Mattéo Vercher, 124ᵉ du Tour de France 2025 : « Chaque jour, on se demande pourquoi on fait ça. C’est tellement ingrat, le cyclisme… »

Avant la 21ᵉ et dernière étape de cette édition, dimanche, le coureur de l’équipe TotalEnergies, qui a chuté trois fois, pointe à un peu plus de cinq heures du maillot jaune, Tadej Pogacar. Pour « Le Monde », il est revenu sur ses trois semaines de course.

Juil 28, 2025 - 04:43
Mattéo Vercher, 124ᵉ du Tour de France 2025 : « Chaque jour, on se demande pourquoi on fait ça. C’est tellement ingrat, le cyclisme… »
ANNE-CHRISTINE POUJOULAT/AFP

Il est l’un de ces cyclistes qu’on croise dans le peloton sans vraiment les voir. Un de ces anonymes, casques baissés, qui ne lèveront peut-être jamais les bras sur le Tour de France. Avant la 21e et dernière étape de cette édition 2025, dimanche 27 juillet, Mattéo Vercher est 124e de l’épreuve (sur 160 coureurs encore en course), à un peu plus de cinqheures du maillot jaune, Tadej Pogacar (UAE Team Emirates-XRG). « Parfois, on a l’impression qu’on ne fait pas le même sport », concède le Français de l’équipe TotalEnergies, âgé de 24 ans, que Le Monde a suivi pendant plusieurs jours lors de cette Grande Boucle.

Lors de notre première rencontre, le 21 juillet, Mattéo Vercher vient tout juste de grappiller une place lui permettant de ne plus être lanterne rouge, après une semaine dans les tréfonds du classement général. « Les coéquipiers me charriaient un peu sur ce statut de dernier, mais ça me faisait sourire, retrace-t-il. Les premières étapes étaient très compliquées. Après mes chutes, j’ai eu vraiment un coup de moins bien. J’avais le bas du dos complètement en vrac. »

Le Lyonnais a goûté le bitume dès l’étape inaugurale, autour de Lille, après un duel insolite avec son compatriote Benjamin Thomas (Cofidis) sur les pavés du mont Cassel (1,9 km à 3,5 %). A l’arrivée, ce 5 juillet, il accuse plus de six minutes de retard sur le vainqueur, le Belge Jasper Philipsen, ne devançant sur la ligne que trois autres coureurs. Mattéo Vercher se console avec le titre honorifique de « combatif du jour », mais il s’est « luxé l’épaule » et en conserve encore aujourd’hui des « douleurs ».

Lors des quatrième et treizième étapes, rebelote : il se retrouve à terre. Malgré ces contrecoups, le grimpeur-puncheur tient bon, silhouette obstinée dans le sillage des favoris. « Il faut respecter l’épreuve et profiter de chaque occasion, insiste le porteur du dossard 188. Elles sont devenues rares avec la domination de Tadej Pogacar et de son équipe. »

Dans le peloton, « c’est marche ou crève »

Mattéo Vercher s’est retrouvé tout de même à l’avant de la « plus grande course du monde » à quelques reprises. Comme lors de la 8e étape, entre Saint-Méen-Le-Grand (Ille-et-Vilaine) et Laval, où il s’échappe avec son coéquipier Mathieu Burgaudeau – les deux hommes se partageront le titre de « combatif » du jour. L’Italien Jonathan Milan finit par s’imposer au sprint dans le chef-lieu de la Mayenne et son équipe, la Lidl-Trek, réprimande les deux Français d’avoir tenté de bouleverser le scénario de la journée.

« Ça a frotté tous les jours. Il y a une tension permanente dans le peloton. C’est marche ou crève, il n’y a aucun fair-play ou savoir-vivre, un phénomène qu’on voit aussi dans notre société… », ose comparer le jeune coureur. Il déplore aussi « l’excès de zèle » des meilleures formations face à TotalEnergies, qui n’évolue pourtant qu’en deuxième division du cyclisme sur route (UCI ProTeam).

De son propre aveu, Mattéo Vercher a traversé certaines étapes comme on traverse une mauvaise saison, plombé par une malchance tenace, comme si le sort s’acharnait à le priver du « moindre répit ». « Chaque jour, on se demande pourquoi on fait ça. C’est tellement ingrat, le cyclisme… Et on se souvient de tous les sacrifices qu’on a faits pour participer au Tour. On pense à tous ceux qui rêveraient de finir la course une fois dans leur carrière », détaille celui qui a terminé 103e de l’édition 2024.

Silencieux sur ses états d’âme, le Lyonnais a longtemps détourné nos questions d’un sourire fatigué. Puis, une fois la confiance installée, il a fini par lâcher qu’il y a bien eu un soir où il a craqué. « Physiquement et mentalement, c’est très difficile. La majorité des coureurs vivent ce genre de moment, mais personne n’assume réellement. »

Mattéo Vercher (TotalEnergies) après avoir reçu le prix du coureur le plus combatif, à l’issue de la première étape du Tour de France, à Lille, le 5 juillet 2025.
En arrière-plan, à droite, Mattéo Vercher, lors de première étape de la 112ᵉ édition du Tour de France, à Lille, le 5 juillet 2025.

Ce solitaire, « un peu dans sa bulle », a pu compter, pendant trois semaines, sur le soutien indéfectible de son camarade de chambrée, Anthony Turgis. « J’essayais de ne pas trop l’inquiéter pour ne pas plomber son moral, retrace-t-il. Mais quand ça n’allait pas, il le voyait et me remotivait. » A 31 ans, le doyen de la formation vendéenne participe à son huitième Tour de France et partage son expérience auprès de ses coéquipiers plus jeunes. « C’est une personne essentielle au collectif », complète Jean-René Bernaudeau, le manager de TotalEnergies.

Un quotidien soigneusement millimétré

Entre les longs trajets en bus entre les étapes, les arrivées tardives et les différentes obligations, notamment les contrôles antidopage, Mattéo Vercher a eu du mal à trouver le sommeil, un élément pourtant essentiel à la réussite d’une épreuve si longue. A fortiori pour lui, le « gros dormeur ». Malgré l’épuisement, il n’a « jamais réussi à débrancher totalement » une fois la ligne franchie. Le corps s’est arrêté mais la tête est restée en mouvement, gardant le tumulte de la journée de course, les virages, les accélérations, les chutes, les cris de la foule, les briefings à rallonge, les attentes du lendemain. « Quand on ferme les yeux dans le lit, on est rempli d’adrénaline et encore sous tension », confie-t-il.

Pendant le Tour, chaque paramètre du quotidien est soigneusement millimétré. Cette rigueur extrême a fini par s’immiscer dans l’esprit de Mattéo Vercher, au point de le rendre presque « paranoïaque ». « A cause de la fatigue, nos défenses immunitaires diminuent et le moindre microbe peut devenir dangereux. On met des masques au moindre rhume », raconte le Lyonnais.

Il regarde les grands noms du peloton avec une forme de stupeur admirative. Comment Tadej Pogacar ou Jonas Vingegaard (Visma-Lease a Bike) parviennent-ils à rester inébranlables sous le feu des caméras, des micros tendus et des « attentes démesurées » ? Chaque jour, ils doivent répondre présents et « ils n’ont jamais un jour sans ». Ses efforts lui paraissent presque artisanaux, minuscules face à ce que l’excellence impose en permanence. « Il y a des fois où je m’écarte alors que je suis à bloc et eux n’ont pas encore appuyé sur les pédales, décrit-il. Il y a une course dans la course. »

Fils d’un ancien coureur amateur et d’une professeure de sport, Mattéo Vercher a « toujours baigné dans le vélo » et il n’est pas arrivé là par hasard. Avant de se frotter au gotha du cyclisme mondial, il a empilé les heures d’entraînement, les stages en altitude, les sacrifices silencieux, les « jours sans fête et les matins sans pause ». Tout cela, il l’a accepté sans broncher, porté par la promesse de ses premiers résultats, sur route et en cyclo-cross.

La chance de « faire ce que j’aime »

Formé à l’UC Belleville puis au Vélo Club de Vaulx-en-Velin, dans la région lyonnaise, Mattéo Vercher se classe 2e de la course en ligne du championnat d’Auvergne-Rhône-Alpes cadet en 2016. Quatre ans plus tard, il devient champion de France amateur, son « plus grand titre », avant de rejoindre TotalEnergies en tant que stagiaire. Lors de sa première participation à la Grande Boucle, en 2024, il manque de peu la victoire sur la 18e étape à Barcelonnette (Alpes-de-Haute-Provence), terminant derrière le Belge Victor Campenaerts. Une « grande déception ».

Une fois plongé dans le tumulte de l’épreuve reine, il en a entrevu l’envers du décor pour les leaders : le poids des attentes, les caméras bloquées, les obligations médiatiques. « C’est flatteur, mais la vie des stars ne m’intéresse pas. Je préfère parler avec des enfants pour leur partager ma passion et la chance que j’ai de pouvoir voyager et faire ce que j’aime », expose-t-il. Etre plus fort, c’est aussi vivre sous pression constante, sans droit au flou et sans espace pour le doute.

Mattéo Vercher et Mathieu Burgaudeau lors de la 8ᵉ étape, entre Saint-Méen-Le-Grand (Ille-et-Vilaine) et Laval, le 12 juillet 2025.

Lui préfère donc avancer à sa mesure, dans une lumière plus douce, là où l’effort reste une quête personnelle et non une vitrine. « Il y a plein d’objectifs plus ou moins réalisables que je vise », raconte Mattéo Vercher. Un titre de champion de France sur route ou une victoire d’étape sur le Tour. « Dans le sport de haut niveau, il y a des émotions qu’on ne retrouve nulle part ailleurs. »

A l’heure du bilan de cette édition 2025, il ne cherche ni « excuse, ni gloire facile ». La course l’a éprouvé, mais il en ressort debout, un peu plus conscient de ses limites. Tous les coureurs professionnels n’ont pas vocation à briller en haut du classement, certaines carrières se construisent dans les marges. L’essentiel, « c’est garder la motivation de rouler et prendre du plaisir, tout en progressant ».

[Source: Le Monde]