A Madagascar, Andry Rajoelina perd la bataille de la rue

Le président malgache n’est pas parvenu, samedi, à mobiliser ses partisans, pour manifester leur soutien, après dix jours de soulèvement de la génération Z.

Oct 5, 2025 - 07:07
A Madagascar, Andry Rajoelina perd la bataille de la rue
Des manifestants lors d’une marche contre le gouvernement à Antsiranana (Madagascar), le 4 octobre 2025. FITA/AFP

La contre-offensive lancée par Andry Rajoelina pour tenter de désamorcer la contestation de la jeunesse qui, depuis dix jours, défie son autorité se jouait dans la rue, samedi 4 octobre. Pour la première fois depuis le début du mouvement lancé par la génération Z, les habitants de la capitale Antananarivo avaient été appelés à marcher en soutien au président. L’opération n’est cependant pas parvenue à drainer les foules.

En milieu de journée, quelques centaines de personnes seulement se trouvaient rassemblées dans les quartiers d’Andavamamba et d’Ankorondrano malgré le message de soutien au régime relayé sur plusieurs comptes Facebook. Parmi eux, celui de la sénatrice Lalatiana Rakotondrazafy, figure bien connue de l’entourage présidentiel et ancienne porte-parole du gouvernement. « Nos voix comptent aussi », avait-elle ainsi interpellé, la veille, en demandant de faire bloc derrière celui qui « a été élu par le peuple ».

La mobilisation était loin de la démonstration de force espérée par le camp du président. Presque aucun manifestant ne portait de tee-shirt orange à l’effigie d’Andry Rajoelina, comme il est d’usage lors des meetings de campagnes électoraux. Dans le nord de la capitale, le Coliseum d’Antsonjombe, où un rassemblement avait été envisagé, est resté vide toute la journée.

Gouvernement d’ouverture

Des pancartes ont tout de même été brandies – parfois par de très jeunes manifestants – portant notamment le message « Tsy mila coup d’Etat » (« Non au coup d’Etat »). Vendredi, Andry Rajoelina a accusé une puissance étrangère – qu’il n’a pas nommée – d’être à l’origine d’une manipulation de masse de la jeunesse à travers une cyberattaque dans le but de le renverser et de mettre la main sur les richesses minières du pays.

« Des opposants politiques utilisent la jeunesse pour arriver à leurs fins. Nous avons déjà connu l’instabilité politique en 1991, en 2002 et en 2009, et cela n’amène rien de bon. Cela bloque tout, à commencer par les financements de la Banque mondiale », affirme Lahimana Voriasy, un des manifestants pro-Rajoelina, reprenant la rhétorique présidentielle. Cet entrepreneur en informatique de 43 ans espère la nomination d’un nouveau gouvernement d’ouverture, intégrant des personnalités politiques de l’opposition, alors que, lundi 29 septembre, Andry Rajoelina a renvoyé son gouvernement pour tenter de calmer la colère.

Eddy Ranaivoson assure ne pas être un partisan du chef de l’Etat, mais il est tout de même descendu dans la rue, samedi, pour témoigner son soutien au pouvoir en place. Travailleur indépendant dans le secteur du raphia, il redoute un effondrement de son activité. « Le pays est déjà plongé dans un gouffre et nous ne pouvons pas nous permettre un nouveau coup d’Etat. Les manifestations n’amèneront pas de solutions pour les coupures d’eau et d’électricité »,estime-t-il, rappelant les premières revendications à l’origine des protestations qui secouent le pays depuis le 25 septembre.

A la liberté de circulation offerte aux partisans d’Andry Rajoelina ont répondu les tirs de grenades de gaz lacrymogènes des unités de gendarmerie contre les manifestants marchant sous la bannière de la Gen Z dans plusieurs quartiers de la ville. Les tirs, à bout portant, ont semé la panique parmi les jeunes manifestants, qui, malgré le danger et la fatigue au dixième jour de leur mobilisation, continuent de réclamer leur droit d’expression et le départ du président. « Ce n’est pas normal. Ceux qui font la propagande d’Andry Rajoelina peuvent manifester et nous, on nous tire dessus comme si nous étions des sous-citoyens », condamne un enseignant, blessé à la cheville, lors d’une précédente manifestation.

Au moins 22 personnes tuées depuis le 25 septembre

Près du lac Anosy, où, là encore, les jeunes ont été violemment dispersés, la chanteuse à succès Bodo, en tête de cortège, voulait encore croire que sa présence les protégerait : « Je me bats depuis longtemps pour la liberté d’expression et mon rôle en tant que mère est de les protéger. Nous allons continuer à marcher. » De jeunes actifs qui, depuis lundi, n’avaient pu se joindre au mouvement sont venus garnir les rangs.

Emilien Rafalihery, président du syndicat national des techniciens topographes, a fait le voyage depuis l’île de Nosy Be, au nord-ouest de Madagascar, pour dénoncer les pratiques des dirigeants sur les titres fonciers. La thèse du complot mise en avant par Andry Rajoelina pour expliquer la mobilisation de la jeunesse a soulevé critiques et railleries. « Nous ne sommes pas des idiots. Ce qu’il raconte est irréaliste. Je suis dans la rue pour me battre contre la corruption, l’injustice et la pauvreté », martèle Herinjaka Raoelison, ingénieur en informatique de 29 ans. Dans plusieurs villes de province, le mouvement de protestation s’est également poursuivi. A Diego-Suarez, dans le nord du pays, les manifestations ont rassemblé plusieurs milliers d’étudiants.

De son côté, Andry Rajoelina a poursuivi ses consultations en recevant des représentants des administrateurs de la haute fonction publique et des milieux économiques au palais d’Etat de Iavoloha. Une rencontre était également souhaitée avec des associations de la société civile. Gen Z et le collectif d’ONG, qui ont rejoint de mouvement depuis le 25 septembre, ont refusé d’y participer.

Dans un communiqué, ils demandent l’ouverture immédiate d’enquêtes sur les auteurs des violences commises lors des manifestations. Selon un premier bilan de l’ONU, dressé lundi, au moins 22 personnes ont été tuées et plusieurs centaines blessées depuis le début des manifestations.

[Source: Le Monde]