Léon Marchand, un record du monde pulvérisé et un pari réussi aux Mondiaux de Singapour
Le Français avait choisi de faire l’impasse sur deux courses pour tenter de raboter le record du monde du 200 m 4 nages. Il y est parvenu de manière éclatante, mercredi, avant même la finale.

Le souffle est encore court, le corps détrempé, et le contour des yeux toujours marqué par ses lunettes quand Léon Marchand se présente, mercredi 30 juillet, face aux quelques journalistes français présents à Singapour. Tous étaient venus pour ça, c’est déjà dans la boîte. « Merci de nous avoir prévenus », lance une consœur, à son arrivée. Sur le visage du Toulousain, un sourire s’étend d’une oreille à l’autre. Pour cause : il vient de battre le record du monde du 200 m 4 nages (1 min 52 s 69), en demi-finales des championnats du monde de natation.
« Je vous l’avais dit », rétorque Léon Marchand du tac au tac. On peut être quadruple champion olympique et se tromper. Une correction s’impose donc. Le matin même, après les séries, le Français avait annoncé qu’il essaierait « de s’approcher de [son] meilleur temps » sur l’épreuve. Certes, il se trouvait à six centièmes du record du monde de l’Américain Ryan Lochte, qui tenait depuis le 28 juillet 2011 (1 min 54 s). Mais raboter celui-ci d’une seconde et trois dixièmes, personne ne l’avait vu venir. Pas même le premier intéressé.
« Pour moi, c’est une victoire. Surtout que ce n’est pas un record qui est égalé, c’est quand même une seconde et quelques… J’ai un peu de mal à y croire quand même. Mais je suis trop content, c’est trop bien », savourait Léon Marchand après la course. « Il n’y a pas de mots… », commençait Nicolas Castel, qui entraîne le nageur depuis ses 7 ans, avant d’en trouver : « Honnêtement, c’est énorme, c’est exceptionnel, c’est extraordinaire. »
« Il a massacré la course »
Voilà ce qu’il advient quand on replace le jeune homme de 23 ans dans son environnement naturel, sans l’ennuyer avec sa nouvelle notoriété mondiale, l’amour et la pression du public, les innombrables sollicitations médiatiques et contractuelles. Le sourire radieux d’un athlète venu pour jouer et qui a gagné. D’un compétiteur qui possède depuis juillet 2023 le record du monde du 400 m 4 nages et qui pensait à cette autre marque historique « depuis deux ou trois ans », sans imaginer pouvoir « y arriver aussi tôt ».
Voilà ce qu’il advient, pareillement, lorsqu’un lion tourne trop longtemps en cage. Depuis son arrivée à Singapour, après le stage de l’équipe de France à Djakarta (Indonésie), Léon Marchand brûlait d’impatience de plonger dans le bassin de la cité-Etat. Le titre mondial de Maxime Grousset sur 50 m papillon, lundi, et la médaille de bronze de Yohann Ndoye-Brouard sur le 100 m dos, mardi, lui avaient donné « faim », comme il l’avait précisé à l’issue des séries.
Son entrée en lice, mercredi matin, avait été interminable. De longues secondes à attendre près du plot les résultats de l’arbitrage vidéo pour la série précédente. Comme pour provoquer une dernière fois le fauve. Un « Allez Léon ! » descendait des tribunes, avant le festin : le premier temps des séries, puis son record personnel en demi-finales, le meilleur chrono de l’histoire.
Léon Marchand pouvait bien montrer le biceps de joie, devant un public composé majoritairement de spectateurs chinois autant comblés par sa performance que par la qualification de leur chouchou, Shun Wang. Parce qu’il y aura bien une finale à disputer demain sur ce 200 m 4 nages. « Il n’est pas encore champion du monde, donc il faut rester un minimum concentré », tempérait ainsi Denis Auguin, directeur technique national de la Fédération française de natation (FFN), avant de céder à l’euphorie ambiante : « Mais il a massacré la course ! »
Une stratégie mûrement réfléchie
Avec ce record du monde, Léon Marchand a réussi son pari. Le quadruple champion olympique avait choisi d’abandonner deux courses (200 m papillon et 200 m brasse) qui lui avaient permis d’obtenir deux médailles d’or aux Jeux de Paris. Un crève-cœur ? Plutôt une décision réfléchie. « Ma curiosité m’amène à enlever des courses avant pour essayer de nager le plus vite possible sur 200 m 4 nages, sachant que j’étais à six centièmes du record la dernière fois », exposait-il, samedi, à la veille du début des Mondiaux.
Stratégiquement, le Français a fait le choix, également mûrement étudié avec Nicolas Castel et à distance avec Bob Bowman, son entraîneur aux Etats-Unis, de tenter sa chance pour le record lors des demi-finales. « A sa place, j’aurais fait pareil. (…) C’est comme ça qu’il fallait s’y prendre. S’il voulait battre le record du monde, c’est là qu’il fallait le faire », assure Denis Auguin, qui estime que le Toulousain s’est épargné une double pression jeudi.
Pendant qu’une membre de l’organisation se démène pour tenter, en vain, d’obtenir une réaction du champion en anglais, Léon Marchand en termine avec les questions des journalistes français. Quelle suite apporter à cette soirée hors du commun ? « Je vais déjà essayer de comprendre ce que je viens de faire. Ça va peut-être me prendre quelques mois. Et après, je vais me projeter sur la suite », réagit-il. Au point d’en oublier le reste de cette semaine de compétition à Singapour ? Pas le genre de la maison. « Demain, la finale va être cool », venait-il tout juste de glisser.
[Source: Le Monde]