« Tu seras le nouveau Michel Cymes ! » : Jimmy Mohamed, le « doc » chouchou des Français
Le présentateur du « Mag de la santé », où il a succédé à Marina Carrère d’Encausse et à son mentor Michel Cymes, est à 38 ans le médecin le plus célèbre de France. Favori des médias et des réseaux sociaux, auteur de best-sellers, ce bourreau de travail aux origines modestes ne compte pas que des fans parmi ses confrères.

S’il n’avait pas obéi à son père, Jimmy Mohamed serait devenu professeur de physique-chimie dans un collège ou un lycée. « J’aimais beaucoup cette matière et j’ai toujours adoré transmettre. » Mais le médecin le plus médiatique de France n’a pas eu le choix.
Au début des années 1980, son futur père, presque 25 ans à l’époque, ingénieur agronome et fils d’ingénieur, arrive d’Egypte pour visiter Paris et tombe amoureux d’une Française. Il décide de rester, de se marier, de fonder une famille. Sans savoir alors que la France ne reconnaîtra jamais ses diplômes. Il consacrera finalement sa vie professionnelle à préparer des pizzas. « Il est passé d’un statut de cadre supérieur à un métier très pénible, mais il n’a jamais exprimé la moindre amertume, confie son fils. Il y avait certes un côté inachevé à sa vie vu son niveau d’études, mais il nous a inculqué des valeurs : mes frères et moi, on était là pour réussir, pas pour s’amuser. »
Dans l’esprit de son père, ses trois fils ne peuvent exercer que les métiers d’avocat, d’ingénieur ou de médecin. Il entend qu’ils réparent l’injustice qu’il a subie. La volonté paternelle sera exaucée : à l’arrivée, l’un sera ingénieur, les deux autres médecins, dont un radiologue et Jimmy, le « doc » désormais le plus connu de France. Jimmy Mohamed cumule cette année une chronique hebdomadaire au « 20 heures » de France 2, une dans la matinale de RTL et la présentation du « Mag de la santé » sur France 5 chaque après-midi.
Auteur de sept ouvrages dispensant des conseils pour perdre du poids, bien se nourrir ou rester jeune, il a déjà vendu 500 000 livres pour les éditions Flammarion. Le petit dernier, Meilleur ! (48 recettes industrielles revisitées à la maison), doit paraître le 8 octobre. Le fils aîné de la fratrie, simple généraliste, ce qui causa en son temps une déception paternelle, fait désormais la fierté de ses parents.
Un ami qui lui veut du bien
Il est fini le temps où on le questionnait sur sa véritable identité. Jimmy Mohamed, vraiment ? Lors de ses premières apparitions à la télévision, au milieu des années 2010, ses interlocuteurs l’interrogent sur ce curieux assemblage entre son prénom et son patronyme. « On me demandait : “C’est un nom de scène, un pseudo ? Tu ne veux pas dire qui tu es ?” », a-t-il confié au magazine Elle, au printemps. Comme s’il n’était pas possible de s’appeler ainsi et d’être médecin dans la France des années 2010, au moment où son visage a commencé à apparaître à la télévision. « Je n’ai aucune idée de la raison pour laquelle mes parents m’ont baptisé ainsi, et je dois avouer que je ne leur ai jamais posé la question. »
Sweat vert, baskets, allure d’ado, Jimmy Mohamed nous reçoit à Paris mi-septembre, dans les locaux de Newen, la société (propriété de TF1) qui produit « Le Mag de la santé ». Il commence par s’excuser deux fois, pour son minuscule retard et pour avoir oublié de proposer un café, puis remonte le fil de son ascension. C’est un ami, Jean-Louis (il ne souhaite pas dévoiler son nom de famille), connu en fac de médecine et exerçant aujourd’hui dans un hôpital à Lille, qui lui donne l’impulsion.
« J’écoutais “Les Grandes Gueules” sur RMC, raconte ce dernier. Ils cherchaient de nouvelles personnalités et organisaient un casting. Je l’ai encouragé : “Vas-y ! Envoie une vidéo !” Il ne voulait pas mais j’ai insisté. Je me disais que ce serait génial que les jeunes issus de l’immigration puissent avoir d’autres modèles de réussite que ceux que l’on connaît traditionnellement. Un médecin, ça ne s’était jamais fait ! Cet argument a fait mouche. Il allait représenter quelque chose qui n’existait pas. Il a postulé et a été pris ! »
Nous sommes en 2015, Jimmy Mohamed, né en 1987, a seulement 28 ans. Il est diplômé depuis peu. Un « miracle », à l’entendre, tant le passage en deuxième année de médecine est sélectif, qui plus est quand on ne bénéficie pas, comme lui, d’aide particulière à la maison. La famille grandit à Ménilmontant, dans le 20ᵉ arrondissement de Paris.
Les fins de mois sont « très difficiles » et surviennent souvent au bout de quinze jours. « J’ai dormi dans un lit superposé chez mes parents jusqu’à mes 25 ans. » Il n’a pas oublié comment sa mère, vendeuse en boulangerie, un temps mère au foyer puis assistante d’éducation en école maternelle, additionnait dans sa tête les prix de chaque article à la caisse du supermarché, pour voir si le total allait excéder son budget. « Et si ça ne passait pas, elle demandait à la caissière de retirer une bouteille d’huile, une boîte de conserve… »
Atteint du virus médiatique
Le jour de sa rentrée en fac de médecine, à 18 ans, il est pris de vertiges. Il a la certitude de ne pas être à sa place au milieu de tous ces étudiants souvent issus d’une année de prépa privée, quand lui débarque tout juste du lycée. « C’était un cours d’anatomie. Le prof parlait en même temps qu’il dessinait au tableau et moi je ne savais pas quoi faire, dessiner, prendre des notes ? Je voyais que les autres avaient déjà les cours, moi pas, et qu’ils étaient beaucoup plus à l’aise. Je me suis demandé : “Mais comment tu vas faire pour t’en sortir ?” » Il se promet de faire de son mieux. Au pire, se dit-il, il décrochera une équivalence en deuxième année pour devenir prof.
Il travaille d’arrache-pied, déjà, pour passer le cap de la première année. Et réussit du premier coup. « C’est à partir de là que j’ai commencé à vraiment aimer la médecine. » Il s’imagine alors pneumologue ou anesthésiste-réanimateur, mais l’évidence le foudroie alors qu’il fait des remplacements comme interne, en 2013, à SOS Médecins. « J’ai compris que c’était vraiment ce que je voulais faire ! Aller chez les gens, notamment chez ceux qui ne vont pas jusque dans un cabinet. Il y avait une richesse dans l’exercice de la médecine que je n’ai jamais retrouvée ailleurs. » Il ne travaillera jamais en cabinet.
Sur RMC, ses chroniques plaisent aux auditeurs. Il y distille déjà des recommandations médicales, mais ose parfois des sorties plus politiques, par exemple quand, en août 2018, il s’en prend au député Gilles Platret (LR) au sujet de l’Aquarius, navire humanitaire bloqué en mer avec 141 migrants à son bord. « Vous êtes d’affreuses personnes qui laisseraient mourir des gens en mer », s’emporte-t-il.
C’est ce même été qu’un fils de médecin généraliste nommé Cyril Hanouna le débauche pour ses émissions sur la chaîne C8. Jimmy Mohamed ne garde pas un mauvais souvenir de cette expérience. « J’ai toujours été respecté. Peut-être parce que j’étais docteur ? » Il y reste deux ans, jusqu’en 2020, avec, tout de même, la sensation qu’il n’est pas où il devrait être. Mais il contracte le virus de l’exposition médiatique. Son ami Jean-Louis lui prédit alors un avenir radieux : « Dans dix ans, tu seras le nouveau Michel Cymes ! » Il ne croit pas si bien dire.
Michel Cymes, le boss
Très vite, il est invité partout, pour des interventions ponctuelles ou des chroniques, tout en continuant d’exercer à SOS Médecins : Europe 1, France 5, bientôt France 2 (« Quelle époque ! », présenté par Léa Salamé), M6 et RTL. En 2024, il décroche le Graal, la présentation du « Mag de la santé », institution télévisuelle diffusée sur France 5. Ses prédécesseurs, Marina Carrère d’Encausse et Michel Cymes, qui incarnent depuis des années à la télévision et à la radio la figure du médecin médiatique et populaire, l’ont adoubé. Entre Cymes et Jimmy Mohamed, trente ans d’écart, se noue une relation père-fils.
Bienveillance et mains sur l’épaule d’un côté, dévotion de l’autre. « On l’a choisi tout simplement parce qu’il était le meilleur, précise l’ancien ORL, comédien occasionnel, qui a créé le 1ᵉʳ septembre Mieux, une nouvelle chaîne de télé spécialisée dans la santé. Il est humble, intelligent, excellent dans la vulgarisation : il est la bonne personne au bon endroit. Il est aussi très reconnaissant. En somme, c’est un type bien ! »
Jimmy Mohamed en jubile encore. « Là, je me suis dit : “Waouh, c’est la consécration ! C’est la phrase de Thierry Roland le soir de la finale de la Coupe du monde 1998 : “Après ça, on peut mourir tranquille !” » Depuis plus d’un an, il prend soin, dit-il, de distiller sa propre touche, notamment en mettant davantage en valeur les autres animateurs de l’émission. « Je veux que l’équipe, constituée de près de 25 personnes, brille. Je veux faire rayonner “Le Mag” via tous ses talents. Meilleurs ils seront, plus puissante sera l’émission. Comme médecin, je pense vulgariser aussi bien que Michel. Après, lui et moi n’avons pas forcément le même humour. Evidemment, l’époque a changé. »
Devenu le nouveau médecin chouchou des Français, Jimmy Mohamed commence à en faire trop, reconnaît-il aujourd’hui, et se prend au jeu de la notoriété. En mai dernier, il se blesse lors du tournage de l’émission « Fort Boyard », une double fracture de la cheville dont il ne s’est toujours pas complètement remis. « Je me suis rendu compte qu’il fallait lever le pied. » Marié à une sage-femme et père de trois enfants, il se définit comme « le pire des patients », légèrement hypocondriaque, n’écoutant pas les recommandations de ses confrères.
« Repose-toi ! », lui lance souvent Rudy Bancquart, rédacteur en chef du « Mag de la santé », qui vient d’entamer sa quatrième année de travail à ses côtés. « Mais il ne m’écoute pas ! », dit celui-ci. Il décrit une tornade, une « éponge qui assimile tout à une vitesse folle ». Avec lui, une réunion ne doit pas dépasser quinze minutes.
« Il a capté l’écriture journalistique en un mois, a appris très vite à poser sa voix, à améliorer sa diction, à sourire. Quand il intervient en direct, il ne se sert jamais de ses fiches. Je ne sais pas comment vous avez pu le garder une heure et demie assis pour votre interview ! » Peut-il encore progresser ? « Oui, sur sa capacité à recueillir à l’antenne les témoignages des gens. Il doit leur permettre de mieux raconter leurs expériences de vie. »
Une parole qui compte
Sur les réseaux sociaux Instagram et TikTok (où il compte près de 4 millions d’abonnés cumulés), sa popularité explose. Il s’exprime plusieurs fois par semaine, via des vidéos, sur des sujets aussi divers que la maladie d’Alzheimer, pourquoi rester longtemps aux toilettes favorise l’apparition d’hémorroïdes, les bienfaits du café ou du safran, l’utilité ou pas des compléments alimentaires, que faire en cas de malaise vagal, ou le danger d’une mauvaise utilisation des cotons-tiges.
Parfois, il dénonce les méfaits pour la santé de produits connus du grand public, n’hésitant pas à montrer un paquet de biscuits Pim’s, une bouteille de Red Bull ou des céréales Kellogg’s. Ce qui lui vaut d’être contacté par les industriels. Il en parle naturellement, avant de se rendre compte qu’il a peut-être été un peu imprudent en évoquant d’« amicales »pressions, mais on insiste : qui ? combien ? Il affirme qu’on lui propose régulièrement de déjeuner avec de hauts responsables de grands groupes de l’agroalimentaire, parfois le PDG en personne : « Il serait bien qu’on se rencontre, vous savez, la marque a changé… », tente-t-on de l’amadouer.
On insiste encore, alors il raconte, un peu. Plusieurs géants de l’agroalimentaire lui ont proposé de faire la promotion de leurs produits ou de s’engager à ne plus jamais en dire du mal en échange de sommes astronomiques. Comme dans Le Parrain, de Francis Ford Coppola, il s’est entendu dire : « On va vous faire une offre que vous ne pourrez pas refuser. »La somme était « démesurée ». S’agit-il de Kellogg’s ? Il refuse de répondre en souriant, précisant qu’il a évidemment dit non, comme à tous les autres.
A l’inverse, il a dit oui à la Fédération française de golf pour vanter, sur Instagram, dans une vidéo sponsorisée, donc rémunérée, les mérites de ce sport. Qu’il reconnaît ne pas pratiquer. Le conseil de l’ordre n’y voit rien à redire, se contentant de nous renvoyer vers le code de déontologie qui interdit pourtant « de pratiquer la médecine comme un commerce », et rappelle que le médecin « ne doit pas tolérer que les organismes, publics ou privés, où il exerce ou auxquels il prête son concours, utilisent à des fins commerciales son nom ou son activité professionnelle ».
La parole de Jimmy Mohamed vaut de l’or. Des personnalités politiques le courtisent, sans qu’il veuille décliner leur identité, mais il l’assure, il s’en tient éloigné. Le doc ne compte aucun ami dans ce monde, comme dans les médias ou parmi les people ; il affirme que ses vraies amitiés se sont nouées il y a longtemps, sur les bancs de la fac de médecine. Il ne sera donc jamais ministre de la santé si on le lui propose ? « Je ne dirai jamais “jamais” », s’esclaffe-t-il dans une pure réponse de politique.
Depuis qu’il présente « Le Mag de la santé » en vedette, France 5 a perdu 10 % d’audience dans les villes de plus de 100 000 habitants mais en a gagné autant dans les plus petites communes, selon son rédacteur en chef. « Or c’est pour nous et France Télévisions une cible très importante, reprend Rudy Bancquart, sans pouvoir expliquer cette évolution d’audience. On a moins de CSP + mais plus de CSP-. Et un public davantage féminin. »
Chez Flammarion, son éditeur, Guillaume Robert, encense son bourreau de travail d’auteur (« le plus agréable et le plus facile à gérer ») qui, jure-t-il, écrit tous ses livres, sauf ceux de recettes de cuisine et les cahiers de vacances, pour lesquels il se fait aider : « Il lui faut six mois pour concevoir et écrire, c’est bluffant, je n’ai jamais vu ça. » Jimmy Mohamed fait partie des cinq plus gros vendeurs de la maison (ses ouvrages sont traduits en coréen, russe, turc ou italien), et n’écoule pas un livre à moins de 200 000 exemplaires.
Mais tout le monde n’approuve pas forcément ses recommandations médicales. En 2022, la Société européenne de recherche en ostéopathie périnatale et pédiatrique (Seropp) s’indigne : « Dans l’émission “Le Mag de la santé” diffusée le 17 mars, le docteur Jimmy Mohamed affirme notamment : “Laissez vos bébés tranquilles. L’ostéopathie chez les nouveau-nés, ça ne sert à rien !” » La Seropp et le Syndicat français des ostéopathes pointent une « méconnaissance totale du service rendu par l’ostéopathie en pédiatrie, confirmée par de nombreux travaux scientifiques ainsi que des textes qui la réglementent ».
L’agacement des professionnels
Certains professionnels de la santé s’inquiètent également de ses vidéos consacrées à l’alimentation. La nutritionniste et diététicienne Violette Babocsay (376 000 abonnés sur Instagram) estime que dans l’ensemble, Jimmy Mohamed donne de bons conseils mais elle n’adhère pas à tous ses messages, que ce soit sur le fait de boire du Coca normal plutôt que du Coca zéro (à cause des dangers supposés de l’aspartame), ou « quand il conseille deux cuillères à soupe de vinaigre par jour sur les crudités pour “brûler les graisses” et “perdre 3 kilos en trois mois”, alors qu’il n’existe aucun fondement scientifique solide pour étayer cela ». Elle regrette son ton « qui manque de nuances. Ses sources ne sont pas non plus assez identifiées ».
Installée à Biarritz, chroniqueuse à Ici Pays basque (ex-France Bleue), Claire Marzin est diététicienne et nutritionniste : « Il part d’une bonne intention et peut dire des choses très justes et utiles, concède-t-elle. Mais dans l’ensemble, je trouve qu’il s’emballe un peu trop… Ce qui me gêne, c’est qu’il apporte un regard très anxiogène sur l’alimentation. Sa vision est trop simpliste. Il transmet de la peur. Or manger en ayant peur, ce n’est pas possible. Manger est aussi un acte social, de plaisir, tout est plus complexe que des histoires de calories ou de minéraux. »
D’autres confrères, qui refusent d’être cités, lui reprochent également de n’avoir jamais exercé en cabinet ou à l’hôpital et, surtout, de ne presque plus jamais consulter. Lors de la conférence de presse de rentrée de RTL, début septembre, l’humoriste Philippe Caverivière, autre star de la matinale, ne l’a pas épargné dans sa présentation : « C’est un désert médical à lui tout seul, il n’a pas vu un patient depuis 2004. Des chroniques, des bouquins, c’est le Maupassant de la poire à lavement. C’est un vrai médecin, il transforme nos bobos en lointains souvenirs et transforme ses couilles en or ! » Assis dans l’assistance, Jimmy Mohamed a ri… jaune.
Interrogé sur le sujet, il confirme en effet ne pas se souvenir de la date de sa dernière intervention à domicile mais évoque des consultations, fin août, dans un dispensaire de santé parisien. Evidemment, la plupart des patients n’en reviennent pas de tomber sur lui et lui réclament régulièrement des autographes et des selfies. « Je suis obligé de leur demander rapidement ce qui les amène, pour faire en sorte que la notoriété ne vienne pas parasiter la consultation. »
Il l’assure : « La télévision, la radio, je sais que ça finira par s’arrêter, mais l’exercice de la médecine, jamais. »Auréolé de sa gloire médiatique, il dit tenter d’assurer « une garde par semaine » à SOS Médecins à Paris, mais reconnaît vite ne pas y parvenir, accaparé qu’il est par des journées de travail longues comme une nuit de garde.
[Source: Le Monde]