En République tchèque, Andrej Babis et son parti ANO arrivent en tête des élections législatives
Le parti du milliardaire, ANO, a obtenu 35 % des voix, selon des résultats quasi définitifs. Son retour au pouvoir, après avoir gouverné le pays entre 2017 et 2021, va marquer la fin de l’engagement farouche de Prague auprès de l’Ukraine.

Adepte des coups de théâtre, Andrej Babis est arrivé à son siège de campagne à Prague en faisant jouer le tube italien Sarà perché ti amo sur une enceinte Bluetooth. Grand sourire aux lèvres, le milliardaire tchèque de 71 ans et candidat« trumpiste » autoproclamé aux élections législatives organisées vendredi 3 et samedi 4 octobre dans ce pays d’Europe centrale a fêté « une victoire historique » avec près de 35 % des voix, selon des résultats quasi définitifs. « C’estl’apogée de ma carrière politique », a-t-il ajouté après avoir obtenu un score bien supérieur à toutes les prévisions des instituts de sondage.
Même s’il doit encore réussir à former une coalition, M. Babis est en position très favorable pour revenir au pouvoir après avoir déjà gouverné la République tchèque entre 2017 et 2021. ANO, son parti populiste et attrape-tout qui a rallié depuis 2024 le groupe des Patriotes de Marine Le Pen et de Viktor Orban au Parlement européen, devrait obtenir 80 sièges sur 200 à la Chambre des députés, loin devant la coalition du premier ministre sortant, Petr Fiala.
Ce dernier, un conservateur pro-européen, a reconnu sa défaite après n’avoir obtenu que 23 % des voix et 52 sièges. Le parti centriste et pro-européen STAN, qui participait aussi à la majorité sortante, est arrivé troisième avec 11 % des voix, tandis que le Parti pirate est arrivé quatrième avec près de 9 % des suffrages. Le bloc des partis pro-européens et pro-Ukraine ne devrait ainsi plus compter que sur 92 sièges dans la nouvelle Chambre des députés, contre 108 dans l’assemblée sortante.
Versatilité
D’abord enregistré comme collaborateur de la police politique communiste dans les années 1980 avant de s’enrichir dans l’agroalimentaire après la chute du rideau de fer, M. Babis est une des dix plus grandes fortunes tchèques. Connu pour sa versatilité, il est entré en politique en 2012 sur un programme plutôt libéral et anticorruption avant de basculer progressivement vers l’extrême droite. Son premier mandat a été marqué par des conflits d’intérêts permanents entre ses affaires privées et celles du gouvernement, et il est encore poursuivi dans un dossier de fraude aux fonds européens. Il adore s’attaquer aux journalistes de son pays.
Même s’il n’est pas prorusse comme le premier ministre hongrois Viktor Orban, son retour au pouvoir va marquer la fin de l’engagement farouche derrière l’Ukraine pratiqué depuis 2022 par le gouvernement sortant. Samedi soir, M. Babis a de nouveau reproché à M. Fiala « de n’avoir parlé que de la guerre en Ukraine depuis quatre ans ». Le vainqueur a en particulier dans le viseur l’initiative internationale lancée en 2024 par Prague pour livrer massivement des munitions à l’armée de Kiev. M. Babis reproche aux industriels de la défense tchèques d’être devenus « extrêmement riches » au dépend « des citoyens tchèques » à qui il a promis de « rendre leur argent ».
Même si la situation économique de ce pays de 10 millions d’habitants est excellente avec une croissance solide, une inflation sous contrôle et un chômage ridicule, les hausses de prix de l’énergie observées depuis 2021 ont durement frappé les Tchèques les plus modestes et alimenté l’impopularité du gouvernement sortant. Le parti de M. Babis a d’ailleurs remporté ses meilleurs scores dans les régions les plus rurales, âgées et défavorisées, tandis que la coalition du premier ministre sortant est arriveé largement en tête dans la municipalité de Prague. La participation a atteint un niveau jamais vu depuis les années 1990 avec près de 69 %.
Vers une alliance avec les Motoristes
Pour former une coalition, M. Babis a expliqué dès samedi qu’il comptait en priorité se tourner vers le parti des Motoristes, une formation ultraconservatrice fondée en 2022 pour s’attaquer au pacte vert européen et défendre l’usage du charbon et des véhicules à moteur conventionnel. Comme ANO, cette formation qui a obtenu près de 7 % des voix est fortement eurosceptique, mais affirme vouloir que la Tchéquie reste dans l’UE et dans l’OTAN. Elle siège aussi au sein du groupe des Patriotes au Parlement européen. « Nous n’avons jamais caché que nous sommes proches », a rappelé Karel Havlicek, le bras droit de M. Babis.
M. Babis a aussi annoncé vouloir discuter avec le parti d’extrême droite Liberté et démocratie directe (SPD), qui a obtenu son plus mauvais score en dix ans avec moins de 8 % des voix, mais pourra compter sur quinze sièges au Parlement. Même si M. Babis exclut fermement d’organiser un référendum sur la sortie de l’UE et de l’OTAN comme le réclame cette formation ouvertement prorusse, il a besoin de son appui pour former une majorité de plus de 100 sièges à la Chambre des députés. Il devra par ailleurs trouver une solution pour la gestion de son conglomérat Agrofert alors qu’une loi sur les conflits d’intérêts votée sur mesure par la majorité sortante lui impose de se tenir effectivement à distance de ses affaires s’il veut gouverner à nouveau.
En plus d’avoir profité de l’affaiblissement de SPD, le milliardaire a aussi pu compter sur l’échec de la coalition de gauche prorusse Stacilo ! (Assez !), formée autour du Parti communiste. Egalement favorable à une sortie de l’UE et de l’OTAN, elle a échoué de peu à passer le seuil des 5 % nécessaire pour siéger au Parlement. Après avoir vu son électorat traditionnel presque totalement aspiré par M. Babis, la gauche tchèque se retrouve totalement effacée de la chambre des députés pour une deuxième mandature consécutive. Même si les partis anti-Union européenne sont en recul, la nouvelle majorité sera profondément eurosceptique et promet de mener la vie dure à Bruxelles sur les questions de transition énergétique et d’immigration.
La victoire d’Andrej Babis a d’ailleurs été immédiatement fêtée à Bratislava et Budapest par les gouvernements de Robert Fico et Viktor Orban, même si la République tchèque ne devrait pas s’aligner totalement sur leur position singulière au sein de l’Union européenne. « Nous sommes clairement pro-européens et pro-OTAN », a encore martelé M. Babis samedi soir, après s’être tenu à distance de M. Orban pendant toute sa campagne. Même s’il arrive à former une majorité, M. Babis sait qu’il devra compter avec un Sénat qui reste dans les mains des partis pro-européens et un président, Petr Pavel, qui a promis avant le scrutin de veiller à ce que la République tchèque conserve « un gouvernement qui ne laissera pas le pays à la merci de la Russie ».
[Source: Le Monde]