Plan américain pour Gaza : les inquiétudes de la France

Le quai d’Orsay souligne les « faiblesses » et les « risques » de la feuille de route concoctée par les Etats-Unis et Israël, notant que la création d’un Etat palestinien n’y apparaît que comme un horizon lointain et flou.

Oct 2, 2025 - 13:09
Plan américain pour Gaza : les inquiétudes de la France
Le président de la République, Emmanuel Macron, lors d’une réunion bilatérale avec Donald Trump au siège de l’ONU à New York, le 23 septembre 2025. JULIEN MUGUET POUR « LE MONDE »

Pour l’occasion, le président français s’est offert quelques verres de Lagavulin, son whisky favori. L’ambiance était festive, mercredi 24 septembre, à bord de l’A330 présidentiel. De retour de l’Assemblée générale des Nations unies (ONU), à New York, Emmanuel Macron jubile devant ses plus proches collaborateurs. La France vient, l’avant-veille, de reconnaître l’Etat de Palestine – contre l’avis d’Israël et des Etats-Unis –, poussant une dizaine de pays, dont le Royaume-Uni, le Canada et l’Australie à faire de même. il s’agit, selon les mots du président, d’« ouvrir un chemin de paix » à Gaza, meurtrie par les frappes israéliennes et les snipers de l’armée qui, en visant officiellement les membres du Hamas, tuent des civils et détruisent des hôpitaux, des institutions et des lieux de culte de l’enclave.

Mais de quelle victoire diplomatique est-il question ? « Tout reste encore à faire », admet Ofer Bronchtein, l’envoyé spécial d’Emmanuel Macron pour le Moyen-Orient, soulignant que le geste symbolique de la France n’est que la première étape d’un long processus qui vise à raviver la solution à deux Etats.

Le « plan Trump » en 20 points que le président américain a fait approuver par le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, lundi 29 septembre, depuis la Maison Blanche, pourrait-il être une deuxième étape crédible ? Il a en tout cas été immédiatement applaudi par la France qui le présente comme la suite du mouvement enclenché à l’ONU. Emmanuel Macron n’a-t-il pas contribué, avec son partenaire saoudien, à faire bouger Donald Trump sur Gaza ? Paris revendique même avoir inspiré une partie du plan américain qui fait une référence succincte à « la proposition franco-saoudienne ».

Liant un cessez-le-feu à la libération des otages, ouvrant la voie à un retrait de l’armée israélienne – sans calendrier précis –, demandant le retour de l’aide et des organisations humanitaires internationales, le désarmement du Hamas et prévoyant une force de stabilisation à Gaza, le plan converge sur de nombreux points avec la « déclaration de New York » adoptée, sous l’égide de Paris et Riyad, par 142 Etats membres des Nations unies, peu avant le mouvement concerté de reconnaissance de l’Etat palestinien. Dans ce cadre, Donald Trump a abandonné l’idée choquante de bâtir une « Riviera » dans la bande de Gaza, se félicite-t-on au quai d’Orsay.

Rien sur la Cisjordanie

Mais, au-delà de cette satisfaction affichée, d’immenses réserves sont émises en coulisse par la France et l’Arabie saoudite. Si la réponse du Hamas à ce plan, attendue dans les prochains jours, devait être négative, Israël aurait, selon les mots du premier ministre de l’Etat hébreu, toute liberté pour « finir le travail ». Même en cas d’accord de l’organisation islamiste, le quai d’Orsay souligne les « faiblesses » et les « risques » du plan.

La création d’un Etat palestinien y apparaît comme un horizon lointain et flou. Le sort de la Cisjordanie, qu’Israël menace d’annexer, est ignoré. Le retour de l’Autorité palestinienne (AP) dans la gouvernance de la bande de Gaza, qu’Israël juge corrompue et indigne de confiance, n’est pas un impératif alors que les diplomates français insistent sur les liens que l’AP doit avoir avec l’administration transitoire de l’enclave ainsi qu’avec la force de stabilisation prévue pour engager la reconstruction du territoire dévasté par les bombes. L’absence totale de calendrier encadrant le retrait graduel de l’armée israélienne est aussi un sujet d’inquiétude. Paris s’interroge, enfin, sur les modalités du Comité pour la paix qui serait présidé par Donald Trump en personne, et dont Tony Blair serait membre. La personnalité de l’ancien premier ministre britannique, et son bilan diplomatique, depuis l’invasion de l’Irak en 2003, suscite des réserves à Paris, bien qu’il soit venu rencontrer Emmanuel Macron à l’Elysée dans les premiers jours de septembre.

« La dérive de ce plan, qui a un parti pris économique évident, c’est qu’il n’impose pas l’Etat palestinien. Il faut que l’Europe approuve le plan mais pose ses exigences quant à la dignité et l’identité du peuple palestinien dans une déclaration qui rappellerait celle de Venise », plaide l’ancien ministre des affaires étrangères, Dominique de Villepin, dans une allusion à l’accord de la Communauté économique européenne de 1980 appelant à la reconnaissance des droits des Palestiniens à l’autonomie gouvernementale et au droit de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) à participer aux initiatives de paix.

Mais, à Paris, comme à Riyad, personne n’ose formuler de réclamations au grand jour. La France ne veut pas froisser les Etats-Unis. En froid avec Israël depuis la reconnaissance de l’Etat palestinien, l’Elysée cherche aussi à « calmer le jeu » avec le gouvernement de Benyamin Nétanyahou, observe un proche du chef de l’Etat alors que Paris redoute d’être marginalisé par l’Etat hébreu dans les négociations d’après-guerre et s’attend à des mesures de rétorsion comme l’expulsion de son consul à Jérusalem.

« Pris au piège »

« Les pays arabes, comme européens, sont pris au piège, observe Xavier Guignard, chercheur associé au centre de recherche indépendant Noria. Emettre des critiques sur le plan leur ferait endosser la responsabilité d’un échec. Personne n’est dupe sur l’avenir : il y a peu de chances que ce plan aboutisse à la paix. Mais il n’est pas, à ce stade, question de le critiquer ou de demander des amendements publiquement car personne ne veut affronter Trump. »

La France juge pourtant que son rôle ne peut s’arrêter au seul coup d’éclat de la reconnaissance de la Palestine à l’ONU et entend agir pour le « jour d’après ». Pour éviter que le plan ne déraille et n’enterre définitivement toute perspective de coexistence pacifique entre Palestiniens et Israéliens, un travail diplomatique se poursuit, mais dans l’ombre. Emmanuel Macron a notamment échangé par téléphone, mardi 30 septembre avec le prince héritier saoudien, Mohammed Ben Salman, et l’émir du Qatar, Tamim Ben Ahmad Al Thani.

Le ministre des affaires étrangères démissionnaire, Jean-Noël Barrot, a fait de même avec le secrétaire d’Etat américain, Marco Rubio. Aux dires du quai d’Orsay, le Français aurait évoqué avec l’Américain la nécessité de préciser, voire de rectifier, le plan au fur et à mesure de sa mise en œuvre. Dans la foulée, le ministre français s’est rendu en Arabie saoudite pour se coordonner avec ses homologues arabes « sur la mise en œuvre » du plan, a précisé le chef de la diplomatie française lors d’un entretien à France Inter le 30 septembre. « Ce qu’il faut, c’est accomplir la première étape du plan, le cessez-le-feu, la libération des otages israéliens et des prisonniers palestiniens. Il sera temps, ensuite, pour les pays bailleurs de fonds impliqués dans l’après-guerre de poser des conditions », présage Ofer Bronchtein.

[Source: Le Monde]