l’identité de l’assaillant. Une rumeur infondée selon laquelle il s’agissait d’un migrant tout juste arrivé au Royaume-Uni avait déclenché de violentes émeutes. Axel Rudakubana, l’auteur des faits, un jeune Britannique d’origine rwandaise, a été condamné à la prison à vie en janvier.
Une première dans un train
Le roi Charles III et son épouse, Camilla, se sont dits « profondément choqués » par la nouvelle de l’attaque. « Mes pensées vont aux victimes, leurs amis et famille », a pour sa part réagi Shabana Mahmood, la ministre de l’intérieur.
Si les agressions au couteau sont régulières au Royaume-Uni, le fait que ce drame soit intervenu dans un train est une première. Il n’existe aucun contrôle de sécurité avant les accès aux quais dans le pays. Et la présence policière dans les gares est souvent très discrète. La ministre des transports, Heidi Alexander, a promis une présence « plus visible » de la police dans les gares et les trains dimanche « pour rassurer le public », tandis qu’Eddie Dempsey, le secrétaire général du RMT, le principal syndicat des cheminots, réclamait « des réunions urgentes » avec le gouvernement, les compagnies ferroviaires et la police : « Pour garantir que nous disposions du meilleur soutien, des ressources et des procédures pour protéger nos membres et les voyageurs. »
Le débat a surtout porté sur le niveau d’insécurité au Royaume-Uni et sur son lien suggéré avec l’arrivée de migrants sur le sol national. « Les gens sont traumatisés par l’horrible criminalité liée aux armes blanches. (…) Bien sûr, des Britanniques commettent des crimes, mais bien trop souvent, ce sont des personnes qui n’auraient jamais dû se trouver dans ce pays qui les commettent. Nous devons sécuriser nos frontières », a notamment déclaré sur la BBC Zia Yusuf, le responsable de la ligne politique chez Reform UK, le parti d’extrême droite dirigé par Nigel Farage.
Fléau national
Le pays est « cassé », a prétendu par ailleurs, sur X, Ben Habib, un proche de M. Farage qui vient de créer son propre mouvement à la droite de Reform UK : Advance UK, auquel l’activiste et ex-hooligan Tommy Robinson a apporté son soutien.
Ce thème d’un pays à la dérive, qui était celui du Parti travailliste avant qu’il conquière le pouvoir, à l’été 2024, est devenu le leitmotiv des populistes britanniques. « Quelque chose ne va clairement pas dans notre société », a abondé Kemi Badenoch, la cheffe de file des conservateurs. Elle a mis en avant la « violence grandissante dans nos rues » et cité, outre l’attaque du train, un fait divers qui a frappé l’opinion publique, fin octobre. A Uxbridge, à l’ouest de Londres, un homme d’origine afghane avait alors poignardé trois personnes, tuant un homme qui promenait son chien.
Si les agressions au couteau restent un fléau national, des chiffres publiés le 30 octobre par le Home Office suggèrent une légère amélioration : les admissions à l’hôpital pour blessures à l’arme blanche entre 2024 et 2025 ont diminué de 10,4 % (à 3 500) en Angleterre par rapport à la même période l’année précédente. Pour autant, le gouvernement de Keir Starmer peine à désamorcer les peurs agitées par la droite. Ses promesses de contrôler les arrivées en small boats par la Manche peinent à porter leurs fruits. Fin octobre, plus de 36 000 personnes avaient déjà traversé le Channel depuis début 2024.
La remise en liberté par erreur, à la mi-octobre, d’un demandeur d’asile éthiopien condamné à de la prison pour agression sexuelle n’a rien fait pour faire remonter le Labour dans l’opinion publique. L’homme a été vite récupéré par la police puis expulsé vers son pays d’origine, mais ce contretemps a été exploité par l’opposition pour souligner l’incapacité du pouvoir à protéger les citoyens. Au 27 octobre, Reform UK était à 27 % d’intentions de vote, selon YouGov, 10 points au-dessus des travaillistes et des tories.
[Source: Le Monde]