« Il y a une tendance claire à démarrer de plus en plus tôt » : le boom des stages et prépas d’été
Signe de la pression accrue sur l’orientation des élèves, l’offre – et la demande – de stages intensifs lors des vacances scolaires s’étoffe. Dès le lycée.

Jean de La Porte, codirigeant des Cours Legendre, un des principaux acteurs du secteur du soutien scolaire, l’annonce tout de go : c’est la formule qui enregistre la plus forte croissance, de 25 % à 30 % par an, et représente aujourd’hui la moitié de l’activité de l’entreprise, tous niveaux confondus. Les stages intensifs de révision pendant les vacances scolaires ont le vent en poupe, particulièrement ceux qui se déroulent en été.
Pour les collégiens et les lycéens qui veulent se remettre à niveau avant la rentrée, mais aussi pour ceux qui souhaitent préparer des concours postbac : écoles de commerce, d’ingénieurs, Sciences Po et médecine. « Il y a une tendance claire à démarrer de plus en plus tôt. C’est une demande des parents, notamment dans des filières où l’écart de niveau entre la fin du lycée et le début des études supérieures est important », souligne le responsable.
Selon lui, deux raisons expliquent le succès grandissant de ces stages d’été depuis une dizaine d’années. L’arrivée de Parcoursup, qui « a créé plus d’anxiété, plus d’aléas que les familles essaient de pallier en anticipant le plus possible », et le fait qu’il s’agisse de concours dans des filières très sélectives, donc « si on veut être pris, il faut être meilleur que les autres ». Il y ajoute un élément « plus dans l’air du temps » : « On préfère un stage intensif avant la rentrée qu’un peu de travail chaque jour. »
La pression scolaire en hausse
Pour les stages de préparation aux concours postbac, les élèves, qui n’ont même pas encore fait leur rentrée en terminale, se retrouvent la dernière semaine d’août en petits groupes. « Notre spécificité, c’est de travailler avec des enseignants de l’éducation nationale, qui ont été soit jury dans ces concours, soit profs dans ces écoles », fait valoir Jean de La Porte, qui défend l’idée que toutes les catégories socioprofessionnelles sont représentées parmi les familles demandeuses.
La réalité est un peu plus nuancée. Si le soutien scolaire est accessible à différentes bourses grâce au mécanisme de crédit d’impôt pour les emplois à domicile – 50 % des dépenses sont remboursées –, les prépas d’été sont, elles, entièrement à la charge des familles. Les prix vont de 800 à 1 500 euros, selon que l’on y ajoute des entraînements aux oraux, des concours blancs, etc. Une partie des familles optent pour des formules à l’année qui vont chez les Cours Legendre de 1 700 euros pour les concours des écoles de commerce et d’ingénieurs à 3 600 euros pour Sciences-Po Paris et les instituts d’études politiques.
Maîtresse de conférences en sciences de l’éducation à l’université Paris-Est-Créteil (UPEC) et autrice de Le Coaching scolaire. Un marché de la réalisation de soi (PUF, 2020), Anne-Claudine Oller observe depuis vingt ans l’essor de l’accompagnement scolaire. « Le coaching scolaire [un ensemble de pratiques situées en périphérie de la scolarité et destinées à la faciliter] est apparu entre 2000 et 2010 et n’a cessé de se développer depuis, notamment avec les coachs en orientation », rappelle la chercheuse.
En cause : la forte inquiétude d’une partie des familles, souvent aisées, autour de la scolarité de leurs enfants. « Parcoursup est un outil de gestion de la pénurie de places dans l’enseignement supérieur, donc un outil de tri. Si j’ai de bonnes notes ou de pas trop mauvaises notes, est-ce que ce sera suffisant pour obtenir l’école ou la formation que je souhaite ?, résume Anne-Claudine Oller. Or l’acquisition de diplômes est vue comme de plus en plus importante pour obtenir une bonne position sociale. La réforme du lycée et la mise en place de Parcoursup ont beaucoup participé à accroître cette pression scolaire. Ce qui est nouveau, c’est l’ampleur et la précocité que cela prend dans la scolarité du jeune. »
L’enjeu du postbac
Chez Acadomia, autre entreprise leader du soutien scolaire, la demande pour des stages d’été a crû de 50 % en dix ans. Elle concerne quelque 9 000 élèves (sur 120 000 accompagnés pendant toute l’année), un chiffre relativement stable. « Ce qui est en progression, c’est la part de stages en ligne – environ 50 % – une formule qu’on propose depuis le Covid-19 – ainsi que les demandes pour des cours de méthodologie, qui augmentent depuis cinq ans environ. Au-delà des matières traditionnelles, les parents voient de plus en plus l’importance d’avoir des méthodes de travail », précise Aurélie Poulin, responsable du service pédagogie.
Chez Acadomia aussi, le postbac est déjà dans les têtes : « Les stages intensifs permettent de réactiver les connaissances, de faire une rentrée plus sereine, mais ils intéressent aussi les élèves qui veulent intégrer des filières postbac à forts enjeux dès la rentrée, comme médecine, les classes prépas ou le droit. Ils savent qu’ils ne pourront pas perdre plusieurs semaines pour trouver leurs marques. »
« A l’approche des échéances de fin de lycée, il y a un accord entre les parents et les enfants sur le fait d’y aller à fond, de mettre toutes ses chances de son côté », confirme Alexis Sabin, cofondateur d’Alveus. Lancée en 2014, l’entreprise a très vite élargi son activité de soutien scolaire à la préparation du postbac, pour désormais proposer des activités allant de la 6e à bac + 2.
Un privilège des familles aisées
« Pour les terminales, on propose des préparations au concours d’écoles de commerce, d’ingénieurs, des IEP. De plus en plus de jeunes n’ont pas forcément envie de passer par deux années de classe prépa pour intégrer l’école de leur choix, explique le dirigeant. Quant à l’offre d’accompagnement pour les étudiants, poursuit-il, « on est en train de la structurer dans les filières scientifique et économique, car on a de plus en plus de demandes ».
Chercheur en science politique à l’université de Bordeaux, Mathis d’Aquino mène depuis plusieurs années des travaux sur la privatisation de l’enseignement supérieur. Il rappelle lui aussi que « cet essor des stages intensifs concerne avant tout les familles aisées qui accompagnent très fortement leurs enfants dans leur scolarité ».
Et si le phénomène commence dès le collège et le lycée, il se poursuit dans le supérieur avec un marché des prépas privées lui aussi très dynamique. « Les filières les plus concernées sont les classes prépas, la médecine et le droit. On le voit bien sur les salons : les commerciaux de ces prépas privées leur mettent dans la tête que sans ces formations complémentaires, ils n’ont aucune chance de réussir dans des filières aussi sélectives. »
[Source: Le Monde]